"Qui est Charlie?" Cinq citations pour comprendre le livre controversé d'Emmanuel Todd
L'anthropologue revient sur les événements qui ont suivi les attentats islamistes de Paris
dans son dernier essai "Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse" (Seuil) pour y dénoncer “l’imposture” des manifestations.
"Nous savons désormais, avec le recul du temps, que la France a vécu en janvier 2015 un accès d’hystérie." Quatre mois après les manifestations du 11 janvier, qui ont réuni plus de quatre millions de Français, l'anthropologue et historien Emmanuel Todd partage sa vision de la 'France de Charlie'. Dans Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse, publié le 7 mai, il analyse les fondements de "l’hystérie collective" et du "flash totalitaire" qui ont caractérisé, selon lui, les rassemblements qui ont suivi les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher.
A l’aide de cartes et de statistiques, Emmanuel Todd décortique les origines sociales des manifestants, et s'efforce de percer leurs motivations, une méthode aussitôt critiquée par le géo-politicien Jacques Lévy ou le démographe François Héran, dans Libération. Les manifestants, pris individuellement, "avaient de bonnes têtes, étaient sympas, ne disaient rien d'horrible", explique l'auteur. Mais en défendant les caricatures de Mahomet, ils auraient fait preuve d'islamophobie et de repli sur soi.
Cinq citations permettent de comprendre, étape par étape, le cheminement de sa vision.
1- La perte d'influence du catholicisme a laissé un grand vide
La citation : "Le basculement de la France dans l'incroyance généralisée (...) pose des problèmes d'équilibre psychologique et politique à la population."
Explication : La France de 2015 est "un pays de sceptiques". Selon Emmanuel Todd, l'effondrement du catholicisme a provoqué une perte de sens en France. Pour expliquer ce phénomène, l'auteur remonte aux années 1960. A cette époque, la France vit une période de "déchristianisation" qui s'illustre en partie par une baisse de la fréquentation des églises et par l'augmentation du nombre d'enfants nés hors mariage. La religion catholique servait d'unité et de socle de valeurs communes entre les Français, souligne l'auteur. Sa disparition a provoqué un "vide existentiel" dans la population.
2- Ce vide doit être comblé par un bouc émissaire : l'islam
La citation : "L’athéisme est générateur d’angoisse, la population de l’Hexagone est en risque métaphysique et donc à la recherche d’un adversaire structurant, d’une cible : l’islam."
Explication : Les pancartes brandies le 11 janvier en faveur de la liberté d'expression ou contre l'intégrisme religieux masquent une autre motivation plus implicite : l'islamophobie. "L'esprit Charlie" que Valls et Hollande veulent entretenir est-il en fait islamophobe ?
En défendant le droit de caricaturer Mahomet, en demandant que l'Etat "sacralise une image de Mahomet en forme de bite" (selon Emmanuel Todd), les manifestants ont voulu écarter les musulmans de la République. Ce serait d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles Barack Hussein Obama n'a pas fait le déplacement de Paris.
Pour l'auteur, le rassemblement du 11 janvier n'est pas égalitaire ni universel, comme il le prétend, puisque la demande des libertaires du droit de blasphémer le "personnage emblématique" d'une"religion minoritaire et opprimée" est, pour l'auteur, un moyen d'affirmer "sa domination et son droit de cracher sur la religion des faibles." Si tant est que les auteurs d'enlèvements, d'égorgements et de tueries soient des faibles sans défense.
3- Cette islamophobie est portée par les relents des valeurs du catholicisme
La citation : "Ce qui a marché en tête des manifestations, ce n’était pas la vieille laïcité, mais une mutation des forces qui avaient autrefois soutenu l'Eglise catholique, c’est le catholicisme zombie."
Explication : Toute la France n'a pas manifesté le 11 janvier. Emmanuel Todd rappelle que "seuls" 4 millions de Français sur 65 millions sont descendus dans les rues après l'attentat meurtrier contre Charlie Hebdo. A l'aide de cartes répertoriant les régions les plus mobilisées lors des manifestations et de données socioprofessionnelles de l'Insee, le démographe dresse le profil type du manifestant: un cadre supérieur appartenant à la classe moyenne supérieure, un bourgeois "catholique zombie" de gauche. Si Todd dénonce la supposée islamophobie larvée du moment, c'est en fait pour stigmatiser notre civilisation judéo-chrétienne composite, faite de bourgeois privilégiés et d'intellos, qu'ils soient Chrétiens, athées ou libre-penseurs.
Pour l'auteur, cette étrange expression de "catholicisme zombie" est l'empreinte des valeurs catholiques chez les individus, parmi lesquelles il mentionne la hiérarchie, l'obéissance et l'inégalité. A travers deux cartes, il montre que les régions les plus marquées par le catholicisme – la Bretagne, Rhône-Alpes (mais alors les Chrétiens, s'il ne faisait pas l'amalgame catholiques/protestants), l'Ile-de-France – sont aussi les régions qui se sont le plus mobilisées le 11 janvier au nom de la laïcité et de la liberté d'expression. Et en effet, la région PACA ne s'est guère sentie concernée par le massacre de 12 libertaires au siège de Charlie hebdo et de 5 Juifs au magasin casher. Vauzelle (PS) s'est d'ailleurs dit "fier d'être président de la plus grande région musulmane".
Emmanuel Todd souligne le paradoxe, puisque ces mêmes régions étiquetées "catholiques zombies" sont celles qui ont été les plus réfractaires à la Révolution de 1789, qui ont le plus soutenu l'Eglise catholique, qui se sont opposées à la laïcité, qui ont été le plus anti-dreyfusardes à la fin du XIXe siècle. Les Français sont donc plus profondément et intimement catholiques qu'il n'y paraît, lors des pointages (statistiques autorisées) aux sorties des églises. En somme, la France, république laïque et terre d'immigration, serait restée imperméable aux courants révolutionnaire et islamique. Et c'est dérangeant ?
Todd est saisi d'un doute sur notre modèle d'organisation nationale qui permettait jusqu'ici d'assurer une cohérence dans une grande diversité. L'intrusion islamique -et en l'occurrence, islamiste- perturbe à la fois ce modèle et Todd: la conquête ne se passe pas sans résistance et sans heurts, insidieusement, comme il voudrait. Mais n'est-ce pas la méthode musulmane qui est en cause ?
Allié à l'islamophobie nouvelle, comme à l'antisémitisme dont les Français sont déjà si souvent accusés depuis des lustres, cet héritage culturel forme donc une "néo-République", un mélange de laïcité et d'acceptation des inégalités prôné par une partie de la France, à majorité socialiste, dont les manifestants faisaient partie, du point de vue d'Emmanuel Todd, au travers de son prisme marxisant.
4- Les "Charlie" favorisent aussi l'antisémitisme
La citation : "Il est clair qu'assassiner des enfants ou des hommes, simplement parce qu'ils sont juifs, est plus ignoble que de massacrer une rédaction engagée dans un combat."
Explication : Selon Emmanuel Todd, Charlie est donc athée, mais imprégné de culture catholique (et non plus "judéo"-chrétienne ?), à la façon de l'ado qui veut tuer le père pour exister, islamophobe refoulé, artisan des inégalités.
Pire, la manifestation aurait directement favorisé la montée de l'antisémitisme dans les communautés noire et arabe de confession musulmane. Dans un entretien au journal Libération, le démographe développe son raisonnement : "C’est logique, la montée d’une passion religieuse islamophobe (...) ne peut que raviver, inévitablement, toutes les passions religieuses et finalement cibler la religion des autres minorités, conduire donc à l’antisémitisme. C’est ce qui se passe."
Malgré l'apparente compassion, au-delà des signaux sans portée et des propos creux de circonstance, les virevoltes de l'exécutif ne réalise pas la synthèse et brouillent les bonnes intentions plaquées : en voulant donner des gages aux Juifs et aux anarcho-révolutionnaires qui meurent sous les tirs de kalachnikov, mais aussi aux Chrétiens dont les églises sont profanées, sans condamner, ni même responsabiliser, les cadres du culte musulman, le pouvoir socialiste entretient la confusion. Soumise au dogme de la laïcité, la gauche est, dans tous les cas de figure, désarmée, que ce soit face à la montée de l'islam ou de l'islamophobie, dont les populations chrétienne et juive pâtissent profondément, puisque porteuses de l'ADN contraire.
Même si Emmanuel Todd rappelle que les manifestants sont individuellement de "bons gars", il suggère que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Le chercheur affirme que les #JeSuisCharlie sont passés à côté des vrais enjeux des attentats contre Charlie Hebdo : "Les manifestants ne sont plus réunis pour dénoncer ce qu'il y avait de plus grave, l'antisémitisme [les attentats de l'Hyper Casher, les tueries perpétrées par Mohamed Merah] et le danger croissant auquel une religion minoritaire, le judaïsme, doit faire face, car tout baigne pour les chrétiens (fusse dans le sang du Proche Orient) mais pour sacraliser la violence idéologique faite à une autre religion minoritaire : l'islam."
Pour l'auteur anti-sionniste et pro-palestinien, Charlie a réussi "au terme d'une gigantesque partie de billard sociologique, à mettre en danger les Français juifs en menaçant les Français musulmans." Ainsi, en dépit des réactions de musulmans hostiles qui ont saccagé des églises, partout à travers le monde musulman, les Chrétiens restent un détail de l'Histoire, selon Todd. Contre l'incroyance et au nom de l'égalité sociale, il suggère la solution musulmane comme alternative au catholicisme en voie d'extinction...
5- Les manifestations ont fait le jeu du Front national
La citation : "Cette classe moyenne confite de bonne conscience qui a, par son égoïsme et son mépris, autorisé le pourrissement au bas de la société française et qui persiste, jour après jour, à condamner des catégories entières à la relégation sociale dans laquelle elles auront tout loisir de recuire leur frustration et leur rage."
Explication : Pour Emmanuel Todd, l'unification de "la France d'en haut" par l'immobilisme supposé face à l'antisémitisme et son "phobisme religieux" vis-à-vis de l'islam, et l'exclusion d'une partie de la population (ouvriers, habitants des banlieues) lors des manifestations, comme si une quelconque tranche avait été chassés des rues, singulièrement dans les quartiers, ont accentué le pouvoir de l'extrême droite et "ouvert les vannes à une nouvelle poussée du FN." Le chercheur serait plus crédible si ce fameux 11 janvier, il avait quitté son bureau et sa télé. Malgré l'âge, le sexagénaire n'a toujours pas tué le père et reste soumis à l'idéologie de son adolescence comme à son propre héritage culturel.
Au premier rang lors de la marche du 11 janvier, François Hollande incarne, pour Emmanuel Todd, cette "gauche catholique zombie" qui a renoncé à défendre les inégalités et qui favorise la montée du FN.
Quand l'idéologie brouille l'esprit, est-on crédible et un chercheur fiable ?
En rapprochant les origines sociales et géographiques du président – né à Rouen d'un médecin catholique d'extrême droite et fils d'une assistante sociale de gauche – et ses choix politiques (la monnaie unique, "l'acceptation" d'un taux de chômage à 10%...), Emmanuel Todd explique que François Hollande incarne une gauche "xénophobe objective", une gauche qui n'est pas consciente d'être xénophobe.
Guidée par des valeurs autoritaires héritées du catholicisme, "hiérarchie, obéissance, matriarcat" -on tombe dans la caricature au trait épais-, cette gauche ferait ainsi le jeu du FN. Rappelons qu'Emmanuel Todd avait appelé à voter pour François Hollande en 2012.
Encore un déçu, avec l'aigreur en sus...
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