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vendredi 22 mai 2015

L'islam en guerres, du Proche Orient à l'Asie, en passant par l'Europe

Quand la presse aborde les problèmes pour brouiller les esprits
Les révoltes des printemps arabes -soutenues par les démocraties occidentales- ont conduit le monde musulman à des luttes sanglantes 

De Damas à Bagdad, la chasse aux dictateurs qui stabilisaient la région a réactivé la querelle multiséculaire entre frères ennemis sunnites et chiites s'étend au-delà du conflit religieux. L'affrontement où se joue l'avenir géostratégique du Moyen-Orient.
Près de trois ans après le départ des troupes américaines, l'Irak est au bord de l'implosion. Bachar al-Assad a été réélu à la présidence, mais la Syrie en guerre n'en finit pas de sombrer dans le chaos de la guerre civileEternelle victime collatérale, le Liban voit resurgir les attentats à la voiture piégée. Désormais sous le règne du maréchal Abdel Fattah al-Sissi, rempart contre les Frères musulmans qui, par leur coup d'état, avaient imposé (3 juillet 2013) Mohamed Morsi, l'Egypte renoue en revanche avec un pouvoir fort.
Depuis 2010, la carte du Moyen-Orient ne cesse de se couvrir de sang 
Le Moyen-Orient se délite et se recompose au gré des insurrections, des révolutions et des contre-révolutions. Mais les convulsions qui secouent le monde arabe ne peuvent être réduites à une simple opposition entre démocratie et dictature. Commencés en décembre 2010, les printemps arabes ont changé de nature. Les révoltes présentées comme citoyennes et politiques contre des régimes autoritaires en Tunisie, en Libye et en Egypte étaient en vérité provoqués par les islamistes dont on sait qu'ils instrumentalisent les difficultés sociales des populations ciblées. Les pétro-dollars, notamment du Qatar et d'Arabie saoudite, leur apportent du réconfort mais les soumettent du même coup à la loi du plus puissant et du plus radical.
Les révoltes "citoyennes" ont laissé la place, en Syrie et en Irak, à un affrontement sanglant entre les deux principales branches de l'islam, le sunnisme et le chiisme. Les deux frères ennemis se livrent au nom du Prophète une guerre totale, exacerbée par le "grand jeu" des puissances étatiques, Arabie saoudite (sunnite) et Iran (chiite) en tête. Derrière l'antagonisme multiséculaire se joue, dans l'ombre, une bataille géopolitique pour la suprématie régionale, dont les djihadistes fanatiques de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Daesh ou Daech...), partis ces jours-ci à l'assaut de Bagdad, sont l'une des incarnations les plus violentes.

Une guerre communautaire

Le 1er mai 2003, George W. Bush conclut que l'invasion américaine en Irak, déclenchée six semaines plus tôt, est une "mission accomplie". Barack Obama, son successeur à la Maison-Blanche, n'est pas un connaisseur plus fin de l'histoire de la région... Dans le monde musulman, la rivalité entre sunnites et chiites remonte au lendemain de la mort du prophète Mahomet, en l'an 632 et la querelle sur sa descendance et leurs conceptions de l'islam émaillent mille quatre cents ans d'affrontements sporadiques. L'embrasement actuel est une nouvelle exacerbation d'un éternel conflit religieux entre les tenants de la tradition (sunna), très majoritaires, et les partisans d'Ali (chi'a). 
Au Maghreb et au Moyen-Orient, les sunnites règnent sur la plupart des pays, notamment dans le golfe Persique. Les chiites, quant à eux, sont majoritaires en Iran (82%) et en Irak (55%). C'est aussi le cas dans la petite monarchie du Bahreïn (75%), mais la famille régnante est... sunnite! Souvent relégués au rang de dissidents, sinon d'apostats, les chiites sont méprisés et persécutés par nombre de régimes sunnites conservateurs. Aujourd'hui, le réveil de ces déshérités, parfois encouragés par Téhéran, fait peur aux pouvoirs établis. Les monarchies sunnites du Golfe, en particulier, craignent pour leur stabilité.

En Irak, comme dans d'autres pays, les chiites ont été écartés des rouages du pouvoir pendant des siècles
"L'origine de la domination politique et sociale des sunnites irakiens sur les chiites se trouve dans la hiérarchie traditionnelle du monde bédouin, explique Pierre-Jean Luizard, directeur de recherche au CNRS. Historiquement, la plupart des Arabes d'Irak sont des migrants de la péninsule Arabique qui se sont sédentarisés. A l'origine sunnites, ces tribus de paysans sans terres se sont converties au chiisme, car elles étaient réduites à un état de quasi-esclavage par les nomades."  
En 2003, une coalition menée par les États-Unis et le Royaume-Uni -sans La France de Chirac- envahit l'Irak et provoque l'élimination de Saddam Hussein. Qualifié de dictateur, il est pourtant celui-ci qui permit aux chiites d'accéder au pouvoir pour la première fois. Lors de sa pendaison, en 2006 à Bagdad, s'élevèrent des cris de vengeance. Malgré la volonté de réconciliation nationale affichée alors par le Premier ministre proche de Washington, Nouri al-Maliki, cette exécution annonçait la revanche des Chiites. Huit ans plus tard, les mêmes causes produisent, à rebours, les mêmes effets. La résistance déterminée de Maliki à la communauté sunnite dresse contre lui les tribus sunnites et les militaires restés loyaux au défunt Saddam à l'ouest du territoire irakien et ils s'allient aux extrémistes de l'EIIL. L'élimination de Saddam Hussein a conduit au retour sanglant du sunnisme en Irak...

Les dimensions confessionnelle et politique sont extrêmement imbriquées



Temple de Bel, avec l'agora en premier plan,
à Palmyre (Syrie), menacé par les "islamistes radicaux" (pl

Au plan spirituel, le monde chiite est loin d'être homogène. Les duodécimains (80% des chiites), majoritaires en Iran, en Irak et en Turquie (candidate à l'entrée dans l'Union européenne), attendent le retour du Mahdi (le Messie), encore désigné sous le nom d'"imam caché" ou d'"imam occulté", le douzième imam après Mahomet. Les druzes du Liban et les alaouites de Syrie ne reconnaissent, eux, que dix imams, les ismaéliens indiens et pakistanais, sept, et les zaydites du Yémen, cinq... Tous ne suivent pas non plus le magistère religieux du Guide de la révolution iranienne, qui dirige la seule grande théocratie chiite.  
Les sunnites sont, quant à eux, menés par des groupes intégristes, 
Les talibans afghans ont détruit
les bouddhas de Bâmiyân
plus ou moins "puritains et rigoristes", comme disent les européens "éclairés", décrypteurs aveugles et amateur à géométrie variable de radicalité: salafistes, wahhabites saoudiens, Frères musulmans égyptiens, dont les méthodes, aussi habiles qu'agressives, enfument certains. Longtemps soutenus par le Qatar, ces radicaux sont renvoyés à la clandestinité depuis qu'a été découverte l'imposture du président Mohamed Morsi et que le pays a été repris en mains en juillet 2013. 
Quant à la mouvance djihadiste internationale, elle s'enkyste dans toutes les crises, au gré d'alliances souvent opportunistes. L'ambition des radicaux est l'établissement de la loi du Coran -dans toute sa rigueur- aussi bien en Syrie qu'en Irak et  Vaut-il mieux un pouvoir fort religieux ou militaire ? Les laïcs occidentaux pencheraient davantage pour la loi... islamique, c'est-à-dire la charia !
La religion est le principal moteur des affrontements
L'Etat islamique détruit la culture 
irakienne à Mossoul (février 2015)
On peut être professeur à Sciences-Po Paris, comme Joseph Bahout, diplômé de l'Université américaine de Beyrouth au Liban, où il est né, et nier que la querelle théologique motive le contrôle communautaire du pouvoir. Construction intellectuelle, voire idéologique, son analyse considère que l'appartenance religieuse est secondaire et qu'elle est un simple prétexte à se battre pour une cause symbolique. En empruntant au religieux, les acteurs seraient pris à leur propre discours. Ce formateur de l'élite française enseigne à notre future classe politique et administrative que la confession religieuse est instrumentalisée par tous les camps mais qu'il ne faut lui accorder qu'une dimension  mobilisatrice.

Une guerre par procuration
En refusant d'aider le Syrien al-Assad pour ne pas se déjuger,
les Occidentaux -Américains, Britanniques et Allemands, soutenus par le président Hollande- favorisent al-Qaïda et l'Etat islamique. Après quatre années de guerre -dite 'civile', bien que les rebelles soient soutenus de l'extérieur- et malgré plus de 160.000 morts et des millions de réfugiés et de déplacés, aujourd'hui, les lignes de faille au Proche-Orient ont leur épicentre en Syrie, devenue un abcès de fixation identitaire, opposant forces armées chiites pro-Assad et rebelles sunnites armés par leurs frères du Golfe.

Pour le pouvoir légitime syrien, l'enjeu est vital.
Les islamistes ont détruit sept des seize 
mausolées de Tombouctou, Mali (12/2012)
A la suite de son père, Hafez, qui prit le pouvoir en 1970 avec l'appui du parti Baas, qui combine le socialisme arabe et le nationalisme panarabe, associés à la laïcité si chère aux socialistes français. Malgré -ou grâce à- un exercice autoritaire du pouvoir, selon les critères occidentaux, il se maintint du fait de son prestige acquis en rétablissant l'honneur syrien après le discrédit de la défaite militaire de la guerre des Six Jours et l'intervention avortée de la Syrie dans le conflit jordano-palestinien de Septembre noir. L'un et l'autre sont structurés autour de la petite minorité alaouite (de 10 à 12 % de la population), un courant du chiisme dont les fidèles, jadis, étaient relégués au rang de domestiques par les bourgeoisies sunnite et chrétienne des grandes villes du pays, comme Damas, Alep ou Hama.

Ces anciens parias n'ont aucune envie de retourner à leur situation d'exploitation antérieure, ce qui explique leur détermination à résister aux pressions sunnites et occidentales. "Le régime soude autour de lui une communauté alaouite qui se sent en danger, même si tous ses membres ne profitent pas du régime d'Assad," estime Pierre-Jean Luizard, chercheur au CNRS.
A Homs, en Syrie, en mai 2014:
160000 morts, des millions de déplacés...
la guerre civile est entrée dans sa quatrième année. 
La guerre en Syrie relève surtout d'une lutte d'influence à l'échelle régionale entre deux puissances qui s'affrontent par acteurs interposés
Sans oublier les djihadistes étrangers qui  -en "bons" sunnites intégristes considèrent les alaouites comme des infidèles, d'un côté, des fonds saoudiens arment et financent les rebelles sunnites; de l'autre, les ayatollahs de Téhéran soutiennent leur allié syrien en dépêchant armement et conseillers militaires . 

Pour les mollahs, l'enjeu est moins religieux que stratégique
La reprise de Qousseir, une ville syrienne de quelque 30.000 habitants située à deux pas de la frontière avec le Liban, en juin 2013, a mis en lumière le rôle de l'Iran, résolu à empêcher l'effondrement du régime d'Assad sous les coups de boutoir conjugués de l'Armée rebelle syrienne et du Front al-Nosra, un groupe affilié à Al-Qaeda. "Comme il était impensable [?], sur le plan politique, d'envoyer des troupes au sol, Téhéran a donné l'ordre au Hezbollah libanais, qu'il finance, de s'engager militairement afin de mettre un coup d'arrêt à la progression des insurgés, explique Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS. Puisse-t-il sauver 

Sur le fond, les Iraniens ont besoin d'un pouvoir stable et donc fort incarné  à Damas par la famille Assad et des alaouites et ils ne veulent surtout pas d'un pouvoir favorable à Riyad (Arabie saoudite)."  Pour les mollahs (chiites), l'enjeu est moins religieux que stratégique. Ainsi, les armes russes destinées au Hezbollah, fer de lance de la "résistance" iranienne contre Israël, transitent par le port syrien de Tartous. On peine donc d'autant plus à comprendre la cohérence des socialistes Hollande et Fabius en opposition frontale à l'européen Poutine et à leurs sympathies pour les Sunnites, avec lesquels ils commercent, et les islamistes qui mènent des opérations terroristes en France.

Maintenant que Bagdad vit sous la menace des djihadistes de l'EIIL, l'Iran craint, plus que jamais, de voir le retour au pouvoir en Irak d'une minorité sunnite qui lui serait hostile. Un tel scénario ravive le spectre de la guerre Iran-Irak des années 1980 et son million de morts. Le cancer syrien -entretenu par les apprentis sorciers occidentaux- développe des métastases qu'ils n'avaient pas prévus: l'avancée fulgurante de l'EIIL, depuis le début du mois, constitue une menace nouvelle et incontrôlable. En tous les cas, non contre-carrée. De source américaine, de nombreux officiers iraniens de la force Al-Qods (forces spéciales du corps des gardiens de la Révolution) ont aussitôt été dépêchés auprès de l'état-major irakien, tandis que les Occidentaux restent des observateurs impuissants. La solidarité des Iraniens est dictée par l'urgence et la nécessité: les djihadistes affichent l'ambition de restaurer un calife sunnite sur un territoire incluant la Syrie et l'Irak, voire au-delà. Et Hollande ne voit évidemment rien venir.

Hillary Clinton, future candidate
à la Maison Blanche,
en visite à Ryad en 2012
Or, depuis l'abolition du califat ottoman, en 1924, personne ne s'était plus arrogé le droit de parler au nom de l'oumma, la communauté des croyants dans son ensemble. Selon la dialectique des djihadistes de l'EIIL, le nationalisme serait une notion héritée de la période coloniale, qui a conduit le monde arabe au déclin. Le rêve sunnite est panislamique, pour commencer, et plus en cas de laisser-faire occidental. S'il voit le jour, il revient à effacer les frontières nées des accords Sykes-Picot, en 1916, lorsque les Occidentaux se sont partagés le Moyen-Orient. Les adversaires européens d'Assad n'ont aucun intérêt à favoriser l'hégémonisme sunnite dans le monde contre la Syrie. Les pays occidentaux ne trouveront pas paix et sécurité en soutenant les plus nombreux et les plus agressifs.

Une guerre stratégique Iran-Arabie saoudite

Najat Vallaud-Belkacem, ministre française
-militante de l'égalité homme-femme 
en France- porte le voile au Maroc
Si les tensions entre Téhéran et Riyad, gardiennes des deux plus importants lieux saints de l'islam sunnite (La Mecque et Médine), ne sont pas nouvelles, elles ne sont pas non plus un signe de progrès. Elles ne remontent d'ailleurs qu'à 1979, lorsque la Révolution islamique en Iran réveilla les communautés chiites du monde entier et tenta d'exporter son "modèle" partout en terre d'islam.
Le régime des mollahs fait du chiisme la religion d'Etat et invente une théocratie unique en son genre; il se pose en protecteur de ces minorités et en chef de file d'un "front du refus" anti-occidental et anti-israélien.
Mais l'Arabie saoudite est tout autant imprégnée de radicalité islamique. 
JO de Londres, 2012:
footballeuses saoudiennes en hijab
En visite en Arabie saoudite en janvier 2015 à l’occasion des funérailles du roi Abdallah, l'épouse du président Barack Obama est apparue sans voile devant les dignitaires saoudiens. Ce fut l'occasion de rappeler le statut inégalitaire des hommes et des femmes saoudiens: interdiction du passage du permis de conduire pour les femmes, ségrégation scolaire, interdiction de présence d’une femme non voilée à la télévision, obligation d’obtenir l’autorisation de son tuteur (mari, père ou proche parent) pour accéder à un grand nombre d’emplois, fermeture de certaines sections des universités saoudiennes aux femmes, impossibilité pour elles de pratiquer la plupart des sports dans les frontières du royaume. 


Plus clairvoyant, c'est le "Grand Satan" George W. Bush qui a renforcé l'Iran comme contre-poids régional.
Pour s'imposer, Téhéran se présente comme une puissance perse et chiite avec l'ambition de devenir un modèle, non seulement dans le Golfe, mais aussi au Moyen-Orient, voire en Asie centrale. "La Révolution islamique a révélé le retour de l'Iran comme puissance tout court, économique et militaire, note Dominique Thomas, chercheur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. L'ayatollah Ruhollah Khomeini [un temps hébergé en France] y a simplement ajouté une dimension religieuse." 

En 2001, après les attentats du 11 septembre, l'intervention militaire américaine chasse les talibans du pouvoir en Afghanistan, à 80% sunnites. Deux ans plus tard, le gendarme américain invahit l'Irak, débarrassant l'Iran de son autre pire ennemi, Saddam Hussein. Avec l'installation d'un gouvernement chiite, Bagdad devient une sorte de "protectorat" iranien. "A l'époque, les néoconservateurs américains jouent la carte chiite comme antidote à al-Qaïda dans un Irak qui recouvrirait sa capacité pétrolière, explique Gilles Kepel, professeur de s universités à Sciences-Po. Pour eux, c'est l'occasion de réduire la puissance des Saoudiens, coupables d'avoir nourri au biberon le monstre Ben Laden." Ce qui ne manque pas de cohérence...
La géopolitique de la région est en conséquence bouleversée 
Féministe revendiquée, la première concubine,
Trierweiler, se voile au Maroc
Un "arc chiite" - ou un "croissant" - s'étend désormais de Téhéran à Beyrouth, en passant par Bagdad et Damas. "Pour la première fois depuis le califat fatimide du Caire, au Xe siècle, écrit le politologue Antoine Sfeir dans L'Islam contre l'islam (Grasset), l'empire perse est parvenu à repousser les frontières de l'espace arabe, à travers l'Irak, à majorité chiite, la Syrie, avec le régime alaouite, et le sud du Liban, avec le Hezbollah: cet axe présenté comme chiite est avant tout un axe perse, qui a instrumentalisé le chiisme pour ses besoins et ses objectifs." Les pro-palestiniens s'étranglent: l'Autorité palestinienne est largement musulmane sunnite...


Continuité américaine:  Obama a passé un accord-cadre avec l'Iran

Qualifié "d'entente historique" entre Téhéran et la communauté internationale, 
c'était une victoire d'étape personnelle substantielle du
président américain appelant l'Iran "à desserrer le poing" sur le nucléaire, la pièce maîtresse de sa stratégie moyen-orientale depuis le début de sa présidence. En choisissant de négocier avec l'un des plus puissants et -jusqu'alors- plus farouche ennemi déclaré de l'Amérique, Obama a fait un pari colossal,   dénoncé par Israël et les républicains du Congrès. Très sceptiques, certains craignent qu'il ouvre la voie d'une nucléarisation de l'Iran. 

De nouvelles alliances pourraient émerger
Les Saoudiens sont sans doute ceux qui se sentent le plus menacés par les nouvelles alliances de Téhéran. A l'intérieur, ils doivent notamment faire face aux revendications sociales de leur propre communauté chiite (environ 10%), concentrée dans la province orientale du royaume, à proximité des principaux gisements pétroliers. 
Lorsque la majorité chiite du petit Bahreïn, tout proche, tente de lancer son printemps arabe, dans la foulée des révolutions de 2011, les chars saoudiens interviennent pour écraser la révolte dans l'oeuf. Avec la bénédiction du Conseil de coopération du Golfe - le club des pétromonarchies - et l'assentiment muet des Occidentaux. "Ces derniers détournent la tête parce qu'au Bahreïn, comme au Yémen, il n'est pas question que ça bouge, décrypte Gilles Kepel. Sinon, on roulerait tous à vélo !" 
Un autre dossier stratégique renforce les craintes de Riyad. Pour les Saoudiens, il est hors de question que l'Iran se dote de l'arme nucléaire, d'où l'inquiétude que suscitent les négociations en cours avec le groupe des 5+1 (Etats-Unis, Chine, Russie, France, Grande-Bretagne et Allemagne). Le dialogue engagé par les Américains, alliés historiques de Riyad, alimente tous les fantasmes, comme le raconte Anthony H. Cordesman du Centre d'études internationales et stratégiques, un centre d'analyse américain, dans Courrier international : "Il est impossible d'assister à une conférence arabe sur la sécurité dans le Golfe sans faire face à de nombreuses personnes selon [lesquelles] les Etats-Unis mettent en oeuvre réellement un dialogue secret, voire un complot, pour s'allier à l'Iran et soutenir les Chiites au lieu des Sunnites."


François Hollande tente de faire croire à son génie diplomatique... 
Hollande et le prince Mohammed bin Salman, 
ministre de la Défense d'Arabie saoudite, 
Riyad, 5 mai 2015
Or, si l'opportuniste français vend des Rafale de Dassault à l'Arabie saoudite, c'est que les Etats Unis ne sont pas en odeur de sainteté à La Mecque et que Ryad a besoin de renforcer son arsenal militaire pour faire face à un éventuel conflit avec l'un quelconque des états chiites de la zone. 

Riyad a semblé consterné par la rapidité avec laquelle Washington et Téhéran ont réagi, de concert, à l'avancée de l'EIIL en Irak: le 16 juin, le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, n'a pas exclu de discuter directement avec Téhéran afin de venir en aide au gouvernement Maliki. Un tel scénario aurait été impensable deux semaines plus tôt. La formulation du chef de la diplomatie à Washington est un signe, parmi d'autres, que de nouvelles alliances entre frères ennemis, fussent-elles de courte durée, pourraient émerger du chaos régional
.

La montée de l'islamisme déclenche un rebrassage des cartes  
Depuis l'accord intérimaire sur le nucléaire, signé à Genève le 24 novembre 2013, la République islamique d'Iran est déjà redevenue un interlocuteur de la communauté internationale. "Il y a deux hypothèses, avance Joseph Bahout. Ou bien, la guerre de trente ans entre Chiites et Sunnites se poursuit, avec des périodes de cessez-le-feu, dans une logique de fragmentation dont les Etats ne pourront pas sortir. Ou bien, c'est le grand bargain  marchandage pour la sécurité du Golfe, entre Américains et Iraniens, d'un côté, et Américains et Saoudiens de l'autre : la Syrie, l'Irak et le Liban rejoignent alors une sorte de condominium que se partagent, au mieux de leurs intérêts, l'Iran et l'Arabie saoudite, sous la houlette des Etats-Unis." De fait, en dépit de toutes les erreurs passées, Washington demeure maître du jeu.

Il restera à apaiser 
Israël, acteur, qui, pour la première fois, est relégué au statut d'observateur vigilant du conflit entre sunnites et chiites se déroulant à sa porte, mais qui devra bénéficier de garanties inviolables dans tous les cas de figure. Quant au Liban multiconfessionnel qui vit de nouveau au rythme des attentats à la voiture piégée contre des quartiers chiites contrôlés par le Hezbollah, devra résister au recours aux armes contre une partie de ses musulmans. Pour sa part, la Jordanie pourra-t-elle échapper à l'engrenage? Le petit royaume sunnite, qui accueille près de 600.000 réfugiés syriens, partage ses frontières avec l'Irak, la Syrie et l'Arabie saoudite. Il y a dix ans, le roi Abdallah s'était inquiété de la constitution d'un "arc chiite" sous influence iranienne, mais c'était il y a dix ans et avant la radicalisation sunnite. 
Reste la Turquie, autre grande puissance sunnite, membre de l'OTAN, qui souhaite la chute de Bachar el-Assad et se veut européenne,. C'est d'ailleurs par ses frontières poreuses que les djihadistes étrangers passent en Syrie, notamment en provenance de France... 
Le président Hollande va-t-il savoir prendre les mesures diplomatiques de changement qui s'imposent, malgré les pressions du Front de gauche et des écologistes radicaux d'EELV ?

1 commentaire:

  1. C'est du lourd, cet article: long et dense mais clair et surtout très informatif. Super: je crois que je comprends mieux les non-dits de la presse professionnelle.

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