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lundi 7 janvier 2019

Castaner va commander 1.280 lanceurs de balles de défense LBD40

Le lanceur de balles de défense, arme controversée en France

Le ministère de l'Intérieur passe outre les recommandations du Défenseur des droits

Jacques Toubon a émis un avis défavorable à l'usage de ces armes de défense de type "flash-Ball" dans les manifestations, mais Macron a autorisé le gouvernement à commander plus d'un millier de ces armes, en dépit des blessures graves causées, notamment lors du mouvement des Gilets jaunes et de la mobilisation lycéenne: une dizaine d’éborgnés et des alertes des ONG.
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Alors que la mobilisation des Gilets jaunes se poursuivait pendant les fêtes, le gouvernement a fait ses achats de Noël pour faire face aux mouvements sociaux. Ainsi, selon Libération, le ministère de l'Intérieur a lancé le 23 décembre un appel d'offre pour une commande de 1.280 nouveaux lanceurs de balles de défense LBD40, des fusils d’épaule à un coup dont la munition de 40 millimètres en caoutchouc semi-rigide peut éborgner et provoquer des fractures des os de la tête..

Si le montant de l'enveloppe budgétaire de cette commande publique n’a pas été révélé par le service des achats du ministère, il devrait atteindre au moins 2 millions d’euros, selon les calculs de Libération. Depuis plusieurs années, des associations de défense des libertés publiques et, plus récemment, le Défenseur des droits ont alerté sur les dangers de cette arme utilisée par les forces de l’ordre à l’occasion de manifestations. Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, qui élargit son arsenal en cette fin d’année, a visiblement pris la résolution de ne pas faire de quartier.

Cette commande sulfureuse comporte aussi l’acquisition de 270 lanceurs à 4 coups et 180 lanceurs à 6 coups du même calibre que les LBD 40. En l’état, ces armes pourraient tout à fait être chargées avec les mêmes balles semi-rigides en caoutchouc. Avec un risque nettement accru de blessures irréversibles. Ces fusils sont en effet capables de tirer leurs munitions en quelques secondes et sont plus lourds et donc moins maniables. Contactée par le quotidien, la Direction générale de la police nationale assure que ces lanceurs "multi-coups" sont quant à eux "destinés à tirer exclusivement des grenades lacrymogènes, fumigènes ou assourdissantes".

Si les autorités ne communiquent pas sur la comptabilité officielle des blessures, ces dernières semaines, le LBD 40 est suspecté d’avoir blessé gravement plus de 30 personnes, dont 10 ont été éborgnées. C’est le cas d’Antoine C., 25 ans, blessé à l’œil le 8 décembre place de la République, et qui a depuis porté plainte contre les forces de l’ordre. Selon le procès-verbal, qui consigne un premier récit des faits, le jeune homme a été touché au visage alors qu’il tentait de s’éloigner de la manifestation qu’il était venu observer par curiosité : "Il y a eu un mouvement de foule, je regardais ce qu’il se passait. D’un coup, je suis tombé. J’étais un peu sonné, les gens autour de moi m’ont aidé à me relever. J’entendais "il l’a pris dans l’œil, il l’a pris dans l’œil"."
Antoine C. se rend alors compte que du sang coule de son visage et les médecins lui annoncent qu’il a une fracture du plancher orbital et qu’il a perdu la vue de cet oeil. 
"Ce sont des armes qui sont fréquemment utilisées par les fonctionnaires de manière offensive à des distances non réglementaires et sur des parties du corps interdites", estime son avocat Arié Alimi. 

Plusieurs lycéens ont aussi été blessés gravement au visage lors de mobilisations devant leur établissement. La première semaine de décembre a été particulièrement désastreuse. A chaque fois, le LBD 40 est soupçonné d’être à l’origine des blessures. Le 4 décembre, à Grenoble, Doriana, 16 ans, a eu la mâchoire fracturée et des dents cassées. Le lendemain, à Garges-lès-Gonesses (Val-d’Oise), Issam, 17 ans, a eu lui aussi la mâchoire fracturée et un bout de la joue arraché. Le même jour, près d’Orléans, Oumar, 16 ans, a eu un enfoncement de l’os du front et d’importantes fractures. Le 6 décembre, enfin, à Béziers et Vénissieux, Jean-Philippe et Ramy, 16 ans, ont été mutilé à l’œil gauche. On peut encore citer cet élève de 16 ans atteint à la tête le 5 décembre dans la banlieue d’Orléans (centre).

Au départ, l’utilisation du LBD 40 n’était pas prévue lors des manifestations. En 1998, Christian Arnould, alors chef du bureau des équipements du service central des CRS, s’y était d’ailleurs opposé : "Symboliquement, en matière de maintien de l’ordre, cela signifie que l’on tire sur quelqu’un, alors que, depuis des années, on prend soin de tirer les grenades à 45 degrés sans viser les personnes en face." Pour le sociologue Cédric Moreau de Bellaing, spécialiste des questions de police, l’usage "des armes sublétales a plus d’effets délétères que positifs", car est ancrée "l’absolue certitude qu’au pire on amochera mais qu’on ne tuera pas".

Le Défenseur des droits alerte lui aussi depuis 2013 sur la dangerosité des lanceurs de balles de défense. Selon cette autorité administrative consultative et indépendante, qui est chargée de défendre les droits des citoyens en France et qui a rendu un rapport dédié au maintien de l’ordre en décembre 2017, cette arme est inadaptée "à une utilisation dans le cadre de ces opérations". En effet, cette arme "ne permet ni d’apprécier la distance de tir ni de prévenir les dommages collatéraux" car, lors d’une manifestation, "les personnes visées sont généralement groupées et mobiles ; le point visé ne sera pas nécessairement le point touché".

Dans le cadre de ce rapport, Michel Delpuech, le préfet de police de Paris, s’était justement engagé à ne plus utiliser cette arme dans les cortèges. Alors pourquoi un tel revirement lors des événements parisiens des gilets jaunes ? La préfecture de police répond que "les manifestations non déclarées de gilets jaunes ont pris une configuration de violences urbaines" et qu’il "n’était pas question dans ce cadre de laisser les policiers démunis d’armes intermédiaires face à la violence des participants à ces attroupements".

"Mal nécessaire" ou arme excessivement dangereuse ?
 
Les lanceurs de balles de défense sont utilisés par les forces de l'ordre en France.

La controverse autour de l’utilisation des lanceurs de balles de défense a été relancée en France après les blessures de manifestants pour la défense du pouvoir d'achat et contre la réforme du baccalauréat.
"J’ai eu une fracture sous l’oeil au niveau du plancher orbital, le nez fracturé à trois endroits et 25 points de suture", assure Constant Deniaux, 43 ans, qui affirme avoir été touché par un tir de lanceur de balle de défense (LBD) alors qu’il participait le 8 décembre à un barrage filtrant de Gilets jaunes sur un boulevard de la ville de Caen (nord-ouest).
"Je ne sais pas pourquoi j’ai été visé", poursuit Constant Deniaux. "J’étais à 30 mètres, sur les hauteurs, et j’étais observateur. Je pense que j’ai été visé délibérément", estime ce technico-commercial, actuellement au chômage, qui dit faire partie "des personnes blessées inutilement".

Le ministère de l'Intérieur commande 1 280 lanceurs de balles de défense LBD40
"Choquées» par ces incidents, quelque 200 personnalités en France, dont plusieurs députés, ont appelé début décembre à interdire "immédiatement" l’usage de ces fusils.

Le 14 décembre, Amnesty international a exhorté la police française à "cesser de recourir à une force excessive contre les manifestant.e.s et les lycéen·ne·s".

Pour l’heure, le 18 décembre, la Cour européenne des droits de l’Homme a rejeté une requête de manifestants blessés par des tirs de LBD et qui en demandaient l’interdiction en urgence. 

Depuis le début de la mobilisation des «gilets jaunes» le 17 novembre, les blessures par LBD et d’autres violences policières présumées ont pour l’heure abouti à 48 saisines de l’IGPN, la police des polices.
L’IGPN avait ouvert huit enquêtes liées à l’utilisation de lanceurs de balles de défense en 2017 et onze en 2016, année marquée par les manifestations contre la 'loi travail' de Muriel Pénicaud, émaillées de violents incidents.

Bien qu'il se dise à l'écoute, le pouvoir continue de défendre une arme non létale dont l’usage est réglementé. Mieux, il renforce sa force de frappe.
"L’utilisation du LBD est très cadrée et s’appuie sur un cadre légal précis", affirme une source policière, évoquant notamment des formations obligatoires et l’obtention d’un certificat d’aptitude.
"Le LBD est une arme intermédiaire, utilisée pour stopper des manifestants et arrêter les individus dangereux ou agressifs envers la police", assure Jean-Louis Courtois, expert en armes auprès de la Cour d’appel de Paris et rédacteur en chef de la revue Commando magazine.
"C’est le matériel le plus adapté avant l’utilisation létale d’une arme à feu", soutient-il. "Le retrait de ce type de matériel mettrait en danger les fonctionnaires de police", assure-t-il, pour qui l’utilisation du LBD est "un mal nécessaire".

Pour Vincent Denis, maître de conférence en Histoire moderne à La Sorbonne et spécialiste de la police, l’utilisation des LBD, à partir de la fin des années 90, a toutefois marqué "un tournant" en France, car "la doctrine du maintien de l’ordre depuis 1945 était de ne pas tirer sur les manifestants".
Si ces armes ne sont pas létales, elles blessent "pour la vie", ce qui "contribue à alourdir le bilan en matière de blessés", nuance V. Denis.

Depuis début décembre, David Dufresne collecte sur Twitter des vidéos de violences policières présumées lors des récentes mobilisations en France et le journaliste-documentariste indépendant s’étonne "qu’il y a ait si peu de débat autour de ces dizaines de blessés" par LBD.
"Depuis les manifestations contre la loi travail, l’affrontement est complètement assumé", estime le journaliste, ajoutant qu’ "il y a une forme de militarisation du maintien de l’ordre qui n’était pas du tout à l’oeuvre jusqu’ici".

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