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jeudi 17 janvier 2019

Avec les maires, Macron a "pipé" le "grand débat" à la veille de son ouverture

"Dans sa lettre aux Français, le Président corsète le débat" (Benedetti) et, face aux maires, il apporte toutes les réponses 

Arnaud Benedetti soupçonne Emmanuel Macron de manquer de sincérité dans la consultation inédite qu'il propose aux Français. 

Résultat de recherche d'images pour "Le coup de com' permanent"
Le choix de deux ministres pour coordonner ce débat renforce le sentiment d'un pilotage par le haut, explique ce professeur associé à l'Université Paris-Sorbonne, spécialiste de communication politique. Il vient de publier Le coup de com' permanent (éd. du Cerf, 2017) dans lequel il détaille les stratégies de communication d'Emmanuel Macron.

Le Président de la République a adressé hier soir sa "lettre aux Français" en vue du "grand débat national" annoncé. Sur la forme déjà,que penser de ce mode inédit de communication politique?  lui a demandé Le Figaro, le 14 janvier.

Arnaud BENEDETTI.- Ce n'est pas fondamentalement inédit: François Mitterrand en 1988, Nicolas Sarkozy en 2012 ont utilisé déjà le format de la "lettre aux Français", mais c'était dans la perspective d'une campagne présidentielle. Macron s'est finalement beaucoup exprimé ces dernières semaines. Le problème est que sa parole officielle ne "performe" plus, ou lorsqu'elle impacte, ce n'est que négativement. Il lui faut retrouver un mode d'adresse aux Français qui fasse l'économie des traits les plus "allergisants" de la perception, à tort ou à raison, qu'il véhicule. 
La lettre, après tout, est un vecteur qui en parlant à chacun d'entre nous peut être susceptible d'amodier la communication. Ecrire à quelqu'un, c'est prendre du temps, c'est graver aussi un message dans la mémoire, c'est acter un engagement. La lettre est parée d'une force symbolique que l'on n'accorde pas à la parole. Le dicton populaire ne dit-il pas: "Les écrits restent, les paroles s'envolent»? Or, le problème, c'est ce que ce dicton est démenti par les psychanalystes: "les paroles restent". Est-ce que l'écrit du Président Macron est susceptible d'effacer les mots polémiques, blessants, maltraitants qu'il a pu utiliser? Il existe un dépôt de méfiance et de défiance qui s'est cristallisé autour d'Emmanuel Macron. Difficile de s'en défaire...

Vous avez souvent reproché au chef de l'État d'être prisonnier des artifices de la com'. Ce grand débat est-il davantage, cette fois-ci, qu'un simple coup de communication?

La communication politique n'est pas un gros mot si elle contribue à densifier le débat démocratique, si elle porte une dialectique argumentaire et contre-argumentaire. Elle est même de ce point de vue au principe de la démocratie. Le problème, c'est quand elle se dégrade en instrument, en savoir-faire dont l'objectif consiste à déréaliser et à sur-signifier un message. Emmanuel Macron est un émetteur ; il a du mal à se concevoir, à se penser comme un récepteur. Ou s'il se pense comme récepteur, il ne se confronte que très peu à l'altérité. On lui reproche son manque d'écoute. L'exercice dans lequel il se lance, fortement contraint par une situation politique et sociale qu'il n'a pas vue venir et qu'il a sous-estimée, vise à apporter la démonstration qu'il est capable d'entendre et de tenir compte. Le problème, c'est qu'il se heurte au scepticisme et au soupçon de facticité.

En d'autres termes, tout l'enjeu pour lui consiste à s'extirper du seul exercice communicant pour entrer dans la voie de la négociation, de la production d'une sortie de crise politique dont il ne peut à lui tout seul être l'initiateur. Est-il disposé à cette humilité? C'est la question qui lui est posée. L'homme démocratique est d'abord un homme qui doit accepter la modestie. Or, nos institutions comme la personnalité propre du chef de l'Etat n'incitent pas forcément à cette prédisposition.

Vous ne pensez donc pas qu'Emmanuel Macron soit sincèrement disposé à repenser sa ligne politique au prisme de ce qu'il ressortira de ce débat?

Le problème, c'est celui de l'injonction paradoxale. Comment ouvrir un débat et vouloir le cadrer, en fixant des périmètres. L'exercice tel qu'il se dessine a plus l'épure méthodologique d'une conférence de méthode de Sciences Po, avec ses quatre grands thèmes, que celui d'une agora libre où l'on puisse échanger sans qu'aucune question n'en soit exclue. 
In fine, Emmanuel Macron est déchiré entre deux contraintes: la première qui consiste à ne pas détricoter son logiciel politique, et la seconde qui consiste à donner du mou à un appareil qui, s'il ne s'en déleste pas un peu, lui fait courir le risque d'un krach quasi-révolutionnaire. 
S'ajoute à cette double contrainte le fait qu'on a l'impression qu'ayant reculé sur la taxe carbone, le Président paraît confronté depuis ce retrait à une forme de blessure narcissique qu'il combat par un regain de fermeté et d'inflexibilité. De ce point de vue, les vœux présidentiels, ainsi que la petite phrase sur les Français et le sens de l'effort, donnent l'impression d'un homme à la recherche de son image perdue.

Selon vous, les questions posées par le chef de l'État ne font pas le tour des sujets qui préoccupent les Français, et en particulier les 'gilets jaunes'?

Ce qui frappe à la lecture de sa lettre, c'est que le Président ne renonce pas à penser qu'il a été élu sur la force de son projet. Il l'écrit d'ailleurs: "je n'ai pas oublié que j'ai été élu sur un projet, sur de grandes orientations auxquelles je demeure fidèle". C'est bien le fond du problème. 
Emmanuel Macron est bien plus le produit d'un malentendu que d'une adhésion. C'est le drame originel de ce quinquennat que celui d'un Président qui pense sincèrement avoir gagné sur une politique à laquelle des segments entiers de la société opposent un refus

Le chef de l'Etat corsète le débat sur le logiciel économique et social. On voit qu'il y a là assez peu à négocier. Excluant un retour à l'ISF, marqueur fort de la revendication "giletiste", l'exécutif reste intraitable sur ses fondamentaux. Or, toute la difficulté relève de ce sentiment diffus d'une partie de l'opinion qui considère que les grandes orientations économiques et sociales échappent de plus en plus à la confrontation démocratique. Macron est platement maastrichtien: pour lui, la décision économique relève d'abord de l'expertise, mais pas de la sphère démocratique.
Or, implicitement, la demande des 'gilets jaunes' vise à réintroduire cette dimension au centre du forum. Ne voulant rien lâcher sur le socio-économique, le Président ouvre des espaces pour la question institutionnelle, et encore, avec certaines limites. Mais le sujet lui coûte moins politiquement, même s'il ne prend pas, à mon sens, la mesure profonde de la crise de régime que nous traversons. Au fond, la question qui lui est posée est la suivante: êtes-vous prêt à vous hisser à la hauteur des événements? Or, le débat national me paraît être un instrument sous-dimensionné au regard du mal politique qui frappe le pays.

Que vous inspire le choix d'Emmanuelle Wargon et de Sébastien Lecornu pour conduire ce débat?

On ne débat pas de haut. Pour coordonner un débat, le choix de deux ministres renforcera inévitablement le sentiment d'un pilotage en surplomb, d'un cadrage où tout est finalement décidé en amont. Encore une fois, le risque est grand de verser dans ce qu'Edward Bernays, le père des relations publiques, appelait à la suite du grand éditorialiste Walter Lippman "la fabrique du consentement". Le problème est qu'une partie de la société ne veut plus consentir à... consentir!
Voilà pour les arguments du professeur Benedetti.

Le grand show de Macron devant un parterre de maires ruraux,
"c'est de la pipe"...

Emmanuel Macron devant 653 maires normands, le 15 janvier 2019 à Grand Bourgtheroulde dans l'Eure.

Or, ce sont ceux de l'Eure, dont le président du Conseil départemental fut Sébastien Lecornu, jusqu'à la constitution du gouvernement Philippe, et dans la petite commune triée sur le volet, celle de Bruno QuestelGrand Bourgtheroulde, jusqu'à ce qu'il soit député LREM. Difficile d'y voir une opération à grands risques...

Malgré les efforts de Macron, les maires gardent leurs distances
Le "petit débat de Macron avec les maires a pipé le grand débat national avec la population. Le président hautain s'est trompé d'auditoire : en craignant le franc parlé des "gilets jaunes" et en les contournant, Macron a opté pour la facilité d'un débat aseptisé avec des élus qui respectent les règles du jeu de l'ancien monde.
Macron veut qu’ils jouent "un rôle essentiel", mais de nombreux maires restent sceptiques : si le président ne ménage pas ses efforts à l’attention des élus locaux, c’est parce qu'il mise sur eux pour animer à la consultation nationale du 15 janvier au 15 mars 2019. 
Philippe Laurent, maire UDI et vice-président de l’Association des maires de France (AMF). "Je rappelle qu’il n’est pas venu au Congrès [de l’AMF], et que, lorsque nous avons envoyé des propositions au gouvernement, nous n’avons pas eu d’accusé de réception".
Or, s'il a commencé par les mépriser, il doit maintenant faire appel à eux pour organiser les débats et ils sont sur leurs gardes. D'autant qu'ils sont en première ligne pour recevoir les revendications des Français et ils ont des raisons de craindre d'être perdants-perdants à l'arrivée, car tout dépend des suites que donnera le gouvernement à cette consultation lancée afin de sortir de la crise des "gilets jaunes".

Dans sa 'Lettre aux Français', il leur a demandé de faire des propositions sur une trentaine de questions. Or,
devant les quelque 600 maires ruraux , il a apporté ses propres réponses avant même que soit ouvert le 'débat national'...

C’était la première d’une série de déplacements régionaux pour discuter avec des édiles. Le prochain est à Souillac dans le Lot, vendredi.

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