Les Gilets jaunes pousseront-ils Macron à assainissement de la République ?
Le succès des Gilets jaunes - y compris sur la durée - tient aussi au fait que les Français tournent le dos à la classe politique et aux intermédiaires traditionnels, dont les élus qui disent les comprendre mais suivent aveuglément les consignes d'un président qui a flouté ses promesses de campagne et ne leur correspond pas sur le fond et la presse en qui ils ne se reconnaissent pas dans les manières pareillement arrogantes de sachants - non élus et illégitimes à exercer un pouvoir moral sur les esprits - et dont ils contestent l'accaparement du pouvoir de juger comme de leur souveraineté démocratique. Ils ne veulent plus être infantilisés parce qu'ils n'ont pas les mots pour impressionner et manipuler. Ils réclament des représentants en qui ils puissent se reconnaître, faute de quoi ils sont prêts à reprendre leurs délégations et à exercer leur pouvoir directement.
Les Gilets jaunes lancent à Macron le défi du rétablissement de la démocratie
Or, il n'est pas acquis qu'ils se satisfassent d'une pseudo démocratie participative, telle que celle qu'il met en place, avec cadrages et filtres multiples. Dans l'hypothèse où il ne comprendrait toujours pas que son rapport au peuple et les mentalités de son entourage, comme des blancs-becs de sa majorité à l'Assemblée, doivent changer, son "adresse à la Nation", lundi soir, est vouée à l'échec. Et, au-delà son quinquennat, mais surtout l'avenir des Français.
Macron s'est laissé éjecter hors des rails de ses promesses de campagne.
En pensant gagner du temps avec le "grand débat national", tout en travaillant à son implantation rurale, lors de ses meetings en régions, en vue des Européennes, il met en place des rencontres qui, d'une part, affaiblissent le Parlement, et d'autre part, entretiennent la contestation sur plusieurs mois, à travers le pays.
Il est d'ores et déjà attendu, comme à l'orée d'un bois, à l'issue de ce grand débat, quand la collecte des doléances devra être compète et fidèle aux voeux de la population, alors qu'il a déjà donné la preuve de son incapacité d'écoute et de compréhension de ses aspirations. Pour de bon, cette fois, il lui faudra "assumer" les demandes de référendum d'initiative citoyenne (RIC) et d'assemblée citoyenne, une démocratie horizontale qui ne lui correspond nullement: devra-t-il se renier et décider la dissolution de l'Assemblée ? Détournera-t-il l'attention sur une réforme ou suppression du Sénat, Chambre haute et représentative de la ruralité, laquelle est précisément en tête de la contestation sociale actuelle ? Aussi sûrement qu'avec sa loi "anti-casseurs" en cours d'examen - après ses recours abusifs à l'article 49.3 pour forcer, à trois reprises consécutives, le passage de la Loi Travail - l'affaiblissement ou l'extermination des sénateurs serait une atteinte mortelle au pluralisme républicain et à la démocratie, alors que l'assemblée qui fait réellement débat, en termes de démocratie est le CESE (Conseil économique, social et environnemental), constitué de 233 individus - plus 60 personnalités associées, dont Jean-Yves Mano, USM, Union Syndicale des Magistrats, Patrick Doutreligne, ex-Adoma, Lucie Montchovi, journaliste d service public sur France Info, ou Mohamed Mechmache, AClefeu ! et une forte représentation d'acteurs socio-professionnels de la région de Nantes et Saint-Nazaire, chère à Jean-Marc Ayrault - désignés pour cinq ans (fonction renouvelable un seule fois), dont le rôle, uniquement consultatif, la composition et l'absentéisme de certains de ses membres, sont pourtant régulièrement dénoncés...
Cette "chambre des dépités" est censée éclairer le gouvernement sur des sujets de société, mais composée de politiciens usés ou déchus, de syndicalistes en fin de carrière (Philippe Jahshan, SUD, Gérard Aschieri, FSU, Julien Blanchet, FAGE, ou Jacques Pasquier, Confédération paysanne), de sportifs (Bernard Amsalem) ou d'artistes en mal de succès (Rost Adom'megaa, artiste-écrivain, ou Régis Wargnier, réalisateur), leurs bons et loyaux service de féaux leur vaut cette niche dorée (Bougrain-Dubourg, LPO, François Asselin, Isabelle Autissier, Françoise Rudetzki, ou Anne-Marie Couderc, Presstalis, ou le défunt journaliste Michel Thomiche). On les trouve surtout dans le contingent des 40 'PQ' (personnalités qualifiées), directement nommées par l’Elysée. Récemment, François Hollande n’a pas résisté à y placer son ami Jean-Luc Bennhamias, qui n’avait plus de mandat, ou son copain de promo de l’ENA, Jean-Marie Cambaceres. Christian Estrosi y avait également trouvé refuge à une époque, de même que Luc Ferry lorsqu’il était sorti du gouvernement.
Cette troisième assemblée constitutionnelle a toujours été gangrené par un fort absentéisme : officiellement, il n’est que de 30% en séance plénière et 35% en réunion de section mais, en réalité, bien plus élevé : certains ont ainsi pu cumuler jusqu’à 11 "mots d’excuse" sur un trimestre. Le 11 juillet 2017, pour la venue d'Edouard Philippe, l'hémicycle du CESE était plein. Deux jours plus tard, pour la séance plénière ordinaire, les rangs étaient clairsemés. Un jour, une haut-fonctionnaire de son cabinet propose à Roselyne Bachelot de saisir le CESE sur un dossier. "Surtout pas ! lui répond la ministre. Ils vont mettre un an à me sortir de l’eau tiède !". De fait, le gouvernement ne saisit le CESE que 5 à 6 fois par an, et le Parlement quasiment jamais.
Une pompe à finance des centrales syndicales.Sur les 233 membres du CESE, près d’un tiers, 69, appartiennent à des syndicats de salariés qui ont un quota de membres (la CGT en a 18, la CFDT également, FO 14, etc…). Ces conseillers ont la particularité de reverser l’intégralité de leur indemnité (environ 3.000€/mois) à leur syndicat. Parfois c’est même le CESE qui la vire directement sur le compte de l'organisation en toute légalité ! La CGT, qui compte 18 représentants au CESE et 200 dans les CESER (les CESE des régions) empoche ainsi pas loin de 35 millions d’euros par an. Ce système de financement déguisé des syndicats par l’Etat a été dénoncé en 2011 dans un rapport parlementaire de l’ex-député centriste Nicolas Perruchot. Son contenu était tellement explosif que le gouvernement avait préféré l’enterrer, avant qu’il ne fuite dans la presse. Rassurons-nous, les organisations patronales (41 conseillers) ne sont pas en reste.
Au palais d’Iéna, le salaire moyen des agents approche les 4.000€/mois. Un niveau rarement égalé dans la fonction publique, tout comme les 150.000€ annuels du secrétaire général. Après Jean-Paul Delevoye (2010-2015), 72 ans, actuellement haut-commissaire à la réforme des retraites auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn depuis le 14 septembre 2017, c'est Patrick Bernasconi (depuis 2015), 64 ans.A ce prix-là, les agents ont en plus la possibilité de faire une heure de gym par jour sur leur temps de travail, et bénéficient d’un nombre de jours de congés qui fait que certains travaillent moins d’un jour sur deux en moyenne sur une année… Et ça se comprend, selon un ancien haut fonctionnaire de la maison : "le personnel a noué de fortes relations de solidarité avec les syndicats présents dans l’assemblée… Au cours du temps, ils ont obtenu des statuts et des déroulements de carrière sans équivalent…". On ne s'y embarrasse d'ailleurs pas de règles élémentaires de bonne gestion. Pendant longtemps, le CESE déclarait une dizaine de postes "fantômes" au ministère des Finances, et Bercy les finançait en tant que tels... Cette enveloppe était ensuite répartie en primes entre les salariés ! Certains agents se voyaient attribuer des heures supplémentaires fictives. Quoi encore ? La gestion des achats se faisait sans appel d’offres… Deux audits de la Cour des comptes ont semble-t-il permis de remettre un peu d’ordre, mais les juges s’interrogent toujours sur la légalité de certaines primes et ont trouvé des agents dont le temps de travail est de 200h inférieur à la durée légale annuelle ! S'étonnera-t-on encore que le système de retraite est déficitaire ?Si certains conseillers ne touchent rien pendant leur mandat, ils reçoivent leur gratification plus tard : la retraite des membres du CESE a longtemps été extrêmement avantageuse. Pour un mandat de 5 ans, elle donnait droit à une pension de 700€ mensuels, qui vient s’ajouter à la pension de droit commun, dont la plupart en bénéficient après avoir exercé une activité professionnelle rémunérée. Dans les faits, de nombreux conseillers effectuant plusieurs mandats, la pension moyenne est aujourd’hui de 1.200€ pour les 600 anciens membres. Mais ce taux de réversion très généreux a fini par menacer l’équilibre des comptes de l’institution, la caisse de retraite étant très déficitaire. Plusieurs réformes, la dernière en 2015, ont divisé par deux le montant des futures pensions, mais le CESE doit encore remettre 6 millions d’euros tous les ans pour équilibrer le système…Au CESE, nul besoin de feuille de frais pour avoir droit à une indemnité…Sur les 3.000€ nets mensuels (pour 4 à 5 demi-journées de présence au palais d’Iéna) que touchent les conseillers, une grosse moitié de ce traitement est constituée d’une "indemnité représentative de frais". Cette indemnité est payée forfaitairement, que les frais soient engagés ou non. Cette 'IRF', que l’assemblée nationale vient de supprimer pour passer au remboursement sur frais réels, subsiste donc au CESE. Et elle présente l’avantage de ne pas être imposable.Faut-il purement et simplement couper la branche morte ?Le 3 juillet dernier, Macron a annoncé qu’il voulait réformer le CESE pour en faire "le forum de notre République", ce qu’il est déjà... Tout en reconnaissant que l’institution s’est figée, il a annoncé la réduction d’un tiers de ses membres, et l’élargissement des sensibilités qui y sont représentées. Sauf que dans l’affaire, les syndicats et les organisations patronales risquent d’y laisser quelques plumes. Pour l’ancien député UDI, Nicolas Perruchot, les partenaires sociaux risquent de faire front commun pour tenter de limiter les dégâts : "C'est une partie importante, pour certains syndicats, de leur fonctionnement annuel. Ils considèrent que le CESE est en partie à eux. Je suis persuadé que les partenaires sociaux [...] seront très liés entre eux pour éviter qu'on touche à ce qu'ils considèrent être un dû.".
A la surprise initiale de l'exécutif qui n'y voyait qu'un mouvement pour le pouvoir d'achat, des revendications ou propositions d'ordre institutionnel ont émergé ces dernières semaines chez les "gilets jaunes".
Ils ont "une deuxième revendication très forte: le besoin de s'exprimer et que la décision publique demain ne se fasse plus sans les Français", a reconnu, dimanche soir, le secrétaire d'Etat Mounir Mahjoubi sur BFMTV. Avant d'assurer qu'Emmanuel Macron va "évoquer ces deux aspects", lundi.
Vers une facilitation du recours au référendum ?
Depuis la réforme de la Constitution en 2008, "un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales", soit au moins 185 députés et sénateurs et plus de 4,5 millions d'électeurs, peuvent déclencher un référendum dit d'initiative partagée. Du fait d'une loi organique appliquée tardivement, la mesure n'est en vigueur que depuis le 1er janvier 2015 et n'a jamais été utilisée, notamment car ses conditions sont très restrictives.
Dans une liste de revendications diffusée fin novembre par des Gilets jaunes, il est proposé un "référendum populaire" dans la Constitution, comme le réclament par ailleurs des partis comme La France Insoumise, LFI, le Rassemblement national, RN, ou encore 'Debout la France', ainsi que certains élus LR.
Dans la revendication des Gilets jaunes, une proposition de loi obtenant 700.000 signatures -sous le contrôle d'un organisme indépendant- entraînerait un référendum national dans un délai d'un an et après un passage pour éventuel amendement à l'Assemblée nationale.
Or, avant le phénomène Gilets jaunes, Macron retardait sa réforme constitutionnelle. Arrivant au Parlement en janvier, elle ne comprend pas pour l'heure d'élargissement du recours au référendum. Au gouvernement, le ministre de l'Ecologie, François de Rugy, notamment soutient "l'idée de recourir davantage au référendum, au niveau national, voire local" pour "consulter les Français sur un certain nombre de sujets", selon un de ses proches.
Mais certains, comme le démographe Hervé Le Bras, avertissent du risque de couper encore davantage Emmanuel Macron des corps intermédiaires, comme il est souvent reproché au président. "Cette disparition des corps intermédiaires conduit en général non seulement à des régimes qu'on appelle populistes mais aussi à des régimes autoritaires", avertit le chercheur, 75 ans.
Des conseils citoyens ?
Les députés Bertrand Pancher (membre du Mouvement Radical et co-président du groupe Libertés et Territoires, 16 députés, marginaux réunis par des intérêts techniques) et Matthieu Orphelin (LREM) proposent notamment d'établir un ou des conseils rassemblant 100 citoyens tirés au sort et représentatifs par quotas de la population française. Doté d'un avis consultatif, ce conseil se prononcerait sur les décisions gouvernementales ou parlementaires, sur le modèle de l'Irlande, qui l'a adopté en 2016.
Une piste soutenue par le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, qui a affirmé lundi matin sur RTL être pour "des assemblées citoyennes", même via un "tirage au sort au niveau local", jugeant qu'"il y a trop d'élus départementaux, trop d'élus régionaux, trop d'élus nationaux".
L'exécutif prévoit déjà de réduire de 30% le nombre de parlementaires et d'introduire une dose de 15% de proportionnelle aux législatives. Mais ces mesures sont contestées par la droite dans le cadre des négociations sur la future réforme des institutions.
Trois mois de dialogue : et après ?
L'exécutif a déjà annoncé un "grand débat" de trois mois, du 15 janvier jusqu'au 1er mars dans de nombreuses villes de France. Un débat au niveau des "territoires", que le premier ministre Edouard Philippe veut "innovant" et "foisonnant" et dont l'organisation avait été confiée à l'ancienne secrétaire d'Etat à l'Ecologie Chantal Jouanno, qui a préféré abandonner son pilotage (quand a été révélé son salaire de 15.000 euros), tout en conservant les avantages liés à la présidence de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP).
Selon une source ministérielle, le gouvernement veut que le rôle des préfets (et donc de l'Etat) soit minimal. Et laisser au maximum l'organisation à des associations d'élus ou des syndicats, avec des débats ouverts au public. Ces débats locaux, sans doute plusieurs par départements, auraient lieu en mairie, a annoncé vendredi le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux.
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