Pour Arnaud Benedetti, le camp de la majorité aurait tort de crier victoire trop vite
Professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne et rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire, ce communicant et observateur attentif de la vie politique note que si LREM confirme qu’elle possède une base électorale solide, elle se resserre néanmoins sur une couche sociale élitiste et peu rassembleuse.
FigaroVox- Arithmétiquement, Emmanuel Macron n’a pas gagné les élections ce dimanche. Pourtant, sa stratégie semble victorieuse?
Arnaud Benedetti.- L’essentiel pour Emmanuel Macron était de ne pas perdre la face. Le faible écart entre le RN et LREM lui assure cet objectif. Il ne gagne pas certes, mais il ne perd pas vraiment. La victoire du RN apparaît en soi peu signifiante, puisqu’elle ne sidère pas les professionnels de l’exégèse politique. Or, la sidération est un facteur-clef de la nature d’un événement. Macron attache, quoi qu’il en dise, une importance aux commentateurs politiques, car il sait qu’ils participent pour une part à la construction de la perception de la situation politique. Ils sont en deuxième rideau, à tort sans doute au demeurant, des «juges de paix» de la représentation politique... après les électeurs. Le storytelling, dans ces conditions, peut perdurer. Le récit communicant suscité par cet échec - Macron avait fait symboliquement de la défaite du RN l’un des enjeux de la consultation - permet d’occulter «ce qui ne se voit pas», pour reprendre la distinction de l’économiste Frédéric Bastiat, au profit de «ce qui se voit».
Qu’est ce qui se voit? La résistance du socle électoral des marcheurs... Ce qui ne se voit pas? Le fait que le RN ait ["a", puisque c'est une réalité arithmétique] gagné 1 million de voix par rapport à 2014, qu’il soit en tête dans 76 départements, que Macron soit [est] confronté à 8 électeurs sur 10 après deux ans de mandat opposés à sa politique, à sa majorité, à son style aussi... L’effet d’optique irradie l’impression immédiate et dissimule la sociologie politique profonde du scrutin qui est loin de jouer en faveur du pouvoir.
Qu’est ce qui se voit? La résistance du socle électoral des marcheurs... Ce qui ne se voit pas? Le fait que le RN ait ["a", puisque c'est une réalité arithmétique] gagné 1 million de voix par rapport à 2014, qu’il soit en tête dans 76 départements, que Macron soit [est] confronté à 8 électeurs sur 10 après deux ans de mandat opposés à sa politique, à sa majorité, à son style aussi... L’effet d’optique irradie l’impression immédiate et dissimule la sociologie politique profonde du scrutin qui est loin de jouer en faveur du pouvoir.
Au-delà de la com’, il semble qu’il y ait une base électorale solide derrière LREM. Ce que de nombreux politologues avaient pourtant nié…
Peut-être comme jamais depuis la moitié du XIXe siècle, la société du haut ne s’était aussi savamment organisée pour assurer la protection de sa vision du monde.
Macron fédère une base sociologique motivée, politisée, consciente que, pour défendre ses intérêts, il faut qu’elle fasse bloc. Marx eut fait son miel analytique de cette séquence historique. Peut-être comme jamais depuis la moitié du XIXe siècle, la société du haut ne s’était aussi savamment organisée pour assurer la protection de sa vision du monde. Il a su récupérer la droite ordo-libérale, conformiste, paternaliste qui a volé à son secours lors de cette élection au détriment de François-Xavier Bellamy. Les scores des marcheurs dans les Hauts-de-Seine, dans les Yvelines, à Versailles entre autres sont autant d’illustrations de ce transfert de voix. Il faudra le vérifier, mais on peut penser qu’entre 2017, date de son élection et aujourd’hui 2019, le fonds électoral, plutôt centre-gauche, voire de gauche sociale-démocrate, a muté, se «droitisant» très certainement. Ce qui ne manquera pas de poser à terme la question des alliances pour Emmanuel Macron: le terreau de la gauche est durablement asséché, mais la zone de chalandise qu’il entend et peut occuper à droite sera l’objet d’une sévère concurrence, même s’il n’a pas renoncé à braconner à gauche .
Au RN, il s’agit maintenant de convertir l’essai en récupérant ce qu’il reste de l’électorat républicain. Pour Marine Le Pen, le «en même temps» doit-il commencer?
Marine Le Pen, comme Emmanuel Macron au demeurant, est confrontée à l’exercice de sa mue. Elle incarne moins l’expression identitaire de la droite nationale dont elle est issue que l’affirmation d’un néo-souverainisme. C’est sa force aujourd’hui dans un contexte où les enjeux de protection et de puissance sont soumis à la faillite du modèle de Maastricht.
Pour autant, la bataille pour récupérer la droite républicaine est désormais ouverte. Comment? Sous quel format? OPA? Alliance à venir? Les questions se posent. Mais c’est un sujet essentiel. Pourra-t-elle rassurer cet électorat en déshérence, pas hostile à la construction européenne mais charnellement opposé à Macron, tout en conservant la dynamique idéologique qui fait aujourd’hui sa capacité d’attraction? Il faut qu’elle s’invente une nouvelle force de projection électorale, susceptible d’agréger des sensibilités et non pas de les incorporer. Mitterrand à gauche et Chirac à droite avaient su faire cela. On va mesurer maintenant l’aptitude de Marine le Pen à élargir son champ d’attraction, sa capacité à se transformer, à l’instar des deux anciens Présidents de la République, en animal tactique. Max Weber dit de l’entrepreneur politique qu’il lui faut de la «vista». Marine Le Pen est entrée dans une phase de post-dédiabolisation qui suppose de sa part désormais un sens tactique exceptionnel pour devenir une rivale crédible. Cela supposera encore des aménagements doctrinaux et une patience stratégique.
Pour autant, la bataille pour récupérer la droite républicaine est désormais ouverte. Comment? Sous quel format? OPA? Alliance à venir? Les questions se posent. Mais c’est un sujet essentiel. Pourra-t-elle rassurer cet électorat en déshérence, pas hostile à la construction européenne mais charnellement opposé à Macron, tout en conservant la dynamique idéologique qui fait aujourd’hui sa capacité d’attraction? Il faut qu’elle s’invente une nouvelle force de projection électorale, susceptible d’agréger des sensibilités et non pas de les incorporer. Mitterrand à gauche et Chirac à droite avaient su faire cela. On va mesurer maintenant l’aptitude de Marine le Pen à élargir son champ d’attraction, sa capacité à se transformer, à l’instar des deux anciens Présidents de la République, en animal tactique. Max Weber dit de l’entrepreneur politique qu’il lui faut de la «vista». Marine Le Pen est entrée dans une phase de post-dédiabolisation qui suppose de sa part désormais un sens tactique exceptionnel pour devenir une rivale crédible. Cela supposera encore des aménagements doctrinaux et une patience stratégique.
On va mesurer maintenant l’aptitude de Marine le Pen à élargir son champ d’attraction.
Les écologistes sont venus perturber la recomposition d’un nouveau duopole. Est-ce seulement un effet d’aubaine?
Ils ont bénéficié de deux facteurs: la tonalité très écologique donnée par le Président de la République à la campagne de LREM et le fait que l’élection européenne constitue pour les Verts un terrain de jeu électoral traditionnellement favorable. Mais ceci n’explique pas exhaustivement leur succès.
D’autres déterminants se sont conjugués: l’éclatement de la gauche sociale-démocrate inapte à se restructurer, l’impasse stratégique de Jean-Luc Mélenchon dont l’analyse parfois fondée et talentueuse du malaise dans la démocratie est troublée par une personnalisation perçue comme excessive, voire troublante, dans une société médiatique qui distribue inégalement en fonction de ses propres systèmes de valeurs sa tolérance aux aspérités de tempérament... [Benedetti ne "calcule" même plus le PS-croupion à la remorque de Place publique menée par le dilettante Raphaël Glucksmann. Quant à Benoît Hamon et Génération.s, peut-être sont-ils quelque part dans son cerveau reptilien].
Les Verts ont manifestement bénéficié du crédit qu’on porte à ce qui s’impose chez eux comme une forme de constance et de cohérence doctrinale. Et de la socialisation des jeunes - les 18/25 ans ont majoritairement voté pour eux - pour lesquels la préoccupation environnementale fait office d’une éducation aussi sentimentale que civique, un romantisme de l’urgence, une injonction politique comme le fut le républicanisme sous la IIIe République. La communication massive autour des enjeux climatiques partout et tout le temps suscite des effets d’adhésion. Pour autant, le vote écologique en France demeure fragile, fugace, liquide. Un succès électoral peut alterner avec un désastre. Les Verts français n’ont pas la structuration des «Grünen» allemands. La culture gauchisante peut à tout moment les réduire à une peau de chagrin.
D’autres déterminants se sont conjugués: l’éclatement de la gauche sociale-démocrate inapte à se restructurer, l’impasse stratégique de Jean-Luc Mélenchon dont l’analyse parfois fondée et talentueuse du malaise dans la démocratie est troublée par une personnalisation perçue comme excessive, voire troublante, dans une société médiatique qui distribue inégalement en fonction de ses propres systèmes de valeurs sa tolérance aux aspérités de tempérament... [Benedetti ne "calcule" même plus le PS-croupion à la remorque de Place publique menée par le dilettante Raphaël Glucksmann. Quant à Benoît Hamon et Génération.s, peut-être sont-ils quelque part dans son cerveau reptilien].
Les Verts ont manifestement bénéficié du crédit qu’on porte à ce qui s’impose chez eux comme une forme de constance et de cohérence doctrinale. Et de la socialisation des jeunes - les 18/25 ans ont majoritairement voté pour eux - pour lesquels la préoccupation environnementale fait office d’une éducation aussi sentimentale que civique, un romantisme de l’urgence, une injonction politique comme le fut le républicanisme sous la IIIe République. La communication massive autour des enjeux climatiques partout et tout le temps suscite des effets d’adhésion. Pour autant, le vote écologique en France demeure fragile, fugace, liquide. Un succès électoral peut alterner avec un désastre. Les Verts français n’ont pas la structuration des «Grünen» allemands. La culture gauchisante peut à tout moment les réduire à une peau de chagrin.
Comme spécialiste de la communication, il ne vous a pas échappé non plus que Laurent Wauquiez a beaucoup attiré l’œil médiatique sur lui dans la fin de la campagne. Quelles leçons doit-il tirer de cette défaite?
Il en tirera les leçons que les circonstances lui dicteront. Il ne peut bien évidemment s’exonérer de sa propre responsabilité, même si le procès en personnalisation me paraît très excessif, tout en étant de bonne guerre dans ce genre de situations. Wauquiez a hérité d’un parti qui a été ruiné politiquement par la présidentielle de 2017. Il a adopté une stratégie de copier-coller assez light [modérée?] des thèses du RN, mais à un moment où l’accaparement n’était plus possible - comme ce fut le cas en 2007 avec Nicolas Sarkozy. L’électorat de Marine Le Pen est épidermique quant à la question de la sincérité. Il juge avoir été trompé sous Sarkozy, tant sur le sujet migratoire que sur la question européenne. On ne lui refera pas les poches deux fois, si j’ose dire...
Un autre élément a contribué sans doute à la fragilisation de la ligne Wauquiez: sa brutalité supposée. Cette dernière est mieux acceptée lorsque le rapport de force vous est favorable. On pardonne aux puissants par crainte, on n’a aucune indulgence pour ceux dont la position est loin d’être assurée. Machiavel est intemporel!
Un autre élément a contribué sans doute à la fragilisation de la ligne Wauquiez: sa brutalité supposée. Cette dernière est mieux acceptée lorsque le rapport de force vous est favorable. On pardonne aux puissants par crainte, on n’a aucune indulgence pour ceux dont la position est loin d’être assurée. Machiavel est intemporel!
Arnaud Benedetti a publié "Le coup de com’ permanent" (éd. du Cerf) dans lequel il détaille les stratégies de communication d’Emmanuel Macron.
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