Le prélèvement à la source, ce n'est pas la tonte fiscale gratuite
Le gouvernement a présenté ce mercredi en Conseil des ministres sa feuille de route vers le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, un parcours semé d’obstacles mais "irréversible", a assuré le ministre des Finances, Michel Sapin.
Le casse-tête de "l’année blanche"
Le prélèvement à la source sera mis en œuvre au 1er janvier 2018. Les revenus salariaux de 2017 ne seront pas imposés. Bercy doit gérer les risques d’optimisation et la taxation des autres revenus.
En tête des difficultés, la gestion de l’année de transition entre l’ancien et le nouveau système de recouvrement. La piste d’une double imposition en 2018 étant impensable, Bercy a annoncé que les revenus salariaux de 2017 ne seront pas imposés. De quoi faire fantasmer sur une "année blanche". Concrètement, les contribuables paieront en 2017 leur impôt sur les revenus de 2016 (ancien système). Et à partir du 1er janvier 2018, ils paieront leur impôt sur les revenus de 2018 (nouveau système). « Les contribuables paieront leur impôt sur le revenu tous les ans et l'Etat encaissera tous les ans une année d’impôt », a prévenu Christian Eckert, le secrétaire d’Etat au Budget. Un jeune entrant sur le marché du travail en 2018 devrait, par exemple, acquitter l’impôt immédiatement. De quoi tordre le cou à l’idée d’un hypothétique " cadeau" fiscal.
Pour les salariés dont les revenus changent peu d’une année sur l’autre, ou sont bloqués, comme pour les fonctionnaires, la transition sera assez simple. Mais comment faire avec les revenus perçus par les indépendants (bénéfices industriels et commerciaux, professions libérales) ? Plusieurs pays ont mis en place des systèmes d’acomptes. Comment, surtout, gérer les revenus exceptionnels (plus-values, dividendes, bonus) perçus au cours de 2017 ? Et ce alors que les revenus du capital ont été mis au barème de l’impôt sur le revenu. Une piste pourrait être de les lisser sur plusieurs années.
Des mécanismes "anti-abus" faits pour être contournés
A cela, s’ajoute les risques d’optimisation fiscale des ménages les plus fortunés, voire des entreprises qui anticiperaient des bonus. " Si on n’y fait pas attention, on risque des phénomènes d’optimisation fiscale agressive", convient Michel Sapin. Des mécanismes 'anti-abus' sont donc indispensables pour empêcher que des contribuables logent artificiellement des revenus sur l’année d’exonération plutôt que sur l’année de taxation. Sans quoi, "cela ne ferait qu’accroître l’injustice du système fiscal entre ceux qui ont la possibilité de différer ou avancer l’imposition de leurs revenus et ceux qui ne l’ont pas", avance le syndicat Solidaires Finances publiques, hostile à la réforme. Derrière cela, c’est le principe même de l’égalité devant l’impôt qu’il faut garantir.
Face à ces risques d’abus (passagers), le Conseil des prélèvements obligatoires soulignait, dans un rapport de 2012 qui fait référence, la "grande variété de solutions pouvant être envisagées ". Dans un rapport récemment publié, Terra Nova (think tank socialiste) préconise d’étaler la réforme (une partie seulement de l’impôt étant prélevée à la source la première année).
Pour le CPO, la difficulté liée à l’année de transition se situe aussi dans le traitement des niches fiscales. Comment, en effet, prendre en compte les crédits et réductions d’impôts au titre de l’année 2017 ? En théorie, si l’impôt sur le revenu 2017 disparaît, les niches qui y sont associés devraient l’être aussi. Problème, "ces incitations fiscales peuvent être nécessaires pour assurer la continuité du financement de certains secteurs économiques, notamment pour les services à la personne (gardes d’enfant)", insiste le rapport Lefebvre-Auvigne publié l’an dernier.
En établissant sa feuille de route, Bercy a mis le doigt dans l'engrenage, mais bien des étapes du chantier restent à franchir avant sa mise en œuvre concrète... lors du prochain quinquennat. A la rentrée, le projet de budget pour 2016 posera des (petits) jalons en encourageant la télédéclaration et le paiement mensualisé. Après quoi sera lancée une concertation, la publication d’un livre blanc étant prévue mi-2016, pour préciser les modalités d’application. Et si la concertation vire au pugilat, Valls nous fera une de ses crises, avec le 49.3 au bout...
La mise en place de cette nouvelle technique de prélèvement posera forcément des problèmes
La gauche assure innover (tout en justifiant cette révolution fiscale par notre originalité seulement partagée avec la Suisse en Europe) et Richard Chalier, associé de Fidroit (présidé par Olivier Rozenfeld) dont le métier est d'assurer la transparence et la suppression des risques de conflit d’intérêts, les réduit effectivement à 3 pièges pour le contribuable.
1. Votre employeur ou votre banquier sera avisé du niveau de vos revenus
Qui sera chargé de cette retenue à la source ? Comme le ministre du Budget l’a affirmé le 17 juin, la décision n’est pas encore prise, mais il n‘existe pas beaucoup d’alternatives. Ce sera soit l’employeur, qui est déjà le collecteur d’autres prélèvements pour le Trésor public, soit le banquier.
"Dans le cas où votre entreprise connaîtra votre taux moyen d’imposition, il disposera d’informations qui pourront être déterminantes au moment de la décision d’augmenter ou non un salarié, déplore Richard Chalier. Certes, si ce taux est de zéro ou très faible, il ne pourra pas savoir si cette situation résulte d’un faible niveau de revenus ou à l’inverse de processus de défiscalisation (voir simulation ci-dessous). Mais dans le cas contraire, si le taux moyen est élevé, il sera indubitablement informé du fait que vous disposez de ressources importantes par ailleurs", affirme-t-il.
Simulation:
Hypothèse : un couple marié ou pacsé avec deux enfants :
. revenus nets imposables : 36 000 € => pas d’imposition
. revenus nets imposables : 81 000 € mais réductions d’impôt à hauteur de 10 000 € (plafond des niches classiques) => pas d’imposition
. revenus nets imposables : 107 000 € mais réduction d’impôt avec niches classiques + SOFICA ou Girardin (Outre-mer) à hauteur de 18 000 € (plafond niches) => pas d’imposition
Dans ces trois cas le taux moyen d’imposition est nul... mais les revenus très différents.
2. Il sera difficile de prendre en compte les réductions d’impôt normalement imputables sur "l’année blanche"
Dans le dispositif décrit par le gouvernement, l’impôt à la source prendrait effet en 2018. Mais cette année-là, seuls les revenus de 2018 seront imposables. Ceux de 2017, normalement imposables l’année d’après seront tout bonnement exonérés (sauf en ce qui concerne les revenus du patrimoine qu’il faudra de tout façon taxer, voir le piège n° 3).
Mais quid des réductions d’impôt récurrentes comme celles dues aux investissements immobilier Scellier, Duflot ou Pinel ? La réduction d’impôt qui aurait dû être imputée sur la facture de 2017 sera-t-elle passée en pertes et profits ? Sera-t-elle décalée d’un an ? Il faudra imaginer un mécanisme de compensations. "La situation sera encore plus délicate à régler pour une réduction d’impôt 'one shot', comme celle accordée par exemple à un investissement dans une PME. Faudra-t-il dans ce cas s’abstenir de réaliser ce type d’opération en 2017 qui sera une année blanche et où la réduction d’impôt ne pourra être imputée ?", s’interroge Richard Chalier.
3. Certains revenus du patrimoine risquent d’être taxés deux fois
S’il doit bien y avoir une année blanche pour les salaires, ce ne sera pas le cas pour les revenus du patrimoine. Il est illusoire d’imaginer que l’Administration fiscale renoncera à percevoir son dû sur les loyers et autres dividendes. "Le risque est d’acquitter deux fois l’imposition sur les revenus du patrimoine au cours d’une même année. Une première fois par application du taux moyen constaté l’année précédente et qui inclut par définition l’ensemble des revenus. Une deuxième fois sur les revenus du patrimoine de l’année précédente puisque le ministre a déclaré qu’il n’y aurait pas d’impasse sur cette taxation. Ce risque n’est pas théorique. C’est déjà ce qui s’est passé au moment où a été instituée sur les dividendes une retenue à la source non libératoire. L’année en question, de nombreux contribuables ont acquitté à la fois cette retenue et l’impôt sur les dividendes dont ils étaient redevables au titre de l’année n-1", s’inquiète Richard Chalier.
L’administration fiscale a deux ans pour surmonter ces avatars.
La droite alerte sur d'autres risques de la réforme
Mais RP reste vigilant sur la technique suivie et les modalités. Sur le principe, le prélèvement à la source est une mesure que la droite a elle-même défendue lorsqu’elle était aux affaires, sans avoir l'opportunité de la mettre en place, alors que l'Europe prenait la crise économique et financière de plein fouet. Les Républicains ne sont donc pas dans une posture d'opposition, mais tous mettent en garde sur les modalités de mise en œuvre et sur le fait que ce ne soit pas une première étape vers la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG.
Certains, comme Gilles Carrez, dénoncent l'occultation des difficultés. "J’appelle mes collègues de l’opposition à ne surtout pas cautionner cette idée, lance le président de la commission des Finances de l’Assemblée. Pour le gouvernement, le prélèvement à la source n’a de sens que dans l’optique d’engager par la suite une fusion de l’impôt sur le revenu avec la CSG," met-il en garde. Un amalgame fiscal dont la droite ne veut à aucun prix, car synonyme d’alourdissement de la fiscalité pour nombre de ménages.
Le quotient familial mis à mal
"Ce seront encore une fois les classes moyennes qui seront les plus touchées par l’augmentation d’impôt qui en résultera forcément du fait de la CSG qui deviendrait progressive comme l’IR", prévient l’ancien ministre Hervé Gaymard, chargé du programme économique d’Alain Juppé.
Le député de Savoie, qui n’est pas opposé a priori au prélèvement à la source, appelle aussi à la vigilance sur le quotient familial. "Certes, d’autres pays ont mis en place ce prélèvement, mais le quotient familial n’existe pas chez eux." Sur ce point, le gouvernement s’est empressé de promettre mercredi qu’il n’y aurait aucune remise en cause...
Le fait que la mise en application soit prévue pour 2018 crispe aussi l'opposition. " C’est surtout une façon de détourner l’attention, d’élever un écran de fumée, estime l’ancien Premier ministre, François Fillon. Le cœur du problème, c’est le niveau trop élevé de notre fiscalité sur les entreprises et les ménages."
Xavier Bertrand refuse catégoriquement une réforme qui créerait "une usine à gaz"
" La charge de travail ne sera plus pour le fisc – qui ne diminuera pas ses effectifs pour autant – mais pour les employeurs ", dénonce l’ancien ministre du Travail.
X. Bertrand pointe aussi le problème de confidentialité : "Est-ce qu’on a envie que son employeur sache quelle est la tranche d’imposition, si on verse des pensions ou pas ?" " Il n’est pas question que quiconque, hormis l’administration fiscale, détienne des informations sur la situation du ménage, a promis mercredi Michel Sapin dans Le Figaro Il serait étrange que seule la France soit incapable de trouver des solutions à ces questions alors que pratiquement tous les pays qui l’ont mis en place ont résolu ces difficultés. " Le code fiscal est simplement l'un de ces mammouths français à dégraisser, pour commencer: le pouvoir socialiste ne s'est pas senti de prendre le taureau par les corne; il préfère l'attraper par la queue !
VOIR et ENTENDRE Hollande nier pourtant les obstacles:
Le milieu de la presse semble serein: ne craigne-t-il donc pas pour son avantageux régime fiscal spécial ? N'était-ce pas pour les socialistes l'occasion de mettre à plat son système de privilèges ? Le préserver assure au pouvoir la complicitéé bienveillante des journalistes: je te tiens, tu me tiens !...
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