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mardi 20 novembre 2018

Les infirmières en souffrance sont dans la rue

Cris de douleur et cris de colère dans les manifs d'infirmières 

"Sacrifiées", utilisées "comme des pions" et jetées "à la poubelle"

"C’est la bonne volonté qui permet au système de ne pas craquer"
Dans leurs manifestations de ce mardi 20 novembre, les infirmières ont exprimé leur profond malaise autant que la revendication d' "une vraie place" dans la réforme annoncée en septembre par Emmanuel Macron.
Si les professionnels de santé disent depuis plusieurs mois leur malaise, les infirmiers se sentent oubliés par les réformes proposées par Emmanuel Macron, trop médico-centrées.

Macron a fait des annonces et notamment promis une augmentation du budget des hôpitaux mi-septembre. Mais ce grand plan 'Ma santé 2022' n’a pas recueilli l’aval des infirmiers et infirmières. Ils seront donc nombreux à défiler en blouse blanche sous les fenêtres du ministère de la Santé ou à afficher un brassard "en grève", tout en assurant leur service. 

Seize syndicats et associations infirmiers appellent à une grande mobilisation dans toute la France avec pour mot d’ordre "infirmières oubliées". Pour mieux comprendre ce mouvement de colère, le président de l’Ordre des infirmiers détaille les revendications des infirmiers qui manifestent ce mardi.

Pour comprendre les raisons de cette colère, Patrick Chamboredon, président de l’Ordre des infirmiers, fait de la pédagogie à destination du pouvoir macronien.

Avez-vous une idée de l’importance de la mobilisation de ce mardi ?
Nous n’avons pas de chiffre. Nous sommes astreints à la continuité du service public. C’est l’intérêt du patient qui prime. En général, les infirmiers montrent avec un brassard ou un autre symbole qu’ils sont en grève. Le malaise de la première profession de santé, c’est inquiétant, il faut l’écouter. Ce qui est inédit, ce sont des prises de parole sur une proposition politique et que la mobilisation vient de plusieurs points : syndicats, associations, collèges, académie des sciences. Toute la profession des infirmiers est mobilisée. 

L’Ordre a relevé un certain malaise, qui ne date pas des annonces d’Emmanuel Macron, sur la reconnaissance et les conditions de travail. Nous avions lancé un sondage il y a six mois mois et dans la foulée, mis en place un numéro vert pour tous les professionnels de santé qui auraient besoin de soutien. Notamment pour éviter qu’il y ait des suicides. C’est la bonne volonté qui permet au système de ne pas craquer…

Pourquoi critiquez-vous les annonces d’Emmanuel Macron et son grand plan pour la stratégie de santé ?
Sur dix mesures, sept concernent les médecins. Le président a beaucoup insisté sur le manque de temps médical. Justement, nous souhaitons que davantage de missions soient confiées aux infirmiers. En les formant plus, on leur permettrait de dégager du temps médical [et d'obtenir des augmentations de salaires...]. Dans beaucoup de pays européens, la vaccination concerne exclusivement l’infirmier. En France, les infirmiers savent vacciner. nous avons un calendrier vaccinal clair; cela fait partie des priorités du gouvernement, mais il faut qu’on passe par le médecin. De même, pour la prise en charge de la douleur : on ne peut pas donner d’antalgiques. Il faut imaginer le gain de temps à la taille de la profession : 700.000 infirmiers. Et l’efficacité pour les patients. 
Un rapport de l’OCDE a montré que quand le système de santé s’appuie plus sur les infirmiers, il est plus efficace et cela coûte moins cher. C’est d’autant plus incompréhensible que les pharmaciens ont eu des prérogatives étendues : notamment pour la vaccination contre la grippe et le renouvellement des traitements des patients chroniques.

Y a-t-il eu des propositions qui allaient dans ce sens ?
On a déposé des amendements au Sénat pour le PLFSS afin que les infirmiers puissent mieux suivre les patients chroniques avec un renouvellement des prescriptions, ça n’a pas été possible. On nous a rétorqué que la réforme proposait déjà la pratique avancée. Des infirmiers qui vont avoir un exercice proche de la pratique médicale, qui vont faire un master 2, encadrer d’autres professionnels, renouveler des prescriptions, c’est un nouveau métier. Mais on parle de 2.000 professionnels sur 700.000 !

Les Français sont prêts à ce que les infirmiers prennent plus de responsabilités. Un sondage Odoxa, dévoilé la semaine dernière, montrait que 69 % était favorables à ce qu’un infirmier fasse des vaccins sans prescription médicale, 63 % pour prescrire des médicaments. Ce qui m’a choqué en revanche, c’est que notre image est bonne, mais en tant que professionnels, seulement la moitié des infirmiers encouragerait leurs enfants à faire le même métier.

Vous critiquez la proposition de créer cette nouvelle profession, les "assistants médicaux", pourquoi ?
Créer un métier ex nihilo et lui confier une partie de nos compétences, je ne crois pas que ça soit une bonne idée. 
D’abord, donner un assistant au médecin, c’est l’encourager à travailler en binôme. Or, ce qu’Agnès Buzyn souhaite, c’est l’exercice regroupé, coordonné, pluri-professionnel. Une pratique adaptée aux patients actuels : âgés, avec plusieurs pathologies. Quelqu’un qui s’occupe du secrétariat, est-ce que c’est ça qui va favoriser les relations entre patient et médecin ? 
Il y a aussi un problème de lisibilité. Cela fait rentrer un nouvel acteur dans un système de santé déjà compliqué, est-ce que le public sait qui doit faire quoi ? Pour transférer des compétences, il y a une réflexion à mener. Notamment sur le secret professionnel. On parle tout de même de données de santé, confidentielles, quels seront les droits et la déontologie de ce professionnel ?

L'Ordre des infirmiers prépare-t-il d’autres actions ?
L’année prochaine, l’Ordre va lancer un recensement de tout ce que font les infirmiers pour faire évoluer la profession. Mais aussi éviter la prise de risque et l’illégalité, car certains outrepassent parfois leurs prérogatives pour aider un patient en souffrance. On compte rendre un livre blanc en juin ou septembre à la ministre pour être force de proposition. Plusieurs rapports, du Haut commissariat de l’Assurance Maladie et de la Cour des comptes assurent que les infirmiers doivent avoir de nouvelles missions.

La mobilisation de ce mardi s’inscrit dans un contexte de grogne sociale forte, puisque depuis samedi des gilets jaunes manifestent. Le mouvement des infirmiers pourrait-il les rejoindre ?
Je ne veux pas mélanger les deux choses. Nous, on a des blouses blanches ! Je ne crois pas à la convergence des luttes à ce jour. En revanche, pour notre profession, c’est un vrai sujet, la montée du prix de l’essence, puisque nous sommes quasiment les derniers professionnels de santé à se déplacer au domicile des patients.

Les réactions dans les régions au plan Buzyn

A Lille: "on veut une vraie place"
Sandra Dupuis, infirmière libérale à Libercourt (Pas-de-Calais): "Nous nous sentons sacrifiées, complètement oubliées du nouveau plan santé. Le mot 'infirmier' y est quasi-inexistant. On veut une vraie place dans les nouvelles directives, une reconnaissance de ce qu'on fait au quotidien."
"On crée un nouveau métier [d'assistant médical] financé par la sécurité sociale, alors que nous, les libéraux, on reste avec des tarifs qui défient toute concurrence."

A Strasbourg: "les gens s'épuisent au travail"
Marie-Cécile Decker, infirmière de bloc opératoire à Mulhouse (Haut-Rhin): "Nous souhaitons que notre formation soit reconnue à un niveau master et que nos conditions de travail s'améliorent, que le ministère de la Santé entende que les gens s'épuisent au travail."
"Il y a un gros turn-over des jeunes. Au niveau de la sécurité cela devient limite, on est toujours à flux tendu, les créneaux opératoires sont courts et les journées de travail se rallongent."

A Marseille: "nos compétences sont dilapidées"
Annick Fillot, infirmière libérale à Six-Fours-Les-Plages (Var): "Nos compétences sont dilapidées. Les pharmaciens font des vaccins, ils ne sont pas formés pour, on leur apprend à piquer dans des oranges. Le nouveau métier [d'assistant médical] on ne sait pas ce que ça va être, moitié secrétaire, moitié infirmière, avec un semi-diplôme..."
"Nous, on a fait trois ans et demi d'études, on a une formation continue. On ne peut pas mettre notre profession à la poubelle comme ça. Même économiquement ça n'a pas de sens. On est les moins chers de la santé, on fait une toilette à 4 euros, une injection à 8 euros brut, trouver moins cher c'est pas possible."

A Bordeaux: "les soldes toute l'année"
Karine Sauvage, infirmière libérale à Saint-Vincent-de-Tyrosse (Landes): "On est les seuls soignants à être sur le terrain sept jours sur sept, 365 jours par an, et les seuls à faire des actes non rémunérés [à partir du troisième acte pour une même visite]. Chez nous les soldes, c'est toute l'année!"
"Ce qu'on demande c'est la reconnaissance de nos compétences et la revalorisation de notre nomenclature. Nous nous sentons exclues du plan santé, qui fait la part belle aux médecins grâce à leur lobby."

A Lyon: "on nous maltraite"
Nadine Bruyère, infirmière de bloc opératoire à Firminy (Loire): "L'évolution de notre système de soins est catastrophique. On manque de moyens, on nous démoralise, on nous démotive, on nous maltraite. On nous utilise comme des pions."
"On supprime des postes et on nous demande de travailler toujours plus. Evidemment ça se ressent sur la qualité des soins."
"Il faut toujours aller vite, parce qu'on a tant de personnes à soigner. Mais moi je m'en fiche, ce qui m'importe c'est la personne qui est sur la table d'opération. On est des soignants, pas des banquiers."

A Rennes: "pas mises en valeur"
Valérie Bertrand, infirmière libérale à Brandivy (Morbihan): "Ce qui nous fait monter au créneau, c'est la création de postes d'assistants médicaux. Ce seront des secrétaires sanitarisées, ça ne va pas améliorer la prise en charge des patients."
"Nos compétences ne sont pas mises en valeur. On nous grignote de toutes parts, la vaccination est élargie aux pharmaciens. Mais un patient qui sort de l'hôpital un samedi ou un dimanche, qui peut le prendre en charge ? L'infirmière libérale, qui est toujours là pour désengorger les urgences et les services hospitaliers."
"Sur le terrain, les infirmières peuvent peut-être aider à combler la désertification médicale. Nous sommes les seules à aller quotidiennement au domicile des patients."

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