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mercredi 27 avril 2016

Quel est le coût des écoutes téléphoniques?

Les écoutes coûtent cher, très cher : démonstration en quatre chiffres

La Cour des comptes a rendu public ce lundi ses observations


Près d’un milliard d’euros a été dépensé en écoutes judiciaires ces dix dernières années. Le chiffre, astronomique, figure dans un rapport publié ce lundi par la Cour des comptes, au terme d’un contrôle approfondi de plusieurs mois.

La Cour a adressé à Matignon un référé se concluant par sept recommandations, auxquelles le premier ministre a répondu.

Quatre chiffres significatifs 

100 millions auraient dû être économisés au budget des écoutes mais, pour l’heure, c’est tout l’inverse : la Plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ, plateforme de surveillance centralisant l’ensemble des réquisitions, créé en octobre 2014). Le décret a rapidement été vu comme un texte "big brother", alors que la volonté de ses rédacteurs était justement d'encadrer ces mesures de surveillance. La plateforme aura coûté plus de 100 millions d’euros à la fin de l’année 2016.

Ce projet, piloté par l’industriel Thales (SA dont l'Etat est actionnaire à 26%), vise à centraliser toutes les interceptions judiciaires et autres techniques d’enquête (annuaire inversé, fadettes, etc…), aujourd’hui réalisées par une kyrielle de petites sociétés spécialisées : Elektron, Foretec, Azur, Amecs, etc.

La Cour des comptes rappelle un autre chiffre, accablant. Le coût initial du projet piloté par Thales avoisinait les 17 millions d’euros. Une estimation jugée "peu réaliste" a posteriori, d’autant que des fonctionnalités supplémentaires ont elles aussi grevé le budget.

La mise en œuvre du nouveau système d’écoute prétend permettre un retour sur investissement, dans le meilleur des cas. Or, la Cour évoque un amortissement rapide, "si les hypothèses [40 millions d’économies nettes par an] se confirment".

Pourquoi le budget des écoutes a-t-il explosé ?


Parce que l’Etat continue à payer les actuels prestataires des écoutes, tout en finançant le développement de la PNIJ, lequel a pris un retard monstre.

La chronologie dressée par la Cour des comptes est implacable : 2005, la PNIJ est conçue; 2006, le projet est annoncé officiellement, pour un lancement opérationnel entre 2007 et 2008. Mais la notification du marché n’est signifiée au titulaire (Thales) qu’en 2010, et la réalisation concrète, qui commence en 2011, n’est toujours pas terminé aujourd’hui…

Soit onze ans pour mener à terme une réforme jugée cruciale, qui connaît encore de graves dysfonctionnements techniques.

Les enquêteurs inquiets de perdre le fil

Pourquoi un tel retard ? La Cour y voit quatre causes, notamment les "crises de gouvernance internes au ministère de la Justice"– jargon énigmatique que la Cour des comptes n’a pas souhaité expliciter – et la guéguerre entre l’Intérieur et la Justice pour un instrument principalement utilisé par des fonctionnaires dépendant du premier ministère (policiers et gendarmes) sous l’autorité du second (les magistrats). A ces frictions intergouvernementales s’est ajoutée "l’opposition des sociétés privées" actuellement prestataires. Le tout a sérieusement menacé le projet au point qu’il a fallu que le "plus haut niveau de l’Etat [le sauve] in extremis" en 2010, sous la gouvernance de F. Fillon.

1 - Etonnamment, le nom de l’industriel en charge de la PNIJ, Thales, n’apparaît qu’une seule fois sous la plume du premier président de la Cour des comptes, le socialiste Didier Migaud. Et ce, alors que l’industriel est omniprésent dans le référé. Au-delà du retard et des coûts, la Cour s’interroge sur une caractéristique majeure de la PNIJ : l’hébergement des écoutes dans les locaux de Thales, dans un bunker réputé inviolable sous son site d’Elancourt (Yvelines).

"A l’issue de son contrôle, la Cour n’a pas pu obtenir de réponse" à ce sujet, note Migaud dans son référé. Pas plus qu’elle n’a pu déterminer "les raisons qui ont conduit le ministère de l’Intérieur à refuser d’installer la plateforme dans l’un de ses sites informatiques sécurisés". Le plus grand mystère continuera donc d’entourer ce choix, pour le moins inédit, de confier à un industriel de la défense les écoutes judiciaires.

De son côté, Thales affirme ne pas y avoir accès, en raison du chiffrement des données conservées. L’hébergement chez Thales entraîne "un degré élevé de dépendance à l’égard de la société prestataire" qui place l’Etat en "position défavorable pour remettre en concurrence à court terme son exploitation et sa maintenance", relève la Cour.
Elle demande à l’Etat d'"internaliser" la plateforme, donc de la rapatrier dans ses locaux. Dans sa réponse, Matignon annonce le lancement d’une mission d’inspection technique de la PNIJ qui devra, entre autres, faire des recommandations sur le "portage industriel" le mieux adapté. Autrement dit, sur la possibilité qu’un autre industriel remplace Thales (Dassault Aviation y est actionnaire à hauteur de 25,53 %), qui perdrait son monopole.

36.5 %  - Les prestataires actuels ne sont pas épargnés par la Cour des comptes. Tout compris, le coût des interceptions est passé de 90 millions d’euros environ en 2005 à 122,5 millions en 2015. Une augmentation de 36,5 %, que la Cour impute notamment aux "prix payés très largement supérieurs aux coûts supportés par les prestataires techniques et aussi par les [opérateurs]".
Orange, SFR, Bouygues, Free et consorts facturent en effet les placements sous surveillance à la justice, en plus des entreprises qui traitent et mettent en forme les données. Au titre des "graves insuffisances du dispositif» actuel, la Cour fait part de ses "interrogations" sur "les garanties de protection du secret de l’instruction" et, plus largement, sur le contrôle effectif des interceptions par les juges.

Une critique en écho aux récriminations de la Cnil.
Saisie pour avis sur la PNIJ, la gardienne de la vie privée avait taclé en 2014 "un système hétérogène et décentralisé" dont la "sécurité et traçabilité [n’étaient] pas satisfaisantes".

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