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mercredi 12 février 2020

Réforme des retraites : vers une procédure accélérée qui laisse les partenaires sociaux au bord de la route

"Une procédure normale," selon le gouvernement...

Le "brouillon" d'une réforme des retraites est présentée au vote des députés le lundi 17 février 

Le forcing continue, après des mois de dialogue de sourds, neuf jours de débat stérile dans une commission débordée par les amendements contestataires et une bataille autour du temps de parole: le réformisme des nantis contre les précaires progresse à marche forcée ...

L'exécutif ne remet pas en cause son calendrier délibérément serré, un choix de l'exécutif pour créer les conditions d'un passage à la hussarde de la loi avant l'été, avec une procédure accélérée

Une procédure dénoncée par l'opposition, voix criant dans le désert de la démocratie macronienne

La commission spéciale de l'Assemblée nationale n'a pas su (ou voulu) faire face à l'adversité dans l'examen et la recherche de financements de la réforme improvisée des retraites. 

Or, mardi 4 février, le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a révélé que "la direction de LREM vient d'imposer à la commission spéciale #retraites la division par deux du temps de parole des députés". Il a donc lancé une "alerte" sur son compte Twitter et appelé ses abonnés à la "relayer". "On aura droit à 1 minute pour défendre nos amendements", a-t-il affirmé. 
Alerte : relayez. La direction de LREM vient d'imposer à la commission spéciale la division par deux du temps de parole des députés. On aura droit à 1 minute pour défendre nos amendements.

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Les services de fact-checking des organes de presse se sont aussitôt mobilisés pour contredire - et discréditer - le lanceur d'alerte : sous couvert de chasse à l'intox sur les réseaux sociaux - qui diffusent ce que les media institutionnels occultent - la fonction des contrôleurs-nettoyeurs du net est de jeter le soupçon de désinformation sur les acteurs politiques d'opposition.
Un chien portant un masque, promené en laisse, le 4 février 2020 à Guangzhou (Chine) pendant l\'épidémie de nouveau coronavirus.
A France Télévisions - on lira "au sein de France Télévisions", si on veut paraître -, Benoît Zagdoun, salarié de chaîne publique, ne se contente pas de tordre le cou à la rumeur qui veut que les animaux domestiques pourraient transmettre le coronavirus. "En même temps", si ce Pic de la Mirandole de la macronie n'est pas capable - pardon, on dit "en capacité", pour être pris au sérieux - de clouer le bec à Schiappa, dont la "pensée complexe" est imparable, en revanche, ce relayeur de la pensée officielle ordinaire est armé pour contrer Mélenchon.
France Télévisions s'est tournée vers l'OMS pour s'imprégner de la vérité officielle. Et on apprend donc (à notre grande stupéfaction) que "rien ne prouve" que les chiens ou les chats puissent être infectés par le nouveau coronavirus. Les experts interrogés par franceinfo confirment qu'un franchissement de la "barrière d'espèce" est rare. La rareté est une garantie d'étanchéité...

France Télévisions est en mesure de certifier pareillement que, dans son tweet, Jean-Luc Mélenchon omet d'apporter une précision de taille. A majorité LREM - qui dirige la commission spéciale (la démocratie est sauve) -, le bureau a bien décidé de réduire de 50%, à une minute maximum, contre deux auparavant, le temps de parole alloué à chaque député pour défendre son amendement.
Mais LREM pratiquant le pensée unique "en son sein", il allait de soi pour le parti du président qu'elle s'imposât aux partis quant à eux démocratiques. France Télévisions justifie donc qu'une fois précisé l'avis d'un chef de groupe, la liberté d'expression soit retirer aux membres de ce groupe. 
France Télévisions ne met donc pas en question que la réduction du temps de parole s'impose "uniquement dans le cas "d'amendements identiques", "déposés par un même groupe", comme l'a annoncé mardi soir la présidente de la commission, la députée LREM Brigitte Bourguignon, celle qui se fait pourrir partout où elle s'affiche, qui s'en étonne et qui s'en plaint. 
.@BrigBourguignon : "Le bureau a décidé que pour les séries d'amendements identiques, déposés par un même groupe, chaque amendement pourra être défendu par son auteur pour une durée ne pouvant excéder une minute."


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Cette décision vise à accélérer les débats, donc à les tronquer. 
Comme si elle y était (elle est en campagne pour Griveaux), on entend d'ici Schiappa assénant que la concertation a eu lieu, que le débat a assez durer et qu'il faut trancher dans le vif. Le projet de loi devant arriver dans l'hémicycle dans un délai restreint (après la longue marche dans le flou du début, ce sprint final de deux semaines chaotiques pour étudier un total de 21.767 amendements, avant le 17 février, est une atteinte à la libre expression et à la démocratie: ce temps compté n'aurait pas suffi à l'examen raisonné des quelque 3.000 amendements différents. 
Mardi, à l'ouverture de la deuxième journée de séance, plusieurs élus d'opposition – de gauche comme de droite – ont donc demandé à la présidente si la commission parviendrait à terminer ses travaux dans les temps. "J'ai bien peur que nous n'ayons pas le temps d'examiner les 22.000 amendements qui ont été déposés", s'était déjà expliqué le communiste Sébastien Jumel, lundi, lors de la première journée d'examen. 

Dans leur arrogance, les bras cassés de la majorité n'ont pas envisagé que soient reproduits les exemples passés d'obstructions
Bien qu'il soit ravi de justifier son adoption d'une procédure accélérée par l'afflux de 1.130 amendements émanant de députés LFI, le parti du président, LREM, par ailleurs majoritaire et intouchable, mène une campagne à base de cris d'orfraie.  LIRE PaSiDupes 

En quinze jours la commission n'a pas réussi à étudier 3.000 amendements identiques : y serait-elle parvenue s'ils avaient été différents ?...
Service de décrédibilisation des contestataires de l'exécutif, les fact-checkers de l'AFP Factuel sont venus en appui du pouvoir, citant une anonyme ("collaboratrice du groupe" LFI" !) pour balancer ses employeurs en confirmant que tous ces amendements étaient "identiques". 

Jeudi 6 février, 336 amendements avaient été rejetés, sept adoptés. Si la commission n'a pas fini son travail avant la présentation du projet de loi devant l'ensemble des députés, le texte sera examiné en séance dans sa version initialement déposée par le gouvernement, sans les éventuels apports de la commission. Brigitte Bourguignon en est toute chiffonnée : elle n'a servi que de leurre !

Tout va bien : la procédure "n’a rien d’accélérée, c’est une procédure normale" !

Une dramatisation qui en dit long sur le machiavélisme de Macron. 
Cette déclaration sur la procédure accélérée lâchée par le secrétaire d'Etat chargé des retraites auprès d'Agnès Buzyn a saisi de stupéfaction les membres de la commission et bien au-delà, par le cynisme de Laurent Pietraszewski, marionnette de l'exécutiflundi 10 février sur France InterEt la "Cellule Vrai du faux" d'entrer à nouveau en scène pour "vous expliquer", sans arrogance, cette pratique législative.

Si la procédure est prévue par la Constitution, Macron peut en (ab)user.
Dans la procédure législative, un projet de loi (de l'exécutif) ou une proposition (de parlementaire) est d'abord étudié par l'Assemblée, puis amendé par le Sénat, avant de revenir au Palais Bourbon qui entérine les amendements des sénateurs ou les rejette. Ce "va-et-vient" entre Assemblée, Sénat et retour à l'Assemblée, c'est ce qu'on appelle la "navette parlementaire". L’objectif est de tenter d'adopter un texte identique et enrichi, mais le dernier mot appartenant aux députés. Un délai de six mois entre le dépôt d’un texte à l’Assemblée et la première séance publique doit être respecté en sorte que l'examen du projet puisse donner lieu à un travail approfondi en commission. En situation "normale", sont requises deux lectures par chambre au minimum. La navette peut durer le temps nécessaire et se poursuit tant que tous les articles n’ont pas été adoptés à l'identique. L’adoption par navette "reste le mode normal d’adoption des lois", peut-on lire sur le site du Sénat.

En respectant la procédure "normale" et consensuelle, la réforme des retraites ne serait pas adoptée avant juin ou septembre 2021 alors qu'en procédure accélérée, son examen sera réglé en juin 2020, date butoir qui n'a pas de sens, vu les enjeux en cause et l'ampleur de la contestation, parlementaire et populaire. 

La procédure accélérée n'envisage pas sa propre limitation en cas de chaos. 
Prévue par l’article 45 de la Constitution - et depuis sa révision en 2008 - , la procédure accélérée remplace la procédure d’urgence qui était quant à elle prévue pour être exceptionnelle. Concrètement, la procédure accélérée peut réduire la navette à une seule lecture par chambre et supprime les délais. Elle fait donc gagner du temps. Or, la procédure accélérée est aujourd’hui très souvent utilisée et d'aucuns y voient une dérive. 

Une facilité qui ne peut être mise entre toutes les mains.
Si son recours est devenu quasi systématique, il soulève à chaque fois le problème de l'abus de pouvoir. Dès sa mise en place en 2008, l'utilisation par le gouvernement de la procédure accélérée s'est intensifiée, passant de 103 textes de loi entre 2008 et 2012 à 228 sous le quinquennat du socialiste  François Hollande, auquel Macron a collaboré
Depuis le début du quinquennat de l'ex-banquier, "plus de la moitié des projets et propositions de loi ont été adoptés par la procédure accélérée", note le constitutionnaliste Dominique Rousseau. Dans son programme électoral, le candidat Macron avait en effet annoncé sa volonté d'"appliquer cette procédure par défaut", estimant que "la procédure parlementaire doit être plus efficace et plus rapide", mais sans inquiéter l'électorat qui n'a pas entrevu le risque de gouvernance autoritaire évoquant celui, décrié, de sa rivale du FN.

"Dans la pratique, l’exception est devenue le principe", explique le professeur Rousseau, un constitutionnaliste de 70 ans qui fut membre du Conseil supérieur de la magistrature (2002-2006) et classé à la gauche de la gauche de l'échiquier politique: il a soutenu publiquement René Revol du Parti de gauche (PG) lors des élections régionales françaises de 2010. 
Cette banalisation répondrait, selon lui, à une demande de l’opinion publique pour que les lois soient adoptées plus vite, mais surtout à la volonté des gouvernements qui fabriquent cette opinion,  au prétexte de "montrer une efficacité politique et de tirer le bénéfice d’une loi avant la fin du quinquennat", observe-t-il. Dernièrement, la loi pour la confiance dans la vie politique ou - de nature très différente et véritablement inspirées par l'urgence sécuritaire -  la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme en 2017 ont été votées de cette façon.

Une procédure abusive, souvent dénoncée.
Souvent décriée par les parlementaires, dépouillés de leur prérogative première, qui estiment qu'elle ne respecte pas le temps parlementaire nécessaire, la procédure accélérée peut être suspendue. Pour cela, il faut que les présidents de l’Assemblée et du Sénat le demandent conjointement.  

"Le problème c’est la concordance des temps", avance le professeur Rousseau. "Le temps législatif, gouvernemental et de la société ne concordent pas. Les parlementaires veulent du temps pour améliorer le texte, le gouvernement montrer qu'il agit". Véritable enjeu politique dans le cas de la réforme des retraites, pour le moment, seul le Sénat, majoritairement d’opposition, a demandé fin janvier le retrait de la procédure accélérée.
Plus que jamais, la fonction de modération et le rôle de rééquilibrage des forces  exercés par le Sénat s'affirment comme indispensables et incontournables.  

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