Des cheminots se chargeaient de briefer les témoins convoqués par la justice
Des écoutes téléphoniques des magistrats révèlent que la justice se serait laissée intoxiquer par la SNCF,
Des écoutes téléphoniques des magistrats révèlent que la justice se serait laissée intoxiquer par la SNCF,
lors de l'enquête sur le déraillement du train Corail en 2013.
Cadre au service juridique de la SNCF, Claire Chriqui ne réalisait pas qu'elle vit sous un régime policier et ne se doutait donc pas qu'elle était écoutée par les juges d'instruction. "Je crains que les OPJ [officiers de police judiciaire] l'appellent en direct, qu'il panique, qu'il ne sache pas, qu'il ne comprenne pas. [...] En général... j'aime bien un peu les voir."
Et ses propos révèlent que la direction de la SNCF a tenté de "manipuler l'enquête" sur la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge, près de Dijon (Côte d'Or) en briefant ses employés avant leur audition par la justice, selon le Canard Enchaîné du mercredi 27 janvier.
Les syndicats ont-il participé à l'enfumage des juges ?
Le 12 juillet 2013, le déraillement d'un train Corail Paris-Limoges a fait sept morts et des dizaines de blessés à Brétigny-sur-Orge (Essonne). Plusieurs rapports d'expertise et enquêtes ont été lancés pour identifier la cause de l'accident.
Mais lors des convocations des responsables SNCF du secteur de Brétigny, les magistrats se retrouvent face à des agents "sérieux et irréprochables", raille le "Canard". Christophe Bolhy, un cadre de la SNCF, concède simplement qu'il "ne sait pas" si les contrôles du matériel ont été correctement menés. L'hebdomadaire anarchiste ne met pas en cause les syndicats et ne mentionne pas l'appartenance syndicale de ce dirigeant d'unité de production voie SNCF. La CGT et SUD détiennent la majorité absolue dans l'entreprise ferroviaire publique.
Or, les juges ont précédemment lancé une écoute téléphonique sur l'ensemble des personnes convoquées. Selon le PV tombé entre les mains du "Canard", le même Christophe Bolhy hurle au téléphone à son supérieur: "Brétigny, c'est des crevards [salauds]. Faut tous les foutre dehors ! "Et de traiter les cheminots de "burnes" (tout en "c*uilles, sans cervelle).
Un autre faux-témoin est mentionné, mais sans être nommé
Un autre cadre de la SNCF, dont l'identité n'est pas révélée, se lâche au téléphone, à propos d'une traversée-jonction (TJ), pièce maîtresse dans les intersections entre deux voies, qui est soupçonnée d'avoir causé l'accident de Brétigny : "Elle est pourrie, mais c'est pas la seule... Toutes les TJ de Brétigny sont dans cet état-là."
Face aux magistrats, le cheminot tient un autre langage qui n'accuse plus gravement : "Quand je dis 'pourrie', ça ne veut pas dire 'en dehors des normes', ça veut dire 'vieux' "...
Une connivence entre direction et syndicats
Mais surtout, l'écoute téléphonique accuse la direction de la SNCF de cadrage des propos des cheminots. En témoigne un échange entre Christophe Bolhy et son collègue M. Delrue. Le 15 mai 2014, le premier confie "Je suis convoqué chez la police". L'autre répond : Oh putain ! [...] Il faut vraiment que tu te fasses briefer par Claire ! [...] Il faut qu'on sache exactement ce qu'on peut dire."
Claire Chriqui, du service juridique, dont il faut croire qu'elle n'est syndiquée ni à la CGT ni à Sud (syndicats dominants) se charge de préparer les salariés convoqués. Après chaque audition par la police, les agents lui repassent un coup de fil pour "lui expliquer comment ça s'est passé, lui dire les sujets abordés".
Dès le 4 décembre 2013, les juges découvrent par l'écoute que Claire Chriqui donne des ordres aux agents convoqués. A l'un d'entre eux, elle explique : "Je t'invite à ne rien apporter [aux policiers]... Tu viens avec rien... Il faut attendre leurs demandes." Un délégué syndical tiendrait-il un autre langage ?
Tentative de falsification d'une note interne
D'autres cadres du service juridique briefent et débriefent les agents entendus.
L'un d'eux, anonyme, mais évidemment pas militant syndical, raconte : "Les normes, moi, je les ai jamais évoquées, parce qu'il ne faut pas les évoquer, et comme [les juges ne les] connaissent pas, ils les demanderont pas."
Fort de son appartenance syndicale, une autre cheminot n'hésite pas à faire pression sur un cadre, auteur d'une note interne sur l'accident, pour qu'il mette son texte en conformité avec les intérêts liés de la direction et des syndicats. Le rapport litigieux fait état à Brétigny "d'appareils en très mauvais état". La conseillère propose de "supprimer 'en très mauvais état'" : "Ca n'ajoute rien. On se doute bien qu'on n'est pas en train de régénérer des appareils neufs. C'est pas la peine d'aller mettre que tout est en très mauvais état."
L'ensemble des rapports d'expertise arrive à la conclusion qu'un défaut de maintenance sur les voies est à l'origine de l'accident. Mais c'est la faute de l'insuffisance des crédits de fonctionnement et des effectifs: comment la justice se retournerait-elle contre le gouvernement ?
Le déraillement aurait été causé par une éclisse - sorte de grosse agrafe sur l'aiguillage -, dont une fissure n'avait pas été détectée lors des tournées de surveillance - ce qui met en cause la conscience professionnelle des cheminots de Brétigny, indépendamment du budget de la SNCF, d'autant que le drame est intervenu à l'entrée de la gare même - et dont trois des quatre boulons s'étaient cassés ou dévissés. L'éclisse avait alors pivoté, provoquant l'accident.
"Cassés ou dévissés"
La polémique soulevée par Le Canard sert-elle donc à détourner l'attention de l'hypothèse de l'acte malveillant, voire terroriste ?
Les syndicats se tiennent en retrait derrière la SNCF qui nie en bloc
Une communauté d'intérêts
"La direction juridique de SNCF [...] défend et accompagne ses salariés [et les syndicats, leurs syndiqués] lorsqu'ils sont mis en cause dans l'exercice de leur fonction. C'est le cas pour l'instruction concernant l'accident de Brétigny", a réagi mardi soir l'entreprise ferroviaire dans un communiqué.
Les salariés auditionnés par les juges sont totalement libres de leurs propos", a-t-elle affirmé, se refusant à commenter un article basé sur des "documents [...] couverts par le secret de l'instruction". Le secret des sources de la presse permet ce genre de fuitage vers les media qui font de l'investigation devant leur téléphone.
Depuis l'ouverture d'une information judiciaire par le parquet d'Evry, seules deux personnes morales ont été mises en examen, la SNCF et Réseau ferré de France (RFF), toutes deux mises en cause pour homicides et blessures involontaires.
Tranquilles, les syndicats peuvent dresser le poing. Et aussi adresser un bras d'honneur à la justice.
Juste une question. la Claire Chriqui de la SNCF est elle la magistrate de la Cour d'appel de Paris qui s'est mise en disponibilité à compter du 1er mars 2013 pour un an ( décret du 15 juillet 2013, publié au JO le 17 juillet) ?
RépondreSupprimerPar décret du Président de la République en date du 15 juillet 2013 et sur avis du Conseil supérieur de la magistrature, la juge Claire Chriqui a été placée, sur leur demande, en position de disponibilité pour convenances personnelles...
SupprimerEst-elle en effet passée au service de la SNCF pour conseiller les cheminots, dans l'intérêt syndical et de la société public ??