Les juges engagent-ils une marche-arrière ?
Passage du statut de témoin assistée à celui de mise en examen
S'il est embarrassant pour la patronne du FMI, il est assorti d'un allègement des charges.
Christine Lagarde est finalement mise en cause dans l’affaire Tapie.
La patronne du Fonds monétaire international (FMI) a elle-même annoncé sa mise en examen mercredi matin, pour "négligence" par les magistrats de la Cour de Justice de la République (CJR) pour son rôle, en tant que ministre de l’Economie, dans l’arbitrage qui a permis à Bernard Tapie de récupérer 405 millions d’euros dans l’affaire Adidas en 2008. La CJR, seule habilitée à juger les ministres, est chargée du seul cas Lagarde, tandis que les autres protagonistes relèvent de l’instruction menée à Paris par les juges Tournaire, Daïeff et Thépot.
En 1992, Bernard Tapie confie la vente de sa société Adidas au Crédit lyonnais (2 milliards 85 millions de francs, soit 472 Millions d'euros). La banque achète Adidas et la revend l'année suivante à un prix bien plus élevé (avec une plus-value estimée à 2,6 milliards de francs, soit 396 millions d'euros). De 1995 à 2006 se déroule un feuilleton judiciaire opposant Bernard Tapie, le Crédit lyonnais et le Consortium de réalisation (CDR, chargé de gérer le passif du Crédit lyonnais après la quasi-faillite de la banque en 1993) au cours duquel Tapie réclame un dédommagement pour son manque à gagner.
Prise mardi soir à l’issue de la quatrième audition de Lagarde, cette décision de la CJR n'est pas pour la patronne du FMI une aussi mauvaise nouvelle qu'il y paraît. Depuis mai 2013, elle était simplement "témoin assisté". Elle est désormais mise en examen, ce qui suppose que les magistrats disposent d’indices "graves ou concordants" indiquant qu’elle aurait commis un délit. Ce nouveau statut judiciaire, plus grave, poserait donc la question de son maintien à la tête du FMI. Mais Christine Lagarde a exclu mercredi matin de démissionner. "Je retourne travailler à Washington dès cet après-midi", a-t-elle déclaré.
Or, les charges reprochées ont été allégées
Finis les soupçons de "complicité de faux par simulation d’acte" et de "complicité de détournement de fonds publics". S'il était avéré, ce délit, passible d’un an de prison et 15.000 euros d’amende, sanctionnerait le fait de laisser, par "négligence", "un tiers" détourner des fonds publics. En clair, les magistrats de la CJR ont le sentiment que Lagarde n’a pas suffisamment agi pour empêcher l’arbitrage présumé frauduleux, mais qu’elle n’est pas complice des manœuvres de Tapie et de ses complices présumés, des juristes: son avocat Maurice Lantourne, le magistrat Pierre Estoup, ex-premier président de la Cour d'Appel de Versailles, chargé du compromis d'arbitrage, le haut fonctionnaire Jean-François Rocchi et Stéphane Richard, ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde), tous mis en examen pour "escroquerie en bande organisée".
Lors de ses précédentes auditions, les magistrats avaient notamment contesté la légalité de la validation par l'ancienne ministre du compromis d’arbitrage de 2007, pour trouver une issue à un procès sans fin, dût-il acter le préjudice moral subi par les époux Tapie, avec un plafond de 50 millions d’euros, Tapie en obtenant 45, au final.
Lagarde a fait valoir que cette somme n’était pas présentée "comme correspondant à la réparation du préjudice moral" dans les documents qui lui étaient soumis.
Les magistrats reprochent également à l’ancienne ministre de ne pas avoir formé de recours contre la sentence arbitrale en 2008.
Mercredi Christine Lagarde a ironisé sur le recul des juges.
"Après trois années d’instruction, des dizaines d’heures d’audition, la commission s’est rendue à l’évidence que je n’avais été complice d’aucune infraction et a donc été réduite à alléguer que je n’aurais pas été suffisamment vigilante".
Et d'ajouter qu’elle va introduire un recours pour contester cette mise en examen, qu’elle "considère comme totalement infondée".
"D’un délit intentionnel, on passe à un délit non intentionnel", souligne son avocat, Yves Repiquet.
Interrogé par la presse, il dénonce "une mise en examen minimaliste, de circonstance en raison de la fin de l’instruction et de la fin du mandat des magistrats de la CJR, et juridiquement infondée". Le conseil de Christine Lagarde estime que les magistrats "n’ont pas pris la responsabilité de rendre une ordonnance de non lieu compte tenu du caractère sensible du dossier".
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