La ministre met en question sa capacité de jugement libre, juste et équilibré
L'offensive du pouvoir exécutif pose un problème de respect des institutions
La garde des Sceaux provoque en effet un fort malaise chez les sénateurs et les magistrats. La ministre de la Justice est critiquée pour avoir justifié le fait que l'ex-conseiller d'Emmanuel Macron ait refusé de répondre aux questions de la commission d'enquête sénatoriale, des représentants du peuple, à la différence des magistrats.
Nicole Belloubet est-elle garante du respect des lois ou non ?
Mardi 11 septembre sur LCP, la Garde des Sceaux a justifié le fait que le collaborateur violent de Macron n'ait "pas encore répondu" à cette commission car "il ne peut pas y avoir d'interférences entre la commission d'enquête et l'information judiciaire". Ces propos de la ministre de la Justice, ont décoiffé plus d'un parlementaire ou magistrat, sans toucher une mèche du brushing de madame.
Alors que l'ex-collaborateur du président en charge de sa garde rapprochée venait de refuser de se rendre à la convocation des sénateurs, la garde des Sceaux a pris fait et cause contre le droit du Parlement à s'informer sur ce qui constitue chaque jour davantage un authentique scandale d'Etat. Alors qu'elle n'avait opposé aucun avis discordant lorsque l'Assemblée à majorité LREM avait initié la procédure, l'ex-socialiste se mobilise tout à trac contre le Sénat majoritairement d'opposition.
Mis en examen pour avoir violenté des manifestants à plusieurs reprises dans la journée du 1er mai, Alexandre Benalla, s'est finalement résolu mardi soir à se présenter devant la commission, contre l'avis de cette ministre hors normes de la Justice, a priori le 19 septembre.
Mercredi matin, sur France inter, Nicole Belloubet avait pourtant argué qu'"il ne doit pas y avoir d'interférence entre une enquête parlementaire et une information judiciaire, car la personne en cause n'a pas les mêmes droits." C'est particulièrement vrai quand c'est l'opposition qui cherche à connaître toute la vérité...
Sénateurs et syndicats de magistrats en sont tombés de leur sièges
L'intervention de Nicole Belloubet constitue elle-même une "interférence". L'usage démocratique veut qu'un(e) ministre de la Justice ne commente pas une affaire judiciaire en cours, au nom de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance des juges.
La sortie de Nicole Belloubet sur Alexandre Benalla a donc scandalisé. "J'ignorais que [Mme Belloubet] était le conseil juridique de monsieur Benalla", a ironisé le président LR de la commission d'enquête, Philippe Bas.
Sur Twitter, la sénatrice EELV et membre de la commission d'enquête, Esther Benbassa invite la ministre à "ne pas elle-même contrevenir au principe de séparation des pouvoirs".
Un avis partagé par le Syndicat de la magistrature (très politisé à gauche). "C'est un propos légitime venant de la part des avocats de monsieur Benalla, un peu moins venant d'une ministre de la Justice", estime Laurence Buisson, secrétaire générale du Syndicat. "En donnant l'impression de vouloir protéger l'institution judiciaire, Nicole Belloubet intervient sur une procédure en cours. C'est une contradiction problématique", souligne-t-elle.
La loi permet l'audition d'une personne mise en examen par une commission d'enquête.
Dans un communiqué, le président et les deux co-rapporteurs de la commission d’enquête sénatoriale ont rappelé que par le passé, le Parlement a déjà eu "à auditionner des personnes faisant l’objet de poursuites judiciaires". Ils ont pris l’exemple de Jérôme Cahuzac, ancien ministre socialiste du Budget, entendu deux fois en juin et juillet 2013 par une commission d’enquête de l’Assemblée nationale, alors qu'il était mis en examen pour fraude fiscale. Le ministre fut condamné.
Ils rappellent aussi les auditions, en 1999, du préfet Bernard Bonnet et du colonel Henri Mazères alors qu'ils étaient mis en examen pour "complicité de destruction de biens par incendie en bande organisée", par la commission d’enquête du Sénat sur la conduite de la politique de sécurité menée par l'Etat en Corse. Jacques Chirac, sollicité en mars 2005, lui avait refusé sa grâce présidentielle.
Enfin, comme le rappelle Public Sénat, Maxence Creusat sera entendu mercredi par la commission d’enquête du Sénat dans l’affaire Benalla. Le commissaire de police à la direction de l’ordre public (DOP) a été mis en examen pour violation du secret professionnel et détournement d’images issues d’un système de vidéoprotection. Il sera assisté de son avocat et d'un représentant de syndicat de police.
"Les textes de loi permettent ces auditions par le pouvoir parlementaire de personnes poursuivies par le pouvoir judiciaire", rappelle Jacky Coulon, secrétaire national de l'Union syndicale des magistrats (USM) à la ministre, une ancienne rectrice d'académie, inappropriée ç ce poste ministériel. "Est-ce qu'il faut faire évoluer la loi ? C'est une question qui appartient au politique", observe-t-il.
Benalla n'a pas le droit de refuser une convocation devant une commission
Dans un premier temps, Alexandre Benalla a refusé de se rendre à la convocation des sénateurs, fort de ce que les députés LREM, majoritaires, ne l'avaient pas convoqué... "Aujourd'hui, on me contraint, envers et contre tous les principes de la démocratie française, a-t-il d'abord raconté. (...) Parce qu'on m'explique qu'on va m'envoyer des gendarmes et des policiers," s'est-il aussi plaint. (...) Je vais venir, à la convocation. Parce qu'on me menace, déclare l'auteur des violences du 1er mai 2018, Place de la Contrescarpe. On me menace vraiment d'une manière directe", a-t-il insisté sur France Inter.
Tout ancien super-garde du corps d'Emmanuel Macron qu'il soit, Redoine Alexandre Benalla se serait exposé à des poursuites s'il avait persisté dans son refus. Il "n'a pas à décider lui-même s'il doit venir ou ne pas venir" à la convocation, a expliqué sur franceinfo Philippe Bas, rappelant qu'un refus de se présenter est passible d'une peine de deux ans de prison et 7.500 euros d'amende. Un mois de salaire, pour ce qui le concerne, bien que l'Elysée ne fasse état que de 6.000.
Les sénateurs sont suffisamment posés (et vieux, disent leurs détracteurs) pour que les droits de la défense ne risquent pas d'être menacés par cette audition
"La personne en cause n'a pas les mêmes droits" devant une commission d'enquête parlementaire et devant l'institution judiciaire, a fait valoir Nicole Belloubet. Les règles ne sont en effet pas les mêmes.
Devant le juge, Alexandre Benalla peut être assisté de son avocat et "tenir des propos faux, s'il le souhaite car les droits de la défense garantissent le principe de ne pas s'auto-incriminer", rappelle Laurence Buisson, du Syndicat de la magistrature.
Devant la commission, Alexandre Benalla sera sans son conseil et devra prêter serment et jurer de dire la vérité, sous peine d'encourir 75.000 euros d'amende et cinq ans de prison pour faux témoignage.
Et "il ne veut pas aller devant une commission faire des déclarations qui lui seraient reprochées par les magistrats instructeurs", a fait observé l'avocat d'Alexandre Benalla, Laurent-Franck Liénard, sur LCI, mardi. "Il est vrai que ses propos devant la commission, comme ceux tenus dans les media, seront sûrement versés au dossier d'instruction", reconnaît Laurence Buisson.
Mais il peut tout à fait, devant les sénateurs, ne pas répondre aux questions sur les faits visés par la procédure judiciaire.
Comme le précise la loi, les sénateurs n'ont d'ailleurs pas le droit de le questionner sur le dossier judiciaire, à savoir les "violences en réunion" présumées commises sur un manifestant à l'occasion des défilés du 1er-Mai.
Pendant ses auditions en 2013, l'ancien ministre Jérôme Cahuzac s'était retranché pendant plusieurs heures derrière le secret de l’instruction. "Une audition n'est pas une comparution", a tenu à préciser Philippe Bas, mercredi, matin avant l'audition du chef de cabinet du président, François-Xavier Lauch.
"La commission d'enquête et l'enquête judiciaire ne peuvent pas porter sur les mêmes faits, confirme encore Anne Levade, constitutionnaliste, professeur de droit public à l’Université Paris-Est-Créteil. Le rôle d'une commission d'enquête, c'est d'éclairer les parlementaires et les électeurs sur une situation potentiellement problématique, ce que Belloubet tente de discréditer. Elle est en quelque sorte complémentaire." En l'occurrence, les sénateurs cherchent à faire la lumière sur "le rôle des collaborateurs lors des manifestations et leur rattachement ponctuel aux forces de sécurité".
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