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mardi 5 février 2019

Mediapart révèle avoir fait obstacle à la justice

Le site d'information trotskiste a refusé une perquisition de ses locaux par le Parquet

Mediapart s'insurge et dénonce l'action de la justice. 

Ce lundi 4 février, "deux procureurs, accompagnés de trois policiers, ont voulu perquisitionner  les locaux" du journal à 11h4, "dans le cadre d'une enquête ouverte par le parquet pour (notamment) atteinte à la vie privée de M. Benalla, suite à nos révélations de la semaine dernière", peut-on lire sur le compte Twitter du media révolutionnaire trotskiste.

"Cette enquête, qui vise les enregistrements révélés par Mediapart, est susceptible d'atteindre le secret des sources de notre journal, commente le site d'extrême gauche
Le site d'Edwy Plenel  ajoute : "C'est pourquoi nous avons refusé cette perquisition, un acte inédit - et particulièrement grave - dans l'histoire de Mediapart".

Perquisitions à Mediapart: "Le pouvoir utilise les services de l'Etat à des fins politiques"

"Sous le zèle du parquet, la panique du politique", titre Mediapart, le 5 février (article gratuit...) Voici l'article: 
"Lors de son audition du 16 janvier 2019 par la commission des Lois (le compte-rendu est ici), le directeur de cabinet du président de la République, Patrick Strzoda, a livré à ses auditeurs une information qui dévoile les apories [difficultés de mise en oeuvre] de la séparation des pouvoirs à la française : évoquant la plainte déposée le 29 décembre 2018 par le ministère des Affaires étrangères pour l’utilisation par Alexandre Benalla de ses deux passeports diplomatiques, il a fait savoir que ce dernier était sur le point d'être entendu par les magistrats du parquet de Paris (« J'ai également appris au cours de ces auditions avec les enquêteurs que M. Benalla serait convoqué dans les tous prochains jours par le procureur de la République »).

Cette information relève normalement du secret de l’instruction. Sauf que, d’une part, la Garde des Sceaux a à de multiples reprises affirmé son autorité sur les magistrats du Parquet, en contradiction manifeste avec les articles 20 et 64 de la Constitution qui mettent l’administration et la force armée, et non pas des magistrats indépendants, sous le contrôle de l’exécutif. Sauf que, d’autre part, un ancien subordonné de la Garde des Sceaux, M. Rémy Heitz, alors directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice, a été nommé procureur de la République de Paris, par décret du président de la République pris sur proposition ministérielle et après avis favorable du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), le 8 novembre 2018. En clair, un administrateur a changé d’affectation ; il est passé de la place Vendôme au Palais de Justice de Paris. Son lien fonctionnel avec l'Elysée n'a pas été rompu par ces nouvelles fonctions, de sorte qu'il est « normal » que le directeur de cabinet du président de la République soit informé de l'avancée de la procédure pénale relative à son ancien collaborateur. 

Indépendamment des compétences de M. Rémy Heitz, il devrait être évident dans tout régime de séparation étanche des pouvoirs qu’un agent du ministère de la Justice ne peut en aucun cas du jour au lendemain, sans période de « sas » de plusieurs années, être nommé à la tête du plus important parquet de Paris, de même que, pour des raisons déontologiques, il est interdit à un fonctionnaire de pantoufler dans une entreprise avec laquelle il a pu avoir des liens d’intérêts. Mais en France, les magistrats du parquet sont à la frontière du politique et du judiciaire, de sorte que le passage d'une administration d'Etat à la direction d'un parquet n'est que la continuation d'une même mission par d'autres moyens...

Ce statut particulier est un handicap dans les affaires pénales impliquant de près ou de loin les autorités publiques nationales.

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A cet égard, l'on est enclin à considérer que lorsque, le 4 février 2019 au matin, deux procureurs de la République travaillant sous les ordres de M. le procureur de la République Heitz, lui-même travaillant sous les ordres de Mme la ministre Belloubet, elle-même travaillant sous les ordres de M. le Premier ministre Philippe, lui-même travaillant sous les ordres de M. le président Macron, accompagnés de trois policiers travaillant sous les ordres du préfet de police, lui-même travaillant sous les ordres de M. le ministre Castaner, lui-même travaillant sous les ordres du Premier ministre et du président de la République, se sont présentés pour effectuer des perquisitions au journal Mediapart, ce ne sont pas deux magistrats et trois policiers qui ont toqué à la porte : ce sont cinq hologrammes du président de la République (v. le dessin de Christian Creseveur).

Ils l’ont fait sous les plus dérisoires des prétextes – l’atteinte à la vie privée de MM. Benalla et Crase (article 226-1 du Code pénal), la détention illicite d’appareils visant à intercepter des télécommunications (article 226-3 du Code pénal). L’un de ces délits n’est puni « que » de un an d’emprisonnement, de sorte que le refus d’autoriser la perquisition en enquête préliminaire ne peut pas être outrepassé, tandis que l’autre est puni de cinq ans d’emprisonnement, ce qui permet le cas échéant à un juge des libertés et de la détention d’ordonner une perquisition refusée par la personne chez qui la perquisition doit avoir lieu (article 76 du Code de procédure pénale).

En écoutant MM. Benalla et Crase via les extraits diffusés par Mediapart le 31 janvier 2019 (v. Fabrice Arfi, Antton Rouget et Marine Turchi, « Affaire Macron-Benalla : les enregistrements qui changent tout », Mediapart, 31 janvier 2019), on n’apprend strictement rien de leur vie privée : les propos diffusés sont expurgés de tout ce qui ressort de l’intimité de leur vie privée, et leur diffusion, d’intérêt public, ne tombe en application d’une jurisprudence constante pas sous le coup de l’infraction de l’article 226-1, quand bien même ils ont été diffusés sans le consentement de leurs auteurs (v. en ce sens : cass. crim 14 février 2006, n° 05-84384 : « pour renvoyer le prévenu des fins de la poursuite, l'arrêt énonce que les conversations, bien qu'enregistrées par Mikaël Z... à l'insu de ses interlocuteurs, ont porté exclusivement sur les conditions de rédaction des attestations produites par la société Socaelec lors de l'instance prud'homale et qu'aucune information ne touchait à la vie privée des intéressés ; en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que ces propos entraient dans le cadre de la seule activité professionnelle des intéressés et n'étaient pas de nature à porter atteinte à l'intimité de leur vie privée, les juges ont justifié leur décision » ; Cour d’appel de Bordeaux 21 septembre 2017, Fabrice Arfi e. a., dite « affaire Bettencourt », n° 16/00204, spéc. p. 30, qui rappelle que le droit au respect de la vie privée doit être mis en balance avec la liberté d’information).

Quant au délit de détention illicite d'appareils d'interception de communication, personne ne peut imaginer que ce sont les journalistes de Mediapart qui ont intercepté via des IMSI-catcher leur appartenant les échanges du 26 juillet 2018 – le secret des sources [sorte de cagoule sous laquelle se dissimule la presse] interdit de s’interroger sur l’origine de l’information qui leur a été transmise.

Lorsque ceux que la Cour européenne des droits de l’homme appelle les « chiens de garde de la démocratie » – les médias d’investigation – sont menacés par les chiens de garde de l’exécutif, il y a de quoi être inquiet pour la bonne santé de notre démocratie.

On ne sait pas encore à cette heure si le parquet de Paris dénichera un juge des libertés et de la détention du TGI de Paris assez inconséquent pour donner l’autorisation requise pour qu’une perquisition se déroule au titre du seul article 226-3 du Code pénal.

Mais d’ores et déjà, la tentative du parquet de Paris de perquisitionner un média indépendant, qui la semaine précédente a fait des révélations gravissimes, documentées et d’intérêt public sur la violation potentielles par MM. Benalla et Crase tant des obligations résultant de leur contrôle judiciaire que de celles qui découlent – en tout cas pour M. Benalla – de son statut de contractuel de l’Elysée ayant au moins indirectement partie liée avec un oligarque russe, apparaît comme ce qu’elle : une violation disproportionnée par l’exécutif lui-même, chef du parquet et de la police, de la liberté de la presse et du secret des sources qu’elle implique.

Par les modalités de sa réalisation et ses conséquences démocratiques, cette violation n’est pas sans parenté avec celle, relative aux libertés d’opinion et d’exercice de leurs activités par les partis politiques, qui a frappé le 16 octobre 2018, la France insoumise et certains de ses dirigeants (v. Perquisitions France insoumise : la faute du parquet, 22 octobre 2018).

Il y a au surplus trois circonstances aggravantes dans la tentative de perquisition du 4 février : d’une part, il semble que puisque ni M. Benalla, ni M. Crase, n’ont porté plainte pour atteinte à l’intimité de leur vie privée, le parquet se soit en quelque sorte « autosaisi » pour effectuer des actes d’enquête alors même que l’article 226-6 du code pénal subordonne la mise en œuvre de l’action publique à « la plainte de la victime » (v. également en ce sens : CA Bordeaux, 21 septembre 2017, préc., spéc. p. 20) ; d’autre part, les chefs d’accusation auto-formés par le parquet de Paris contre Mediapart apparaissent comme de misérables prétextes – pour évaluer une atteinte à la vie privée, il suffit d’écouter les enregistrements diffusés au public, nul besoin d’entrer dans les locaux du journal et d’y fouiller les données informatiques, alors au surplus que Mediapart avait fait savoir aux autorités judiciaires, avant la tentative de perquisition, que l’intégralité des enregistrements lui serait remise ; enfin, chacun ne peut qu’être stupéfait des diligences du parquet en défense de MM. Benalla et Crase, là où les intéressés ont tardé à être inquiétés pour leurs comportements le 1er mai 2018 et d’autres faits qui se sont produits depuis susceptibles de relever de qualifications pénales.

Soyons clair : ni Mediapart, ni la France insoumise ne sont au-dessus des lois (d'ailleurs, la tentative de perquisition a eu lieu au moment même où des journalistes de Mediapart s'expliquaient à la barre à la suite d'une plainte de M. Denis Baupin) ; mais l’organisation du parquet à la française et la revendication frénétique par l’exécutif de sa mainmise sur les fonctionnaires magistrats qui le composent interdit, par principe et ne serait-ce que pour tenir compte des apparences, que le parquet de Paris perquisitionne les locaux de l’un ou de l’autre ; seuls des magistrats du siège, statutairement indépendants du pouvoir, doivent pouvoir enquêter et le cas échéant sanctionner partis et médias ayant enfreint la loi.

Certes, formellement, on ne trouvera pas d’ordre écrit venant « d’en haut » matérialisant la servilité du parquet, de sorte qu’il est possible de ne pas voir la main du gouvernement dans la tentative de perquisition du 4 février. Toutefois, un faisceau d’indices concordants – volonté de l’exécutif de contrôler le parquet, parcours professionnel du procureur de la République, déclarations du 31 janvier 2019 du président de la République sur le nécessaire contrôle des journalistes par l’Etat (v. Claude Askolovitch, « Emmanuel Macron, le journalisme de cour et le contrôle des médias », Slate.fr, 3 février 2019 ; Etienne Gernelle, « Macron ou la tentation de la Pravda », lepoint.fr, 4 février 2019 ; Laurent Mauduit, « Un président qui veut placer l’information sous contrôle », Mediapart, 4 février 2019) – crée un contexte où les magistrats du parquet savent ce qui est ou non permis et/ou attendu d’eux par leur hiérarchie. Ainsi que le rappelle la formule de prestation de serment diffusée le 1er février 2019 par le compte twitter de l’Ecole nationale de la magistrature, chaque magistrat du parquet est, fonctionnellement, « représentant du pouvoir exécutif pour la mise en œuvre de la politique pénale, ce qui explique le principe de la subordination hiérarchique ».

Après les gardes à vue préventives massivement mises en œuvre par le parquet dans le contexte des gilets jaunes, voilà que ces représentants du pouvoir exécutif inventent la perquisition judiciaire préventive.

Il ne faut pas s’y tromper : de même que les « perquisitions France insoumise » concernaient potentiellement, à travers ce parti, toute opposition politique actuelle ou à venir, la « perquisition Mediapart » affecte potentiellement tous les médias s’intéressant de près ou de loin aux affaires du pouvoir – Le Monde, Le Point, Marianne et 20 minutes par exemple ont eux aussi fait des révélations dans l’affaire Macron/Benalla (ainsi de la publication d’un SMS que le conseiller d’Etat Arno Klarsfeld a adressé à M. Benalla le 26 juillet 2018 : Vincent Vantighem, « La folle soirée d’Alexandre Benalla au Damas Café après les révélations du Monde », 20minutes.fr, 4 février 2019).

L’existence même de cette menace latente sur la presse d’investigation – et la pression mise sur leurs sources éventuelles – est d’autant plus inacceptable que l’on ne trouve, depuis le 14 mai 2017, aucune mesure législative ou réglementaire venant renforcer les libertés individuelles ou collectives. A l’inverse même, leur réduction est programmée avec le vote de la loi anti-manifestants en première lecture à l’Assemblée nationale ce 5 février, au lendemain des intimidations faites à l’encontre de Mediapart et de ses sources.

Ce que ces restrictions et rigueurs non nécessaires paraissent nous dire de leurs promoteurs est qu’ils ont peur : peur des citoyens, peur de l’information des citoyens."

Mediapart prononce un réquisitoire sectaire.
Pour mémoire, en février 2017, à la veille de la présidentielle, le Front national (actuel RN) a fait l'objet - avant les autres - d'une perquisition à son siège dans l'enquête sur l'affaire des assistants parlementaires. Mediapart n'en fait pas état... Le Front national dénonça quant à lui "une opération médiatique" destinée à "nuire à Marine Le Pen."

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