Hervé GhesquiÚre et Frank Taponier sont libres
François Fillon a confirmé cette libération devant les députés.
Les deux journalistes français, otages en Afghanistan depuis dix huit mois, ont été libérés.
Le Chef de l'Etat a téléphoné aux familles des ex-otages pour leur donner la bonne nouvelle.
Ils pourraient ĂȘtre de retour sur le sol français dĂšs ce mercredi. Ils devraient atterrir en fin de journĂ©e Ă l'aĂ©rodrome de Villacoublay (Yvelines). La nouvelle de leur libĂ©ration a Ă©tĂ© confirmĂ©e par un membre de la famille d'HervĂ© GhesquiĂšre, puis par le Quai d'Orsay.
Ils avaient Ă©tĂ© capturĂ©s, avec leurs trois accompagnateurs, dont deux guides afghans, le 30 dĂ©cembre 2009, alors qu'ils enquĂȘtaient pour le magazine de France 3, "PiĂšces Ă conviction".
Les deux reporters s'étaient rendus en zone talibane, malgré l'interdiction de l'armée, mais avec le feu vert de leur hiérarchie.
Le 22/02/2011, Libération proposa un entretien avec Florence Aubenas:
Brindamour. Est-ce qu'il faut verser une rançon? Si oui, de combien?
Florence Aubenas. Oui, il faut toujours verser une rançon pour libĂ©rer des otages, c'est mĂȘme le principe! Ce qui varie c'est la composante de cette rançon: politique (libĂ©ration de prisonniers, par exemple). Ou financiĂšre, voire les deux. Il est trĂšs difficile de savoir ce qui est «payé»: dans mon cas, par exemple, je ne l'ai jamais su (mais je ne dĂ©sespĂšre pas).
Florence. Aujourdâhui, a-t-on une preuve, est-on sĂ»r que nos deux amis sont toujours en vie?
Oui, c'est mĂȘme aujourd'hui la seule chose dont nous pouvons ĂȘtre absolument sĂ»rs: ils sont vivants. Cela va vous sembler un peu sinistre, mais toutes les nĂ©gociations sont, bien entendu, menĂ©es Ă la condition que des preuves soient fournies Ă chaque fois.
Pourquoi. 428 jours, c'est beaucoup, qu'est-ce qui coince?
Olfy. 428 jours, c'est énorme.. comment expliquez-vous cette longévité?
Didine. Et que sait-on des négociations en cours ?
Il est toujours difficile d'avoir des informations sur des nĂ©gociations en cours, celles-ci doivent par dĂ©finition rester secrĂštes. Les autoritĂ©s mettent d'ailleurs beaucoup d'Ă©nergie pour empĂȘcher la presse d'en savoir quelque chose. Plus gĂ©nĂ©ralement, le dĂ©lai assez long pourrait s'expliquer par le fait qu'il a fallu beaucoup de temps Ă nos politiques pour s'asseoir Ă la table des nĂ©gociations.
Nicole. Le silence autour de ces otages est inquiétant. Je me souviens du bruit qui a été fait quand vous étiez otage en Irak. Est-ce que la politique de la France est, selon vous, la raison pour laquelle cette affaire traßne?
Votre pseudo. En quoi ces deux personnes mériteraient une couverture médiatique corporatiste différente de celle accordée aux autres otages actuellement détenus dans le Sahel et en Somalie ? Ne pensez-vous pas que votre action aboutit à faire monter les enchÚres et est radicalement contreproductive ?
Il est frappant de voir que, dans cette affaire, on nous reproche à la fois de ne pas faire assez de bruit ou, à l'inverse, d'en faire trop. Le problÚme est délicat. La réponse est complexe. Certains familles, comme celles des otages au Niger, préfÚrent ne pas médiatiser le sort des leurs. C'est leur choix et, quoi qu'on pense de cette stratégie, les médias la respectent toujours. Cela a aussi été le cas d'Hervé et Stéphane pendant les trois premiers mois de leur détention, ce qui explique le peu d'informations données à ce moment-là . Leurs familles ont ensuite changé d'avis et estimer qu'il valait mieux porter leur dossier sur la place publique.
Personnellement, et peut ĂȘtre parce que l'information est mon mĂ©tier, je pense que la mĂ©diatisation est prĂ©fĂ©rable: elle leur sert de bouclier. En terme de comparaison, les AmĂ©ricains ne mĂ©diatisent aucune de leur prise d'otage. On a pu constater que, malheureusement, les issues sont bien plus tragiques pour ceux qui ont Ă©tĂ© enlevĂ©s.
Nicole. HĂ© LibĂ©! Ma question n'est pas de contester le bruit fait autour des otages... vous me mettez dans le mĂȘme sac que ceux qui disent cela en coupant ma question... La politique trop «virile» de la France en matiĂšre d'otages (Somalie, Niger) est-elle en cause? Merci de rectifier, je suis furax!
DĂ©solĂ©e, je n'ai pas vu que la question avait Ă©tĂ© coupĂ©e. Pour aller vite, il existe deux maniĂšres de libĂ©rer des otages: l'intervention ou la nĂ©gociation. La plus sĂ»re est bien sĂ»r la seconde. Jusqu'Ă prĂ©sent, la France avait la rĂ©putation (enviĂ©e ailleurs dans le monde) de «sortir» ses otages en nĂ©gociant. Personnellement, je trouve que c'est la voie la plus digne: rĂ©pondre Ă la violence par la violence me semble toujours mener Ă une impasse. En revanche, discuter (mĂȘme avec des terroristes) me paraĂźt l'essence mĂȘme de la dĂ©mocratie et des valeurs qui y sont attachĂ©es.
Aujourd'hui, des questions se posent sur un changement de stratégie des autorités françaises: va-t-on, désormais, utiliser la méthode américaine, c'est-à -dire avec des interventions armées? Nous avons posé la question officiellement. Nous attendons la réponse.
Troisquatorzeimmo. On dit qu'ils ont été enlevés aprÚs avoir fait leur reportage et qu'ils ont voulu aller visiter une région qu'on leur avait fortement déconseillé, accompagnés de guides non autorisés?
D'aprĂšs ce que nous en savons, HervĂ© et StĂ©phane ont commencĂ© Ă faire leur reportage en immersion auprĂšs de l'armĂ©e française dans un avant-poste de montagne. Ils n'ont pas voulu se contenter des informations officielles et ont choisi ensuite de partir de leur cĂŽtĂ©, dans cette mĂȘme rĂ©gion, pour avoir le point de vue des habitants. C'est Ă ce moment-lĂ qu'ils auraient Ă©tĂ© enlevĂ©s. Quant Ă leurs guides, nous connaissons leurs familles, rien de particuliers Ă signaler. En tout Ă©tat de cause, ils nous donneront leur version en arrivant. On les attend!
HERPE. Peut-on vraiment croire que le gouvernement met tout en Ćuvre aujourd'hui pour libĂ©rer les deux otages, alors que Sarkozy les a montrĂ©s du doigt et en a fait des tonnes lorsqu'ils ont Ă©tĂ© capturĂ©s?
Ed. Plusieurs fois, les autorités politiques ont déclaré que l'on avait été prÚs d'une libération. Cette formulation est parfois usitée dans le cadre de prises d'otages. Comment interpréter cette formulation?
Otonas. Pourquoi entend-on notre Président s'agiter sur tous les sujets sauf celui-là (pas un mot lors de sa récente allocution télé par exemple) l'Etat s'occupe-t-il réellement de ce dossier? Que fait-il? Pourquoi si longtemps? Quelles mesures particuliÚres sur le terrain? qui négocie?
C'est vrai: au début, Nicolas Sarkozy, mais aussi Claude Guéant et un général, ne se sont pas privé de salir Hervé et Stéphane en les traitant d'imprudents. C'est lamentable à beaucoup de points de vue. D'abord, parce qu'il ont fait leur métier de journaliste de terrain, qui est difficile et compliqué: on ne peut pas à la fois dire qu'on se déploie en Afghanistan pour défendre les droits de l'homme et demander à la presse de ne pas exercer celui d'informer.
Il y a aussi une autre raison. Quand vous ĂȘtes otage, vos ravisseurs jouent en permanance avec votre moral et font tout pour vous fragiliser. Si ceux-ci ont eu connaissances des dĂ©clarations de Sarkozy, ils ont certainement dĂ» les utiliser contre HervĂ© et StĂ©phane, sur le mode: «Regardez, votre gouvernement vous laisse tomber, vous ne sortirez jamais d'ici». Pour moi, le devoir de reprĂ©sentants politiques est plutĂŽt d'aider leur concitoyens dans le danger plutĂŽt que les enfoncer.
En effet, les autoritĂ©s ont annoncĂ© plusieurs fois leur libĂ©ration. Ils ont mĂȘme donnĂ© des dates: ce sera avant l'Ă©tĂ©, puis avant l'hiver, puis avant NoĂ«l. On est au mois de mars, ils ne sont toujours pas lĂ . Cette maniĂšre de faire semble d'autant plus hallucinante, que les libĂ©rations d'otages sont des moments extrĂȘmement dĂ©licat. Je me souviens de la mienne: cela a durĂ© toute une journĂ©e et les ravisseurs changeaient sans cesse d'avis. On la libĂšre? Oui? Non? Je redescendais menottĂ©e dans la cave, puis on revenait me chercher, etc... Ces annonces perpĂ©tuelles sont surtout terribles pour les familles, on joue avec leur espoir pour des raisons de communication politique.
Léa. Vous qui avez été dans leur situation, les otages sont-ils au courant du battage médiatique autour de leur cas et/ou de l'existence et de l'avancée des négociations?
Je n'ai personnellement pas Ă©tĂ© au courant de ce qui se passait. Je ne vous cache pas que je le regrette: savoir qu'on pense Ă vous, qu'on ne vous oublie pas, c'est de la lumiĂšre dans un endroit oĂč il n'y en a pas. Jean-Paul Kaufmann, qui a Ă©tĂ© otage au Liban, raconte qu'il a entendu sa femme Ă la radio un jour. Cela a illuminĂ© le reste de sa dĂ©tention. Donc, on espĂšre, oui, qu'il en reçoive des bribes, mais on n'en est pas sĂ»r.
Crevette. Pensez-vous que l'arrivée de Guéant et Juppé aux affaires étrangÚres soit une bonne nouvelle pour leur libération?
BURNS. Avez vous confiance en Alain Juppé pour régler cette affaire?
Bonjour Madame Crevette (quel beau pseudo!), je crois qu'il est encore trop tĂŽt pour se rĂ©jouir vraiment. M'autorisez-vous Ă un soupçon de polĂ©mique? Je ne pense pas que cela puisse ĂȘtre pire.
Nico. Au fond, ne s'agit-il pas, pour nous «l'opinion publique», de maintenir la pression sur notre gouvernement plus que sur les ravisseurs ?
C'est vrai: en matiÚre de prise d'otage, les maßtres du temps restent toujours les ravisseurs. Sur eux, nous (c'est-à -dire l'opinion publique, comme vous dites) n'avons que peu de moyens de pression. En revanche, oui, il faut demander de toutes les maniÚres possibles à nos représentants de s'asseoir à la table des négociations et faire vite. Dans la pluspart des dossiers, on a d'ailleurs constaté que certains contextes politiques sont plus porteurs que d'autres. Pour un Président, libérer des otages est toujours trÚs valorisant: souvenez-vous, par exemple, de Cécilia Sarkozy ramenant les infirmiÚres bulgares.
Peusodenime. Vous dites «on les attend»... cet optimisme est-il raisonné ?
Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de dĂ©sespĂ©rer! Pour ĂȘtre plus rationnelle, on peut imaginer que s'ils ont Ă©tĂ© gardĂ©s pendant si longtemps, c'est parce que les ravisseurs veulent eux-aussi que les nĂ©gociations aboutissent.
Nicole. Peut-on faire quelque chose, nous, pékins moyens ? Et quoi ?
Otonas. Ne faudrait-il pas faire le pied de grue devant le quai d'Orsay, banderolles 24/24, étendre les témoignages de soutien aux autres chaßnes que celles du groupe france télévisions, marches de solidarité ... ? les Français ne semblent pas trÚs trÚs concernés, le pouvoir politique encore moins.
Toutes les idées sont les bienvenues! L'essentiel est de ne pas relùcher la pression, harceler les autorités, ne jamais laisser tomber. Pour les 500 jours, on est train de se demander que faire pour remettre Hervé et Stéphane au coeur des préoccupations politiques (n'hésitez pas à nous contacter sur le site du Comité de soutien si vous avez des lumiÚres). Je pense qu'il n'y a pas de petits gestes et que tout acte de solidarité est important. Mais encore une fois, on ne parle d'Hervé et Stéphane, en oubliant les autres. Il n'y a pas de bons et de mauvais otages. Au contraire. Leurs deux noms sont mis en avant, parce que les proches le veulent bien et qu'à travers eux, c'est une maniÚre de parler de tous les autres. Chers amis, il ne me reste qu'à vous dire au revoir. J'ai été ravie de passer ce moment avec vous. Vivement le prochain.
Le gouvernement a réussi l'impossible
Nicolas Sarkozy, depuis le début de son quinquenat, avait fait de la libération des otages, une sorte de priorité.
Dans un climat de circonspection, voire de doute, les négociations mises en place entre le Quai d'Orsay et l'Afghanistan pour tenter de trouver une issue favorable à cette détention n'ont jamais faibli: l'Elysée vient d'annoncer à leurs familles leur libération.
Le pouvoir sera-t-il salué pour sa détermination et son efficacité ?
Rien n'est moins sûr !
Interrogée, ni sur LCI, ni sur France 3, la journaliste Florence Aubenas n'a pas eu un mot pour l'action du gouvernement.