Au four et au moulin, les policiers refusent d'être moulus
Les policiers doivent assurer la sécurité de l'Euro contre le risque d'attentat islamistes et des manifestations contre la loi travail
Depuis 18 mois et les attentats djihadistes de Charlie Hebdo, les policiers sont sans cesse et de plus en plus sollicités.
Dans un contexte d'état d'urgence et de risque d'attentats islamistes, les forces de l'ordre doivent assurer la sécurité de l'Euro de football, des manifestations sociales, et sont confrontées à la violence des "casseurs", c'est-à-dire des groupuscules de l'"ultra-gauche", anarcho-révolutionnaires et antifa'' mêlés.
Suite aux violences et dégradations au cours de la manifestation contre la loi travail du 14 juin, François Hollande a fait planer la menace d’interdiction des manifestations "au cas par cas". Manuel Valls a de surcroît hystérisé le débat, appelant le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, à renoncer à l'organisation de grandes manifestations à Paris, après avoir lui-même recouru à l'article 49.3 pour faire passer sa réforme sans la soumettre au débat parlementaire. Est-ce en rupture avec le droit constitutionnel de manifester ?Le 19 mai 2016 , Manuel Valls rappelait que nous sommes un Etat de droit et ajoutait : "Si nous décidions d’interdire un certain nombre de manifestations, la justice administrative casserait cette décision". Le même jour, Bernard Cazeneuve disait sensiblement la même chose. Les récentes déclarations de François Hollande et Manuel Valls marquent indéniablement une rupture avec le droit constitutionnel. C’est pourquoi la justice administrative est susceptible de casser ces éventuelles décisions. Ils ont reculé face à ce risque.
Rappelons encore que neuf des dix suspensions individuelles d’autorisation à manifester ont été cassées par la justice administrative. Nous sommes dans une situation de tension entre le droit et des affirmations politiques qui se heurtent à la réalité du Conseil constitutionnel.
Plutôt que de dissoudre ces groupes anti-républicains violents, le pouvoir socialiste préfère interdire les manifestations syndicales à risques. L'interdiction de ce 24 juin social aurait pu être une première sous la VIe République. En cinq ans, Nicolas Sarkozy n'y a pas recouru et il faut remonter à mai 1952 et les événements d'Algérie pour en trouver une illustration.
A l’échelle du siècle, très peu d’organisations en France ont mobilisé la violence comme une forme d’action stratégique. Il y a des exceptions : l’Action française avant 1914 et dans les années 1930, le PCF en mai 1952, et des forces d’extrême gauche dans les années 1970. On retrouve aujourd’hui des forces minoritaires, comme le MILI (Mouvement inter-luttes indépendant, collectif d'extrême gauche composé de "jeunes" lycéens, étudiants ou non, qui refusent toute hiérarchie), qui se réclament de la violence comme facteur de déstabilisation. Ce n’était plus le cas de la CGT depuis longtemps et les dernières déclarations de Philippe Martinez, ces derniers jours, laissent perplexe au vu des violences et de la casse. La violence dans le mouvement ouvrier a toujours été dénoncée, mais pratiquée et qualifiée de violence subie, "en marge" de ses meetings et défilés, même si les dockers ont par exemple un rapport à la force physique – et donc si nécessaire à la violence –, plus élevé et que la CGT s'est constitué un service d'ordre réputé efficace, quand elle le veut bien...
Directeur du Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip) et chercheur au CNRS, Christian Mouhana décrit le "ras-le-bol des policiers". Pour Le Point, ce spécialiste des questions de sécurité et de la police décrit ce ras-le-bol.
Le Point.fr : Les policiers sont-ils vraiment au bout du rouleau ?
Christian Mouhana : Il ne faut pas tout mélanger. Il y a un ras-le-bol structurel au sein de la police, comme dans tous les services publics victimes de coupes budgétaires et de méthodes de management productivistes venues des États-Unis. Mais c'est vrai qu'il y a un contexte particulier qui augmente ce ras-le-bol. Avec 85 % environ d'opinions positives, la police est une des professions les plus aimées par la population. Pourtant, quand vous parlez à des policiers, ils n'ont pas l'impression d'être aimés. Après les attentats de Charlie Hebdo, on a eu l'impression que ça allait mieux. Mais depuis, les choses ont changé. C'est parce que dans le cadre de leur métier, ils font plus souvent face à la minorité, aux 25 % qui ne les aiment pas, notamment des jeunes des quartiers sensibles, qui font souvent l'objet de contrôle d'identité, des casseurs, des criminels… Mais aussi des manifestants lorsqu'ils trouvent que l'intervention des policiers se fait de manière trop brutale.
Le meurtre du policier et de sa femme, au domicile dans les Yvelines et revendiqué par Daesh, a-t-il aggravé ce mal-être ?
Bien sûr, même si les policiers se sentaient déjà en insécurité. Il y a eu des sites internet qui dénonçaient certains policiers et donnaient leurs adresses. Ils se sentent sans arrêt sous la menace. Beaucoup d'entre eux n'habitent pas sur leur lieu de travail. Cet événement augmente ce sentiment. Mais on ne sait pas encore s'il s'agit vraiment d'un attentat, d'un règlement de comptes, ou les deux.
La police française est-elle dépassée face aux 'Black blocs' et leur organisation quasi militaire ?
La police française a toujours eu une bonne réputation dans le domaine du maintien de l'ordre. Il y a une police spécifique composée de gendarmes mobiles et de CRS (environ 25 % à 30 % des effectifs) qui attend qu'on l'appelle pour gérer les événements problématiques. C'est un choix politique et coûteux que peu d'autres pays ont fait à cette échelle. Avec un résultat positif, il n'y avait quasiment jamais de morts et très peu de blessés graves causés par la police, comme on l'a constaté lors des émeutes de 2005. Mais il faut se demander si ce modèle est toujours valable. Et l'apparition des armes dites non létales pose problème, car elles remettent en cause ce modèle et sont très utilisées.
Pourquoi ?
Parce qu'il y a beaucoup de blessés des deux côtés. Il y a aussi un problème de stratégie : les policiers ont du mal à attraper les casseurs. Ils se mêlent aux manifestants et s'en vont quand la police réplique. Du coup, les policiers s'énervent, et interpellent, par défaut, des manifestants qui ne sont pas dans une posture violente. Ces derniers peuvent se dire que les casseurs ont raison. Cela produit un cercle vicieux de dérapages. Avant, la police avait la capacité de négocier avec les services d'ordre des syndicats. C'est moins le cas. Pourtant, les manifestants n'ont pas intérêt à ce qu'il y ait des casseurs qui discréditent le mouvement. On voit comment le Premier ministre utilise la police pour asseoir son autorité et éviter le débat.
Le gouvernement utilise-t-il la police à des fins politiques ?
Oui. L'état d'urgence a par exemple été utilisé pour restreindre l'action des militants qui manifestaient contre la COP21 ou contre la loi El Khomri. Il y a un mélange des genres. Cela pose un vrai problème de société. Pour qui travaille-t-on quand on est policier ? Pour les politiques ou pour les citoyens ? Les policiers sont tiraillés entre ces deux impératifs.
La police française est-elle politisée ?
Pendant très longtemps, elle a été majoritairement affiliée à des syndicats de gauche. Aujourd'hui, aucun syndicat policier majeur ne se positionne clairement à gauche. Chez FO, il y a toutes les sensibilités politiques. Et beaucoup de policiers, comme dans d'autres parties de la société française, votent sans doute FN. Beaucoup d'études annoncent un glissement des policiers vers la droite. Mais ces études mêlent les policiers et les militaires, donc c'est compliqué de se faire une idée précise. Ce qui est certain, c'est qu'il y a dans la société une très forte montée de la critique contre les élites de gauche et de droite, y compris dans la police.
Pourtant, le gouvernement a fait des "cadeaux" aux policiers …
Il n'y a pas pour autant d'engouement ni d'adhésion vis-à-vis du gouvernement actuel. Il est tenu pour responsable de l'absence de réforme de la police. Les syndicats sont entendus, mais il n'y a pas de mouvement définissant clairement la place du policier dans la société. Depuis 2002, la police s'éloigne de plus en plus de la population. La France a abandonné tout effort pour construire sa police de proximité. C'est le seul pays développé à avoir renoncé à tout progrès en ce sens. C'était le discours de Sarkozy à Toulouse en 2003.
Depuis 2012, les choses n'ont pas évolué.
Christian Mouhana non plus: il reste un militant de gauche. A propos de l'Institut national des hautes études de la sécurité (Inhes), dont il a démissionné, il écrivait en 2007: "Pour le directeur, on est une bande de gauchistes fous."
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