Les Anglais sont encore dans le coup
Des violences entre Russes et Anglais ont ravagé le centre de Marseille vendredi et samedi, mais organisateurs et forces de l’ordre ont sous-estimé le danger, puis minimisé les affrontements entre hooligans, phénomène loin d’être éradiqué, notamment en Europe de l’Est et en Angleterre.
On croyait les images de 1998 définitivement remisées aux archives. Mais le premier week-end de l’Euro a rappelé que le hooliganisme sévit toujours. Vendredi et samedi, supporteurs russes et anglais ont à nouveau mis à sac le Vieux-Port de Marseille. Pluie de bouteilles, jets de chaises en quantité industrielle et tabassages à la barre de fer ont laissé le centre-ville KO.
Une trentaine de blessés sont a délorer, dont quatre graves, sept personnes écrouées et dix déférées, pour des milliers d’euros de casse.
Dimanche, la plupart des quotidiens titraient sur le camouflet infligé aux autorités françaises.
La presse - qui a relayé la légende de la fin du hooliganisme - s’alarme maintenant des nombreux matchs à risque, notamment le Ukraine-Pologne du 21 juin attribués à… Marseille.
De son côté, organisateur de l’Euro qui a fait confiance à la France, le comité exécutif de l’UEFA, a prévenu qu’il "n’hésitera pas à sanctionner plus lourdement les fédérations anglaise et russe, allant jusqu’à la disqualification de leurs sélections en compétition, si de telles violences venaient à se reproduire".
Une procédure disciplinaire spécifique a également été ouverte contre la Russie pour des "perturbations" au Stade Vélodrome, un "comportement raciste" et le lancer de "fumigènes".
Un déficit d’anticipation des risques, malgré l' "état d'urgence" en vigueur
Depuis de longs mois, le match Angleterre-Russie promettait de plonger Marseille en plein enfer. Antoine Boutonnet, le patron de la Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), l’indiquait à Libération lors d’une entrevue réalisée il y a une quinzaine de jours : "Ce match est vraiment problématique", disait-il. Sachant cela, il est d’autant plus étonnant d’avoir assisté à de telles scènes de Far West.
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"Visiblement (?), c’est la stratégie ultra-rodée des hooligans russes qui a mis le feu aux poudres". "Il s’agissait de bourrins répartis en petits groupes. Ils frappaient simultanément et étaient très mobiles. On sentait une vraie expérience", témoigne un flic marseillais.
Ils seraient de plus entrés en France au compte-gouttes depuis la Suisse et l’Italie, ce qui a surpris le ministère français de l'Intérieur. A croire que l' "état d'urgence" est une mascarade.
Quant aux Anglais, si 28.000 d’entre eux étaient présents au Stade-Vélodrome, environ le double a sillonné les pubs du Vieux-Port, sans billet pour le match. Cette frustration et cette errance expliquent-elles les heurts qui s'en sont suivis avec les Russes ? "L’enjeu, face à ce type de masses, est d’avoir une idée des volumes, explique-t-on au ministère de l’Intérieur. Mais c’est une science inexacte. La billetterie donne une indication fiable de la répartition dans les stades. Pour le reste, il faut envoyer des requêtes aux voyagistes, aux compagnies aériennes, mais on n’obtient jamais un comptage précis." Pas mieux de la part de la police de l'air et des frontières ?
Si un travail en amont a pu être mené avec les autorités britanniques - 2.000 passeports ont été confisqués par Londres aux hooligans fichés -, les échanges d’informations ont été plus lâches avec les autorités russes. Et les tensions diplomatiques y sont pour beaucoup, mais une collaboration difficile devait être envisagée. Dimanche, depuis le ministère défaillant, Pierre-Henry Brandet, le porte-parole de la Place Beauvau, a assuré que "ceux qui se sont livrés aux actes de violence n’étaient pas connus des services de sécurité de leur pays".
Le maintien de l’ordre était-il au niveau de l'enjeu ?
Les ordres donnés aux forces de l'ordre ont envenimé la situation. Les rixes à peine terminées, Geoff Pearson, un expert britannique du hooliganisme, estimait que le maintien de l’ordre à la française, jugé trop rigide, avait contribué à échauffer les esprits : "La première interaction avec un fan de football ne devrait pas être un gazage ou un coup de matraque. S’il n’y a pas d’engagement positif avant, c’est que le policier a failli dans sa mission."
Le préfet de police de Marseille, Laurent Nunez, nie le bien-fondé des faits "Qu’est-ce que vous voulez que l’on aille dire à ces groupes ? Vous avez des milliers de personnes assises en terrasse en train de s’alcooliser dans le calme et, d’un coup, un groupe antagoniste arrive et ça part en rixe. Il suffit d’une étincelle. A quel moment voulez-vous qu’on intervienne ?", a-t-il confié, visiblement débordé.
A Marseille, dix policiers anglais étaient déployés, en assistance.
Parmi eux, se trouvaient les fameux "spotters", chargés d’identifier et de dialoguer avec les franges les plus agitées. Mais, comme les quatre unités de forces mobiles, ils ont un temps été dépassés, estime la presse française aux ordres. "Les incidents n’ont pas excédé une heure et demie", relativise Laurent Nunez, comme si le temps faisait beaucoup à l'affaire.
S'ajoute la querelle des chiffres. Pour le Turquie-Croatie de dimanche après-midi au Parc des Princes, autre match classé "à risque", 1.500 policiers étaient mobilisés, 500 de moins que lors des PSG-OM du début des années 2000. Savoir si cette disparité ne serait pas en lien avec l'engouement moindre suscité par ce type de matchs...
Comment gérer la suite de la compétition ?
Bien que confrontée durant de longues années au hooliganisme, les autorités anglaises doivent continuer d'actionner plusieurs leviers qui n'ont donc pas fait la preuve de leur efficacité sur le long terme: un fichage draconien des éléments les plus violents, l’augmentation astronomique du prix des places et l’avancement de l’horaire des matchs. Ainsi, des Liverpool-Manchester de tout premier ordre se jouent parfois à l’heure du déjeuner. L'objectif, puisque la consommation d'alcool n'est pas prohibée, est éviter que les supporteurs finissent les fûts de bière avant d’aller au stade. Cette parade est-elle une solution applicable à l'Euro ? Les horaires et la localisation des rencontres ont été figés dans le marbre à l’occasion d’un tirage au sort. Question d’équité, dixit l’UEFA.
Dès lors, de nombreuses voix s’élèvent pour interdire la vente d’alcool. Envisageable légalement, la mesure n’en est pas moins difficile à mettre en œuvre dans certaines villes. A Marseille, deux arrêtés avaient été pris pour interdire la consommation sur la voie publique, comme la vente aux abords du stade et de la fan-zone. Si, en cas d’arrêté d’interdiction généralisée, les grandes surfaces joueront le jeu, par crainte de contrôles plus faciles, les épiceries indépendantes, alléchées par une possible hausse du chiffre d’affaires, continueront probablement d’écouler les canettes sous le manteau. Dimanche, lors d’une déclaration à la presse, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a tout de même plaidé pour des "interdictions strictes dans des périmètres sensibles". Ce gouvernement en reste éternellement aux intentions, sans que viennent jamais les décisions.
En outre, la Place Beauvau a annoncé des interdictions d'accès en des lieux précis - mesure permise par l’état d’urgence -, ainsi que des obligations de quitter le territoire français (OQTF) pour les hooligans impliqués dans des troubles à l’ordre public.
De nouvelles interdictions de territoire pourraient également être prononcées.
Or, pour la seule journée de jeudi, deux matchs à risque sont programmés : Angleterre-Galles à Lens et Allemagne-Pologne à Saint-Denis.
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