Le pouvoir socialiste n'a pas sanctionné sa servante
Cette affaire souligne l'impunité de la haute administration.
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Un taxi customisé Vuitton ou je rends ma carte du PS |
La prĂ©sidente de l'INA a prĂ©sentĂ© sa dĂ©mission ce mardi aprĂšs la rĂ©vĂ©lation d'une facture colossale de taxi mais AgnĂšs Saal conserve son statut de fonctionnaire, observe Eric Verhaeghe pour Le Figaro. AprĂšs les rĂ©vĂ©lations sur ses frais de taxi, AgnĂšs Saal a donc jetĂ© l'Ă©ponge, mais si elle quitte ses fonctions de l'Institut National de l'Audiovisuel (INA), sa dĂ©cision nous prive peut-ĂȘtre d'autres rĂ©vĂ©lations sur ses turpitudes.
[Comme Aquilino Morelle,] AgnĂšs Saal appartient Ă cette classe de petits marquis de gauche qui ont fait ou font carriĂšre en se politisant et en rendant des services aux Ă©lus dans le sillage de qui ils s'inscrivent. Cette technique leur permet de rebondir d'Ă©lection en Ă©lection, jusqu'Ă imaginer que la machinerie publique dont ils sont les dirigeants se rĂ©sume Ă un jeu d'obstacles dĂ©connectĂ© de l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, jusqu'Ă ĂȘtre persuadĂ©s que la machine est Ă leur service et non l'inverse.
Il existe une rhĂ©torique amusante, consubstantielle Ă l'Ă©tiquette de cette Cour. Il est de bon ton d'y dĂ©noncer les petits patrons poujadistes mais de courber l'Ă©chine devant les grands du CAC 40 qui pourraient un jour vous recruter. Il est de bon ton d'y fustiger RMC (qu'on Ă©coute dans le taxi, occupation essentielle quand le chauffeur est en vacances) et de n'Ă©couter que Patrick Cohen qui dit si bien tout haut ce que les gens bien se rĂ©pĂštent chaque soir dans les salons. Il est obligatoire d'avoir en horreur le Front National qui est poujadiste et populiste mais de ne jamais franchir le pĂ©riphĂ©rique ou alors seulement avec une moue de dĂ©goĂ»t et en prenant soin de bien appeler tous ses copains pour leur annoncer triomphalement qu'on l'a fait. Il est tout aussi obligatoire de dĂ©fendre becs et ongles la laĂŻcitĂ© et l'Ă©cole publique, mais d'inscrire ses enfants dans une Ă©cole privĂ©e quand on n'a pas rĂ©ussi Ă se trouver un appartement pas trop cher dans l'hypercentre parisien. Il faut proscrire le racisme et l'antisĂ©mitisme bien sĂ»r, vomir tous ceux qui veulent dĂ©fendre l'identitĂ© nationale, mais on interdit Ă ses enfants d'aller dans les quartiers difficiles, de prendre le mĂ©tro aprĂšs 20 heures, et on conseille Ă sa fille de changer de trottoir quand un groupe de jeunes immigrĂ©s arrive. Et, bien entendu, il faut dĂ©noncer tous ces salauds de droite qui se remplissent les poches sur le dos de pauvres travailleurs opprimĂ©s, mais ne surtout pas se gĂȘner pour faire payer le taxi de son enfant par le contribuable.
Longtemps à l'abri des regards, ces petits travers [ou coûteuses libertés] posent de plus en plus problÚme à l'opinion publique. En phase de disette budgétaire, plus personne ne peut admettre qu'un haut fonctionnaire bénéficie d'une voiture de fonction, d'un chauffeur à demeure, et qu'il se prélasse malgré tout dans des taxis pour une somme équivalent à 4.000 euros par mois. Surtout, s'il a accédé à son poste de direction en surfant sur les différents ministres socialistes qui l'ont promu au nom du redressement dans la justice et de la lutte contre la finance.
AgnÚs Saal a quitté son poste et son geste est présenté comme une démission: de qui se moque-t-on ?
Il faut bien entendu expliquer au public qu'AgnĂšs Saal ne tardera pas Ă retrouver un poste de fonctionnaire oĂč elle sera payĂ©e entre 6.000 et 10.000 euros nets chaque mois, pour une charge de travail trĂšs incertaine. On aimerait ĂȘtre plus prĂ©cis sur les chiffres, mais la haute fonction publique, qui est trĂšs exigeante sur la transparence des rĂ©munĂ©rations dans le secteur privĂ©, maintient un black-out complet sur les rĂ©munĂ©rations publiques.
Une tique gorgée du sang du contribuable |
Cette impunité est l'une des explications majeures du déficit public qui étouffe la croissance en France. Il n'existe aujourd'hui aucun mécanisme qui incite les hauts fonctionnaires à placer la dépense publique sous contrÎle. Les nominations et les carriÚres se font selon des critÚres trÚs politiques (ou amicaux) qui excluent totalement les aspects financiers. L'attitude d'AgnÚs Saal en est la meilleure preuve.
Dans la dĂ©sincitation des hauts fonctionnaires Ă maĂźtriser les dĂ©penses, la question de la sanction se pose. Lorsqu'un haut fonctionnaire est pris en dĂ©faut, son seul risque est d'ĂȘtre mis dans un placard dorĂ©. Est-ce suffisant pour inciter une caste Ă rĂ©viser ses fondamentaux? [La dame n'a qu'Ă patienter quelques mois sur une Ăźle ensoleillĂ©e, en attendant que le pouvoir reconnaissant - sur intervention d'un proche de Lionel Jospin, de Catherine Trautmann ou de Catherine Tasca - lui trouve un point de chute pour une prĂ©-retraite dorĂ©e tant mĂ©ritĂ©e: la fameuse Inspection gĂ©nĂ©rale des affaires sociales ou IGAS ?]
Dans la logique de mise sous contrÎle des dépenses, il faut évidemment savoir se poser la question de la réforme de la haute administration, sous ce double aspect. Premier aspect: comment dépolitiser les carriÚres et inciter les décideurs publics à bien gérer? DeuxiÚme aspect: ne faut-il pas les "sortir" du statut de la fonction publique et prévoir leur licenciement pur et simple [leur révocation] lorsque leur gestion n'est pas à la hauteur des attentes collectives?
TĂŽt ou tard, la question se posera, assure Eric Verhaeghe.
Il a Ă©tĂ© prĂ©sident de l'Apec (Association pour l'emploi des cadres) entre 2004 et 2009. Il est Ă©galement l'auteur de plusieurs ouvrages publiĂ©s chez Jacob-Duvernet: "Jusqu'ici tout va bien", "Au cĆur du MEDEF: chronique d'une fin annoncĂ©e", et "Faut-il quitter la France?". Retrouvez ses chroniques sur son site.