"On sert notre pays, même avec nos petits moyens"
"S’engager pour le pays"
Des hommes et des femmes entrent dans la réserve militaire avec la volonté de prolonger le service de la patrie. Parmi eux, 20minutes cite deux femmes contre un seul homme, Philippe, Marie et Adeline... Au quotidien, ils sont étudiant, responsable des ressources humaines dans un hôpital et employée dans une chambre d’agriculture. Quelques jours, voire plusieurs semaines par an, ils ont fait le choix de devenir des militaires à part entière.
Le service militaire, un manque à combler
Pour Philippe Males, étudiant en 3e année de chimie à la faculté de Toulouse (Haute-Garonne), le choix de la réserve est arrivé un peu par hasard, via un am. Depuis un an et demi, le jeune homme enchaîne les formations et les entraînements au sein du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Castres. Cet été, il devrait effectuer son premier Vigipirate. Cette mission de surveillance et d’aide à la population est qualifiée d’"accomplissement". "Partir sur le terrain, c’est l’aboutissement de nos entraînements. C’est aussi une fierté d’être au service de la Nation", explique Philippe.
Un besoin "sans précédent" en hommes face à la menace terroriste
Les risques encourus durant la mission ne font pas reculer le jeune homme, en réaction à la menace terroriste qualifiée de "sans précédente" par le Premier ministre Manuel Valls. "Oui, il y a un contexte particulier aujourd’hui avec les attentats de janvier. On nous dit de faire attention. Mais on est préparé aux agressions et entraîné au maniement des armes. Et puis, le risque, il faut l’accepter", explique le jeune homme.
Un risque évoqué également par Marie Portes, sergent de réserve au 31e régiment du génie à Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne). "Nous sommes vigilants, encore plus sérieux dans ce que nous faisons", affirme cette responsable des ressources humaines de 29 ans. Mais le jeu en vaut la chandelle: "On sert notre pays, même avec nos petits moyens. On est là, on rassure la population, on limite les risques. Et puis on représente notre régiment, l’armée", dit-elle avec fierté. Et qu’importent les difficultés de planning entre la vie professionnelle et militaire, la réserve représente "une bouffée d’air". En respiration alternée...
La Syrie ne draine pas toute la jeunesse
Adeline Vaulot est réserviste depuis six ans et demi, un choix effectué à "17 ans et demi" et elle oriente son sens du service et de l'abnégation vers le pays qui l'a aidée à grandir... Aujourd’hui employée dans une chambre d’agriculture, la jeune femme de 24 ans est maréchal des logis réserviste au 61e régiment d’artillerie de Haute-Marne. Elle a déjà effectué deux missions Vigipirate à Montpellier et à Lyon, et devrait repartir en mission en juillet.
En septembre 2013, envoyée à l’aéroport de la capitale des Gaules, Adeline a été chef de groupe, responsable de deux autres militaires. Elle a notamment effectué des rondes, mais aussi collaboré avec la police des frontières et les douaniers. L’expérience a été marquante: "Vigipirate est une mission un peu à part. On est en extérieur, en opérationnel. On travaille ensemble et on y met du cœur", explique-t-elle. Un engagement qu’elle compte bien renouveler: "J’essayerai de continuer la réserve tant que je peux. Aujourd’hui, c’est ma priorité."
Une relève nécessaire en soutien aux hommes épuisés de Vigipirate
Policiers et militaires font partie du paysage urbain depuis les attentats de janvier, stationnant armés devant les bâtiments sensibles (écoles et lieux de culte, media, ambassades ou groupe de presse…) Pistolet-mitrailleur noir en mains, un policier avoue: "Rester debout à ne rien faire, c’est fatigant". "Mais on est surtout blasé. On n’est pas entré dans la police pour faire de la garde." "Pendant qu’on est là, on n’est pas en train d'effectuer des missions de secours, c'est-à-dire notre travail de policier", ajoute un militaire déçu et agacé.
"Les hommes ont besoin de repos"
Les niveaux actuels du plan Vigipirate, "alerte attentats" pour l'Ile-de-France et les Alpes-Maritimes et "vigilance renforcée" pour le reste de la France, devraient être prolongés pour "plusieurs mois," au-delà du 10 avril, a indiqué une source gouvernementale. "Pendant plusieurs mois, on fera donc de la m..., mais on n’a pas le choix...", se désole un militaire.
"Ce prolongement dans la durée montre que la situation est préoccupante", reconnaît Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint du syndicat Alliance Police Nationale. "Mais les hommes ont besoin de repos, de souffler un peu. Ils tiennent plusieurs heures debout avec leurs gilets pare-balles. Ce ne sont pas des robots, ils ne pourront pas tenir plusieurs mois."
Les hommes de trois compagnies de CRS se sont mis collectivement en arrêt maladie afin d'attirer l'attention sur les effets du plan Vigipirate qui les "épuise", un moyen déjà utilisé dans le passé de manifester leur mécontentement.
Les heures supplémentaires s'accumulent
"La police n’est pas organisée pour rester en Vigipirate sur le long terme. Nos collègues sont fatigués", développe Philippe Capon, secrétaire général UNSA Police. "S’ajoute à la fatigue une lassitude face aux missions 'pots de fleurs', 24h/24h, jour et nuit, et peu valorisantes pour les hommes."
Depuis quelques semaines, les périodes de repos se font plus espacées. "Le niveau alerte attentats impose que les chefs de service privilégient la nécessité du service sur les congés. Il y a une restriction de ce côté-là", précise Frédéric Lagache.
Autre sujet délicat, les heures supplémentaires. "Les policiers font des heures supplémentaires et ne peuvent pas les récupérer. On en était déjà à 19 millions d'heures en attente en décembre 2014 et on devrait atteindre les 20 millions à la fin de l’année 2015", explique Philippe Capon.
"Eviter le drame"
Les deux syndicats soulignent le manque d’effectifs. "Pourquoi ne pas déléguer certaines missions de garde statique à des officines privées ?", demande Frédéric Lagache, prenant pour exemple les missions de filtrage dans les aéroports. "Cela permettrait de recentrer les policiers vers le cœur de notre métier." Le transfert de cette activité régalienne divise toutefois la profession.
Pour le moment, seuls les militaires sont également sur le pont. Outre les gendarmes, 10.500 soldats ont été déployés depuis janvier pour protéger les 830 "sites sensibles" en France. Mais, là aussi, la fatigue se fait sentir. "Nos effectifs ne nous permettent pas sérieusement de tenir le rythme actuel de déploiement sur plusieurs mois", affirme Jean-Hugues Matelly, président de l'association professionnelle GendXXI, qui demande davantage de recrutements.
"Les permissions et repos sont reportés, les stocks s’accumulent. Les hommes sont fatigués nerveusement et physiquement. Face à cette situation complexe, il faut veiller aux temps de récupération si l’on veut éviter le drame."
Le plan Vigipirate s'étend aux centres commerciaux
Depuis les attentats de djihadistes français à Charlie Hebdo, le 7 janvier, puis à l’Hyper Cacher le surlendemain, les besoins en vigiles ont grimpé, mais l’embauche ne suit pas. En période troublée, la peur fait certes bondir la demande, mais l'offre se raréfie. Les services de sécurité de l’Etat, (police, gendarmerie et armée) sont en état d’alerte maximale sur le territoire français, mais ne suffisent pas à faire face à la menace djihadiste. Les sociétés de sécurité privées doivent répondre à une demande accrue de main-d’œuvre qualifiée, dans un secteur qui en manque.
La sécurité privée emploie environ 250.000 agents contre 150.000 policiers et gendarmes. "Il y a eu pas mal de panique dans les heures qui ont suivi les attentats et nous avons eu un certain nombre de demandes liées à cette situation atypique, atteste Olivier Féray, PDG de Prosegur France, l’une des cinq plus importantes sociétés de sécurité privée française avec 5.500 salariés. Tous les lieux qui accueillent des gens ont décidé de renforcer leurs dispositifs."
L’activité avait ralenti sous l'effet conjugué de la crise économique et des tergiversations socialistes. "Les entreprises réduisant leurs dépenses et rognant sur ce qui pouvait l’être, les budgets de sécurité ont été amputés", témoigne Olivier Féray. Mais, depuis janvier, aux grands magasins voulant assurer la sécurité de leurs clients pour la période de soldes se sont ajoutées les demandes d’établissements et de services publics déterminés à rassurer leur public face à la menace invisible. "Là où il fallait deux personnes pour filtrer les entrées, il en a fallu une troisième", précise le patron de Prosegur France.
Or, le secteur peine à recruter, comme le confirme le groupe Triomphe Sécurité, qui emploie d’ordinaire 1.500 agents pour protéger, entre autres, Disneyland Paris et des centres commerciaux franciliens. Triomphe Sécurité a déjà fourni plus d’une centaine d’agents de sécurité supplémentaires à sa clientèle, même alors qu'elle en aurait souhaité "plus de 300".
Toute la difficulté est de parvenir à conserver les agents compétents. Il s’agirait essentiellement d’une question de faible rémunération, un agent de "base" étant en général payé au Smic, soit 9,61 euros de l’heure, même si le travail de nuit et du week-end permet d’améliorer la paye.
Selon le SNES (FSU), les effectifs d’agents de sécurité ont toutefois augmenté de 15 à 20% depuis les événements". Mais les difficultés de recrutement sont également liées à l’image de la profession, même si, depuis les attentats, cette dernière "a énormément évolué de manière positive". "Les gens comprennent que les agents ne sont pas là pour les embêter mais pour les protéger", affirme le patron de Prosegur. "On ressent un regard nouveau et positif des citoyens", confirme Jean-Pierre Tripet, président du Syndicat national des entreprises de sécurité (Snes). Son entreprise, Lorica, recrute ses agents "dans le milieu sportif", et notamment "dans les arts martiaux" : "Ils savent défendre leur intégrité physique, mais aussi appréhender la menace et le danger."
Pour devenir agent de sécurité privée, une formation de base de cent quarante heures dispensée dans des centres spécialisés est obligatoire. Sanctionnée par un certificat de qualification professionnelle, la formation porte sur différents aspects juridiques et techniques - légitime défense, secours et assistance à personne - et autres spécificités du métier, telles le certificat incendie, la surveillance physique et vidéo, l’utilisation des moyens de défense et d’alarme… Le processus de recrutement se révèle assez long - de trois à six mois - en raison d’enquêtes administratives diverses en sus de la formation. Enfin, selon les recruteurs du secteur, "calme, recul, pondération, faculté d’évaluation" comptent parmi les qualités nécessaires au métier. "Avec les évolutions de la pratique et du regard de la population, qui a compris que l’on participe à la sécurité du pays, nous gagnons nos lettres de noblesse", se félicite Jean-Pierre Tripet. Il en veut pour preuve qu’aujourd’hui, "toutes les casernes, à l’instar de l’Ecole militaire, sont gardées [le savait-on] par des sociétés de sécurité privées supervisées par des militaires gradés". Difficile de rêver plus belle vitrine que l’armée faisant appel à des vigiles pour renforcer la sécurité de ses installations.
Vigipirate fait baisser le nombre de cambriolages et de vols.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vous pouvez ENTRER un COMMENTAIRE (il sera modéré):