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jeudi 1 mai 2008

Révolution interne à la CGT ; et au PCF, c’est pour quand ?

Mutation cégétiste de la révolution à l'art du compromis
Au siège de la CGT, le 16 avril, Bernard Thibault provoqua l’hilarité en lançant : «Jean-Claude Mailly vient de m'appeler pour voir ce que nous pourrions faire ensemble La rupture dans la gauche syndicale, c’est la réunification de la CGT et de FO ! En plus d’un possible rapprochement entre la CGC et l'Unsa, laquelle cherche à devenir ‘représentative avec la complicité –à ses risques et périls- de la CGC, le surréalisme est à son comble…

A l’issue d’une réunion d’étude du texte sur la représentativité syndicale bouclé une semaine plus tôt avec l'ensemble des partenaires sociaux, Bernard Thibault sort quelques instants pour donner à la presse la position des 54 membres du comité exécutif : c'est «oui» à l'unanimité : un «gouvernement» soumis dit rarement non à son «président» totalitaire. Mais le «Parlement» de la CGT, la ‘base’. Et bien, Thibault a convié les fédérations et les unions départementales (UD) à assister aux débats. Les échanges furent animés : «Quelques-uns [des corporatistes], notamment dans la banque, s'interrogeaient sur les conséquences de ce texte dans leur secteur, explique un participant, parce qu'ils redoutent de ne plus avoir leur mot à dire dans les négociations avec les directions.» Du coup, des rumeurs ont circulé faisant état d'un vote des fédérations et des UD différent de celui de la commission exécutive. Du jamais vu ! … Au final, avec du doigté, Thibault –à l’école privée de Xavier Bertrand– arrache la ratification du texte : 19 fédérations pour, 7 contre. Une belle victoire pour Thibault et qui confirme la lente transformation que le leader cégétiste impose depuis neuf ans à sa centrale.

De Bernard Thibault, on connaît peu de chose. Il a 49 ans, mesure plus d'un mètre quatre-vingt, a toujours sa coiffure à la Mireille Mathieu pour masquer ses oreilles de Jumbo, ne se déplace jamais sans ses gardes du corps, a déjà grimpé les marches du Festival de Cannes… Pour le reste, le «Sphinx» -c'est son surnom en interne- cultive le mystère. «Personne ne sait jamais ce qu'il pense. Il ne se prononce pas, comme s'il n'en avait pas le droit. Et, par rapport aux autres leaders, il a beaucoup de collaborateurs directs», déplorent des syndicalistes d'autres organisations. D'où des relations plus compliquées et plus lointaines avec les autres patrons des grandes centrales. Avec Mailly, le patron de FO, le courant ne passe d’ailleurs pas bien. «En fait, c'est plus simple quand ces centrales discutent non pas entre numéros 1 mais entre numéros 3 !» s'amuse un syndicaliste qui estime que ses prédécesseurs étaient plus bon enfant, plus spontanés. Pense-t-il à Krasucki ? (se délecter avec la video dans PaSiDupes- cf. libellé)

«C'est Thibault qui a rénové la CGT» et les faits parlent d'eux-mêmes. Lors du 46e congrès, en 1999, qui marque le début de son premier mandat (il en est à son troisième et à deux quinquennats, bientôt), il énonce ce qui pourrait être la nouvelle devise de la CGT : «Contester, mobiliser, proposer, négocier». Ainsi tournait-il la page de la vieille doctrine marxiste-léniniste de l'avant-garde du prolétariat : «un scénario où 650 000 clairvoyants apporteraient la lumière à 58 millions d'aveugles n'a aucune chance de succès», lance-t-il à l'époque.
Avec Thibault, la CGT enraye la chute de ses effectifs, adhère à la réformiste Confédération européenne des syndicats (CES) et à la Confédération syndicale internationale
, «ces deux démons, bras armés des États-Unis contre la patrie du syndicalisme», selon l'expression ironique de Dominique Andolfatto, maître de conférences à l'université de Nancy.
Autre preuve de son évolution,
la CGT a appris, comme la CFDT, à nouer des liens avec les patrons des grandes entreprises du CAC 40. « Ses cadres réformistes, notamment le secrétaire de la CGT, Jean-Christophe Le Duigou, multiplient les opérations de charme depuis quelques années, note un syndicaliste. Elle envoie les plus urbains, les plus modernes, les plus diplomates pour montrer aux entreprises qu'elle a changé et qu'elle peut être un partenaire intéressant avec lequel il faut discuter. En clair, elle fait du lobbying.» Pour rentabiliser ses locaux de Montreuil, elle loue même des salles à des organismes qui n'ont rien à voir avec la centrale. La misère fait loi.

Une rénovation qui ne s'est pas faite sans heurts
Le PS pourrait en prendre de la graine.

Le référendum sur la Constitution européenne a bien failli coûter cher à Bernard Thibault. En 2005, la direction confédérale expliqua alors pourquoi il ne fallait pas donner de consigne de vote. Mais la commission exécutive vota le rejet du texte (74 pour, 37 contre et 5 abstentions). On n’est pas habitué à la CGT.
Plus inquiétant encore : le numéro un de la CGT est désavoué par la Fédération cheminots, dont il est pourtant issu. On parle alors d'un congrès anticipé qui finalement ne verra pas le jour. Début 2006, il retrouve une tête de cochon déposée devant son domicile et son chat aurait été égorgé : drôles de mœurs ! Et puis il y a cette sciatique qui le handicape terriblement : la rumeur affirme alors qu'il en a «plein le dos» ! En fait, c'est le conflit du CPE qui lui retire une gros bec de perroquet dans les lombaires et qui le relancera sur les rails, en lui permettant de changer de voie et de resserrer ses troupes sur de nouvelles revendications.

Outre évidemment la chute du mur de Berlin, qui marque l'entrée de l'organisation dans une ère nouvelle avec la fin du communisme et l’affaiblissement des ‘grands frères’ soviétique et français, c'est paradoxalement l'élection du Président Sarkozy qui accélère le processus de «transformation» de la CGT, alors que le PS galère toujours. Une réforme à ajouter à son bilan, mais que le PS de l’amère Royal n’est pas prêt de lui créditer.
«D'emblée, analyse Dominique Andolfatto, le président de la République affiche un copieux et ambitieux agenda de réformes sociales et va chercher à faire des syndicats des interlocuteurs privilégiés. Dans un premier temps, il semble plutôt cibler la CFDT et FO. Mais, très vite, la CGT paraît constituer un partenaire plus intéressant, compte tenu, notamment, de ses implantations dans les entreprises publiques où des réformes d'abord celles des régimes spéciaux de retraite doivent intervenir, sans parler de la solide notoriété que conserve le syndicat dans l'opinion.» Ainsi, le petit automne chaud de 2007 tourne-t-il court très vite, alors que les lycéens cornaqués en avril 2008 par la FSU font leur show. Bernard Thibault appelle à la négociation après une seule journée de grève. Ce qui déroute certains militants prêts à en découdre. Au final, le gouvernement rogne les privilèges des régimes spéciaux sans les supprimer pour obtenir l’accord sur l’essentiel, permettant à chacun de s'en tirer honorablement et à Bernard Thibault d'apparaître comme un conciliateur par rapport aux durs de son entourage…

Que la centrale reconnaisse de plus en plus la négociation, c'est bien là la nouveauté.
Il y a encore peu, elle préférait s'inscrire dans un rapport de force alors qu'aujourd'hui, la négociation a une valeur en soi. «D'ailleurs, ajoute Guy Groux, directeur de recherche à Sciences Po et spécialiste du syndicalisme, au dernier congrès, la CGT a été très près d'admettre la notion de compromis.» Lors du discours de clôture, Éric Aubin, membre de la commission exécutive confédérale, osa lancer aux militants que «quand la négociation s'appuie sur la mobilisation et l'action, le compromis n'est jamais la compromission». Les vieux militants confirment ce lent changement de culture. Un vieil adhérent depuis 1963 estime qu'«avant, ils allaient jusqu'au bout, maintenant ils arrivent à signer même si l'accord n'est pas complet.» A 85 ans, Denise, adhérente de 1948 à 1979, observe que l'organisation est «beaucoup moins agressive qu'avant et c'est une bonne chose. Elle est plus pédagogue vis-à-vis de ses syndiqués et du gouvernement d'ailleurs». Et d'ajouter : « Bernard Thibault n'est pas un révolutionnaire, il est prêt à discuter, à faire des compromis. C'est bien qu'en novembre il soit allé discuter avec le ministre du Travail au bout d'une seule journée de grève. Il a eu raison. Avant, l'intérêt de la CGT était de faire mousser les choses et de mener des grèves qui n'en finissaient pas.»

La signature de l'accord sur la représentativité marque bel et bien une nouvelle étape supplémentaire et décisive dans la mue de la centrale. Le texte vise à redistribuer les cartes de la démocratie sociale en France, dont les règles n'ont pas bougé d'un iota depuis 1966. Alors que les plus «petits» en terme de nombre d'adhérents ne souhaitaient pas ouvrir le débat sur un sujet qui aurait pu remettre en question leur place dans le paysage syndical, les deux géants que sont la CFDT et la CGT, de l'autre côté, appelaient depuis longtemps cette refonte de leurs vœux. Ce qui fait d'ailleurs dire à certains observateurs que le texte a été bouclé entre les deux grosses centrales et le Medef dans une sorte d'«alliance» de circonstance. Au terme de l'accord, chaque section syndicale devra recueillir au moins 10 % des suffrages du personnel pour participer à des négociations avec l'employeur. Le texte stipule également qu'un accord ne pourrait pas être validé sans l'aval d'au moins 30 % du personnel représenté par un ou plusieurs syndicats. C'est un premier pas vers l'accord majoritaire cher à la CGT. Même si quelques secteurs seront perdants, le patronat ne pourra plus contourner la centrale de Bernard Thibault en concluant des accords minoritaires. Et la signature d'une majorité de fédérations montre qu'en interne aussi on a accepté de perdre du terrain dans certaines entreprises pour sauvegarder l'essentiel dans l’ensemble.


Ultime révolution née de l'accord sur la représentativité : la centrale ne paraphe que très rarement des accords nationaux. C'est seulement le troisième texte interprofessionnel qu'elle signe en… trente-huit ans. Mais le mouvement s’accélère. La dernière fois remonte à 2003 avec l'accord sur la formation professionnelle. Avant, il faut remonter à 1970. Selon Guy Groux : «Cette signature est d'autant plus significative que la CGT le fait d'habitude dans une unanimité syndicale. Or, cette fois-ci, elle est la seule avec la CFDT et, côté patronal, avec le Medef et la CGPME. Elle a donc accepté d'être face à eux. Désormais elle devient un syndicat d'engagement puisqu'elle rompt avec la contestation. Elle fait un pari et témoigne d'une bonne volonté dans une démarche totalement inédite.» C'est sûr, la CGT a fait sa révolution, même si elle profitera du défilé du 1er mai pour protester contre l'allongement de la durée de cotisation pour financer les retraites.


L’évolution de la CGT ringardise aussi les partis politiques non gouvernementaux. Or, on dit que les trotskistes de Lutte Ouvrière et de la Ligue Communiste Révolutionnaire se montreraient moins sectaires. Le petit facteur Besancenot (LCR) se ‘pipolise’ et se rendrait à l’invitation de France 2, dans la très bourgeoise émission du BCBG révolutionnaire (!) Michel Drücker.

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