Le moratoire qu'annoncera le premier ministre est un recul insuffisant
Les Gilets jaunes y verront une avancée de leur lutte sur le gel des hausses de taxes sur les carburants, mais ce n'est qu'une mesure temporaire sur un avenir incertain. Ce geste était réclamé de toutes parts pour tenter de sortir de la crise sociale sur le pouvoir d'achat à quatre jours d'une quatrième mobilisation annoncée pour le samedi 8 décembre.
En dépit de la volonté du président Macron de garder le cap, cette mesure d'apaisement a été décidée sous la pression de la rue et de l'opinion, lundi soir à l'Elysée sous la présidence d'Emmanuel Macron, et sera annoncée ce mardi matin devant le groupe En marche! à l'Assemblée, puis lors de la séance de questions au gouvernement. Mercredi à l'Assemblée et jeudi au Sénat, il mènera un débat, a précisé une source gouvernementale.
Le nouveau délégué général de 'La République en marche' (LREM), Stanislas Guérini, était d'avis, mardi sur RTL qu'un tel moratoire sur la hausse des taxes serait "sain" et qu'il fallait "apaiser le pays", encore ébranlé par les émeutes sociales du samedi 1er novembre, notamment à Paris.
Ce moratoire n'est pas une garantie sur l'avenir
Cette suspension des hausses ne durera que plusieurs mois et n'affecte pas les hausses déjà effectives.
En seulement quelques semaines, le diesel a augmenté massivement de quelque 40 centimes et le moratoire ne concerne que la hausse de 7 centimes au 1er janvier.
En un an, le prix du diesel s’est déjà envolé de 21%, à 1,45 euro par litre, tandis que celui du SP95 a bondi de 15%, à 1,54 euro/l, selon les derniers relevés du ministère de la Transition écologique. La faute est imputée à la hausse des cours du pétrole, ce qui est un mensonge, puisque le cours du Brent a baissé en octobre et en décembre. La colère populaire est en vérité imputable au net relèvement des taxes gouvernementales sur ces carburants : la taxe carbone, qui devait être affectée à la transition écologique ne l'a pas été, mais détournée au profit du budget général, et la TVA est appliquée à la TICPE, ce qui constitue une double peine fiscale. La mauvaise nouvelle pour les automobilistes, c’est que ce coup de bambou fiscal va se poursuivre dans les prochaines années…
Or, le calendrier des hausses n'est pas moins alarmant.
Le gouvernement a en effet prévu de relever progressivement la taxe carbone, , jusqu’en 2022, ce prélèvement pesant sur les produits énergétiques en fonction de leur émission de CO2. Ce qui affecte le prix du fioul, du gaz… et bien entendu ceux des carburants. Pour ne rien arranger, le diesel, qui bénéficie actuellement d’une fiscalité encore légèrement favorable par rapport à certaines essences, va subir un rattrapage tout au long du quinquennat.
Sans oublier que la TVA sur ces carburants va aussi se renchérir, car elle s’applique, étonnamment, sur le prix incluant la taxe carbone.
Au total, ces tours de vis fiscaux doit encore entraîner une hausse du prix du diesel de 6,5 centimes d’euros par litre en 2019, et de 2,9 centimes pour l’essence, selon les calculs de l’Union française des industries pétrolières (Ufip), qui représente les principaux acteurs du secteur. Des augmentations similaires interviendront en 2020 et 2021. En 2022, le relèvement sera de 3,3 centimes par litre pour le diesel, et de 2,9 centimes pour l’essence.En clair, dans l’hypothèse où les prix hors taxe resteraient inchangés, le tarif du diesel, actuellement de 1,45 euro le litre, grimperait à 1,52 euro en 2019, soit 4,5% de plus. En 2022, il atteindrait 1,68 euro, soit une hausse de 15,7% par rapport à 2018. L’essence SP95 verrait de son côté son prix augmenter de 1,9% en 2019, de 1,54 à 1,57 euro/l, et de 7,5% entre 2018 et 2022, à 1,66 euro/l.
L’impact des hausses de taxe sur les prix des carburants entre 2019 et 2022, à prix hors taxe inchangé :
Evidemment, au-delà des taxes gouvernementales, qui représente 60% du prix à la pompe, d’autres facteurs jouent minoritairement sur l’évolution des tarifs des carburants : cours du pétrole, évolution de l’euro-dollar, marge des distributeurs… Il n’est donc pas impossible que les prix à la pompe diminuent dans les prochaines années, par exemple si la baisse des cours de l’or noir faisait plus que compenser la hausse des taxes. Mais les prix à la consommation peuvent aussi augmenter pour les mêmes raisons extérieures, mais à l'inverse. Les automobilistes risquent davantage de voir leur note grimper que le contraire!
Après avoir entendu les demandes de nombreux responsables politiques pour ce moratoire sur la hausse des taxes, Matignon a déjà confirmé l'annulation de la réunion avec des "gilets jaunes" prévue mardi après-midi : ils ne sont pas disposés à se laisser humilier plus longtemps par un gouvernement qui voudrait continuer à lui faire la leçon, notamment par le biais de ses blancs-becs de l'Assemblée qui n'ont pourtant aucune idée du montant du SMIC: lien PaSiDupes.
L'exécutif a pris conscience de l'impopularité de ses mesures
Face à l'urgence de la situation d'insurrection et aux risques courus samedi 8 décembre, une réunion au sommet s'est tenue lundi soir à l'Elysée autour d'Emmanuel Macron, Edouard Philippe et une dizaine de ministres, dont François de Rugy (Transition écologique) et Bruno Le Maire (Économie) qui avaient écourté un déplacement à l'étranger.
Certains rapportent avoir entendu des cris dans les couloirs et des portes claquer. L'Elysée a en revanche assuré que cette réunion de crise a "permis d'échanger sur les réponses à apporter aux mobilisations en cours."
Auparavant, le Premier ministre avait pris le pouls des chefs des formations politiques représentées au Parlement. Allié du parti présidentiel La République en marche, le MoDem avait fait valoir "l'urgence" d'un "geste d'apaisement".
A l'exception d'Europe Ecologie-Les Verts et de Génération Ecologie, toutes les formations d'opposition avaient plaidé pour un "moratoire" dans la hausse prévue le 1er janvier des taxes sur le carburant, mot d'ordre initial du mouvement des "gilets jaunes", dont la dernière manifestation samedi a été infiltrée par des "casseurs" qui sont à l'origine de nombreuses scènes de violence et de guérilla urbaine.
"Insuffisant", a souligné le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau
"J'espère que moratoire veut dire annulation de la hausse", a-t-il déclaré, circonspect, sur Public Sénat.
Laurent Wauquiez avait de nouveau plaidé pour un référendum, le RN et la France insoumise souhaitant une dissolution de l'Assemblée, et le PS brandissant une proposition de loi de "sortie de crise" avec des mesures en faveur du pouvoir d'achat.
S'il s'est retranché derrière son premier ministre, Macron semble néanmoins à la manœuvre. Sa visite officielle en Serbie prévue mercredi et jeudi a été reportée, tout comme une réunion de travail avec des associations d'élus locaux prévue mardi après-midi.
L'annulation de la réunion prévue mardi après-midi à Matignon avec des "gilets jaunes" n'est pas une surprise, les représentants des "gilets jaunes libres", qui avaient appelé dimanche à une sortie de crise, ayant annoncé dès lundi qu'ils ne se rendraient pas rue de Varenne, notamment pour "raisons de sécurité".
Ils auraient en effet reçu des menaces de mort et craignent que leur sécurité ne soit pas mieux assurée que la sérénité du Soldat inconnu.
La première réunion vendredi avait d'ailleurs viré au fiasco: seules deux personnes avaient accepté de se rendre au rendez-vous et l'une d'entre a préféré quitter la réunion.
Parmi les membres historiques les plus médiatisées des "gilets jaunes", Eric Drouet a appelé à l'intensification du mouvement de revendication lors de nouvelles manifestations samedi 8 décembre, plutôt que de "négocier avec un gouvernement qui perd de toute part".
Or, la capacité de gestion de l'ordre public est également au centre de la contestation politique.
Déjà entendus lundi soir à l'Assemblée, le demi-ministre de l'Intérieur Christophe Castaner et son binôme, le secrétaire d'Etat Laurent Nuñez, seul des deux à connaître son sujet, s'en expliqueront mardi après-midi devant le Sénat.
Les associations lycéennes contre la réforme du bac technologique et Parcoursup sont parvenus à se fédérer et à mobiliser. Porté par la contestation des "gilets jaunes", le mouvement a pris de l'ampleur lundi, avec des blocages de quelque 200 lycées, parfois accompagnés de violences.
Enfin, selon Bercy, les deux premières semaines d'actions des "gilets jaunes" ont déjà un impact "sévère et continu" sur l'économie.
Sur le plan judiciaire, au moins 57 personnes ont comparu lundi à Paris. Ils font partie des 139 suspects majeurs qui ont déjà été déférés au parquet de Paris, après les violences et les dégradations de samedi.
Au total, ce week-end, les violences ont donné lieu au chiffre record de 363 gardes à vue, dont 32 pour des mineurs, souvent des pillards opportunistes venus des banlieue, selon un nouveau bilan du Parquet de Paris.
De son côté, la maire (PS) de Paris Anne Hidalgo a estimé "entre 3 et 4 millions d'euros" les dégâts causés par les violences en marge de la manifestation parisienne pour les seuls "mobiliers urbains", pour n'avoir pas réussi à faire évacuer les éléments de chantiers sur un périmètre suffisamment large.
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