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mardi 3 avril 2012

Ado meurtrier : expliquer pour enfumer

"A force de vouloir expliquer la violence des jeunes, on oublie de parler de leur responsabilité"


Un prof de philo qui n'écrit pas dans Le Monde, ni Libération est-il nécessairement suspect ? Et s'il n'enchante pas les lecteurs de Télérama non plus ?
Non, bien sûr, mais c'est déjà un mauvais signe envoyé !

Alors qui est ce prof qui expose une réflexion alternative à la pensée unique ?
A 48 ans, Eric Deschavanne est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a publié , avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007). Mais il a récemment publié Le deuxième humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry (Germina, 2010) et là, il aggrave son cas. Mais poser le problème comme suit : "L'enquête se poursuit en Seine Maritime après le meurtre du jeune Alexandre, qui aurait été assassiné de deux balles dans la nuque par quatre de ses camarades âgés de 15 à 17 ans. Simple fait divers ou violence accrue des jeunes d'aujourd'hui ?" Ce n'est pourtant pas subversif.


Nous éviterons néanmoins de préciser qu'il partage ce qui suit dans atlantico.fr, car certains vont nous quitter ici... Voici son texte, pour ceux qui sont les plus nombreux, nous l'espérons, à venir sur ce blog.


Atlantico : Craignant d'être dénoncés pour un vol qu'ils avaient commis, quatre adolescents ont abattu puis brûlé leur ami. La violence des jeunes se radicalise-t-elle ?


Eric Deschavanne : Les faits divers de ce type, qui nous paraissent particulièrement monstrueux, nous frappent précisément par leur caractère exceptionnel. Il est donc malvenu d’y voir l’expression d’une banalisation de la violence. Je suis partisan de restituer à l’événement et aux auteurs de l’acte, leur singularité sans inférer de généralisation abusive.

Votre question traduit à mon sens une difficulté - que les commentaires médiatiques reflètent généralement - à penser la possibilité du mal. C’est particulièrement vrai quand de tels actes impliquent des mineurs, comme si ceux-ci étaient considérés a priori comme des êtres à l’abri du mal, des innocents que seule la société pourrait corrompre. On s’interroge doctement sur les conditions du « passage à l’acte » chez des « jeunes à la dérive », soumis à la mauvaise influence des « images violentes » propagées par la télévision et les jeux vidéo. On cherche des explications du côté d’une sociologie ou d’une psychiatrie de bazar qui dépossèdent le sujet du sens de son acte et de sa responsabilité. Or, dans ce cas de figure, tout le fatras explicatif habituel semble particulièrement inapproprié : les jeunes en question n’habitent pas une cité-ghetto ; ils sont issus, nous dit-on, de familles unies tout à fait ordinaires ; ils sont intégrés et ne souffrent pas de problèmes psychiatriques. Certes, ils ont dû pratiquer les jeux vidéo et regarder la télévision, mais comme des millions d’autres jeunes qui, fort heureusement, ne se lèvent pas le matin en concevant le projet d’assassiner leurs petits camarades.

L’expression « passage à l’acte » me heurte plus particulièrement : empruntée au vocabulaire de la psychiatrie, elle est en train de devenir un tic rhétorique incontournable dans les médias. Le problème est qu’elle porte en elle une pré-compréhension de l’acte, pensé comme aboutissement d’un mécanisme psychologique ou d’un processus pulsionnel qui échapperait à la conscience de l’auteur, et d’où la liberté serait totalement absente. Or, si l’on met à part les circonstances où l’on a affaire à des fous authentiquement irresponsables, les actes réalisent une intention consciente : le sens de l’acte est donné par la juste interprétation de cette intention qui l’anime. Ce qui fait problème, ce n’est pas le « passage à l’acte » de ces jeunes, mais l’intention mûrement réfléchie d’exécuter froidement un camarade d’une balle dans la nuque ! La prise en considération de l’âge ne change en rien à la caractérisation de l’acte : juridiquement, ce sont des assassins, et moralement, ce sont des salauds.

 
La vision du monde de ces jeunes a-t-elle changé ?

 Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, en l’occurrence. Dans les Confessions, Saint-Augustin dépeint cette tentation de l’acte transgressif qui naît à l’adolescence, ainsi que la jouissance du mal voulu pour lui-même : il rend compte, déjà, du sentiment de toute-puissance lié à la découverte du pouvoir de transgression, en évoquant « une image noire et ténébreuse de la toute-puissance divine ». Dans l’affaire de Normandie, il est a priori difficile de discerner quelle est la part de volonté naïve d’étouffer par le meurtre l’affaire du cambriolage et la part de plaisir sadique dans l’acte d’exécution.

 
Il est absolument certain que la jeunesse est un « âge dangereux ». Dans tous les pays, les courbes relatives aux actes de violence physique font apparaître une croissance à partir de l’entrée dans l’adolescence, un pic entre 18 et 25 ans, suivi d’une décroissance progressive jusqu’à la fin de la vie. Dans l’affaire des jeunes Normands, l’immaturité de la jeunesse (l’immersion dans le moment présent, le conformisme des pairs, l’égocentrisme) a manifestement joué un rôle, justifiant « l’excuse de minorité » : avec dix ans de plus, ces individus auraient peut-être résisté à l’effet d’entraînement ou au vertige de la transgression. L’intérêt bien entendu les aurait sans doute conduits à préférer courir le risque d’être dénoncé pour le cambriolage plutôt que celui d’une condamnation pour assassinat. Cela n’enlève rien à la noirceur du crime. Les jeunes se sont, dit-on, effondrés en prenant conscience de la gravité de leur acte. Il ne faut pas y voir, je crois, l’expression du remords, mais la conscience de la gravité des conséquences pour eux-mêmes : ils pleurent sur leur propre sort.


Cette violence exprimée de façon très concrète par des meurtres, des tueries aux Etats-Unis par exemple, n'est-elle que le symptôme d'une violence généralisée de la société ?

Il ne faut pas se laisser aveugler par le spectacle de la violence, même lorsqu’il est offert par le journal télévisé. Le mal est une réalité, la psychopathologie aussi. Aux Etats-Unis se pose de surcroît le problème culturel de la circulation des armes. Le fait est cependant que nous vivons dans des sociétés de moins en moins violentes : le nombre d’homicides en France a été divisé par deux en quinze ans, alors même que la population a augmenté. Nous connaissons ainsi la période la moins meurtrière depuis le début du XIXe siècle.

Il s’agit d’une tendance historique lourde, universelle et durable. Ce constat n’est toutefois pas incompatible avec le fait qu’il puisse y avoir ça et là des évolutions régressives et des situations inquiétantes. Il s’est manifestement formé au sein de nos banlieues une contre-société animée par une culture de la violence liée à l’économie de la drogue, au pouvoir adolescent et à la socialisation par les pairs. Cette culture de la violence facilite la circulation des armes et s’en nourrit. Je ne dispose pas de l’expertise permettant de mesurer exactement l’ampleur et la dangerosité potentielle du phénomène, mais il faudrait être aveugle pour ne pas identifier l’existence d’un problème. Il s’agit néanmoins d’une contre-société, dont les dérives nous heurtent d’autant plus que la société dans son ensemble évolue en sens contraire.

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