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lundi 24 juin 2019

Assurance-chômage la réforme qui réussit à hérisser même la CFDT

"Tout est problématique dans la réforme de l'assurance chômage," déplorent les réformistes de la CFDT

"On va passer d’un système d’indemnisation à un système d’accroissement de la pauvreté", met en garde Laurent Berger
Laurent Berger au siège de la CFDT, à Paris, jeudi:
il cire merveilleusement ses chaussures. Lui-même ?

Le secrétaire général de la CFDT dénonce le contenu de la réforme de l’assurance chômage dévoilée mardi. Et elle avait réussi à mettre en fureur le réformiste lors de sa présentation à Matignon.  A chaud, il s’était indigné contre un projet "profondément injuste". Deux jours plus tard, il a convoqué Libé au siège du syndicat pour revenir sur cette réforme qu’il jugeait toujours "extrêmement dure".

Votre colère concernant cette réforme est-elle toujours intacte ?

C’est une vraie colère. Quand j’étais conseiller en insertion professionnelle, j’ai trop vu de gens précaires pour feindre. Là, si je suis particulièrement en colère, c’est que
cette réforme n’a qu’un objectif budgétaire. L’essentiel des 3,5 milliards d’économie va se faire sur le dos des chômeurs. Elle repose sur l’idée fausse que s’ils le voulaient vraiment, les chômeurs retrouveraient du boulot. Or, toutes les études montrent que les abus ne dépassent jamais 15% des demandeurs d’emploi. On fait quoi pour les 85% d’autres? On fait payer à tous les conditions d’indemnisation.

Qu’est-ce qui pose problème dans cette réforme ?

Tout, à l’exception des dispositifs d’accompagnement, est problématique. Prenons les conditions d’accès à l’assurance chômage : elles passent à six mois au lieu de quatre auparavant. C’est une mesure purement budgétaire qui va toucher les jeunes et les contrats courts. Ça représente 240.000 personnes qui n’auront pas droit à l’indemnisation. Ils sont en train de créer des trappes à pauvreté. On va passer d’un système d’indemnisation chômage à un système d’accroissement de la pauvreté.

Quelle réforme auriez-vous souhaité ?

Mais il n’y avait pas besoin d’une réforme de l’assurance chômage, on l’avait faite en 2016 ! On avait alors fait 800 millions d’économies. On a toujours respecté nos engagements de gestionnaires, mais jamais en tapant sur les chômeurs.

Le gouvernement a aussi introduit le bonus-malus que vous défendiez depuis longtemps. Mais seulement dans sept secteurs d’activité. 

Vous êtes-vous senti trompé ?

En l’état, le dispositif est totalement insuffisant. On réclamait une mesure de responsabilité des entreprises mais le patronat a refusé de négocier. Donc on a dit au ministère du Travail : c’est bonus-malus pour tout le monde. Or, il ne va concerner que 34% des contrats courts. Dans son livre Révolution, Emmanuel Macron promet le "bonus-malus pour tout le monde" et "pas de dégressivité". La promesse n’a pas été respectée.

Aujourd’hui, cette mesure est pourtant présentée comme celle qui équilibre la réforme…

Au Pôle Emploi de Clichy-Sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 17 avril 2018.
Le gouvernement met en avant la nécessaire transition écologique et la justice sociale. Or, les premières mesures après le discours de politique générale, ce sont ces mesures injustes sur l’assurance chômage. Donc oui, c’est difficile pour nous de combattre ce double discours…
Comment contester cette réforme désormais ?

Dans les conclusions du grand débat, 53% des gens pensaient que pour réduire les dépenses publiques, il fallait toucher aux allocations sociales. Donc, je ne vais pas faire rêver à un grand soir. D’autres le feront, pas moi. On va organiser, le 25 juin, un rassemblement devant le ministère du Travail avec l’Unsa, la CFTC, la CGC, la Fage et des associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. C’est symbolique, c’est pour dire : on n’est pas dupe. A chaque fois qu’une décision sera injuste, la CFDT sera là pour le dire. Et, selon les sujets, on se mobilisera. Mais la mobilisation revêt des formes différentes, selon la capacité de construire le rapport de forces.

A aucun moment vous n’avez envisagé une action commune avec, notamment, la CGT ?

La CGT va manifester devant l’Unédic, qui gère le système d’assurance chômage, le 26 juin. Elle se trompe de cible. Rappelons quand même qu’ils n’ont jamais signé un accord sur l’assurance chômage et ont toujours considéré que c’était à l’Etat de faire. Eh bien voilà, c’est la fin de l’histoire : l’Etat gère. Et il le fait comme il l’entend… et c’est moins en faveur des demandeurs d’emplois que les compromis passés entre partenaires sociaux.

Il n’y a donc plus de marge de manœuvre ?

Dans une agence Pôle Emploi à Montpellier (Hérault).Hélas, je ne crois pas. Il y aura un décret dans l’été. Je pourrais vous dire qu’on va mettre demain 3 millions de personnes dans les rues, mais ça ne serait pas vrai, ne rêvons pas. Vous n’avez jamais assisté à des dîners avec des amis où certains parlent de "celui qui abuse" ? C’est tellement ancré. C’est pour ça qu’on n’arrive pas à mobiliser sur cette question des chômeurs. C’est dangereux, je suis persuadé qu’une société s’élève quand elle s’occupe de ceux qui sont le plus en difficulté et leur permet de s’en sortir. 

Que faire, alors ?

Il faut incarner davantage. On veut rendre visibles les demandeurs d’emploi, parce que cette réforme n’est pas du tout à hauteur de femmes et d’hommes. Nous voulons permettre aux chômeurs de s’exprimer. Cela peut avoir de la puissance de dire "voilà ce que cette réforme va produire". C’est aussi un des engagements du "Pacte du pouvoir de vivre" que nous défendons : évaluer les politiques publiques à l’aune de leur effet sur les 10% les plus pauvres de notre pays. Nous ne sommes pas découragés.

Pour les précaires, ça reste difficile de se mobiliser. Les syndicats en font-ils suffisamment ?

La CFDT a en son sein beaucoup de chômeurs. Mais nous n’organisons pas spécifiquement les demandeurs d’emploi car le chômage est, normalement, une situation passagère. Dans les accords successifs de l’assurance chômage, la CFDT a toujours porté la voix des plus précaires.

Et pour les travailleurs précaires justement, les abonnés aux CDD ?

Nous nous en occupons de plus en plus dans les entreprises. Avec la mise en place du comité social et économique, la nouvelle instance représentative du personnel, les salariés de la sous-traitance peuvent compter dans l’effectif des entreprises. Dans les boîtes, les élus portent désormais les préoccupations de ces travailleurs du nettoyage, du gardiennage. D’autres équipes syndicales font du gros boulot sur la titularisation des intérimaires, en allant parfois en justice. Si le syndicalisme ne s’intéresse pas encore plus à ces publics précaires, il sera en faute, il perdra une partie de sa raison d’être.

Cet individualisme rampant n’offre-t-il pas un boulevard au gouvernement pour faire exploser la protection sociale ?

Quand le consentement à la solidarité recule, c’est l’individualisme qui progresse. Et ça offre un boulevard à tous ceux qui pensent que la protection sociale devrait être un filet minimal de sécurité. C’est l’inverse de la philosophie de 1945, à savoir l’idée que chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.

Si la protection sociale est en danger, cela veut dire que sur la réforme des retraites vos inquiétudes sont grandes ?

Le 7 mars 2018, à Paris, sur le stand de Pôle Emploi au Forum Emploi Senior.
Non, parce que sur ce dossier il y a eu une concertation. Si le gouvernement a la même logique à l’égard de nos propositions que sur ce précédent dossier, c’est-à-dire d’en avoir rien à faire, évidemment, nous serons en opposition. Mais nous ne serons pas de ceux qui diront que tout est à jeter et qu’il faut déjà faire des mobilisations sur une réforme dont on ne connaît même pas le début.

Une des dernières grandes mobilisations syndicales portait sur les retraites. C’était en 2010…

C’est aussi le dernier grand échec syndical. La réforme est passée malgré la mobilisation, et il y a eu beaucoup de perte pour le syndicalisme. Par contre, en 2013, sans aller dans la rue, nous avons obtenu l’instauration du compte de la pénibilité. La mobilisation syndicale ne se résume pas à des cortèges.

Cette réforme a-t-elle été prise par des gens hors sol ?

En tout cas elle est hors réalité quotidienne vécue par ceux qui subissent la précarité. Chaque semaine, je vais au moins une fois sur le terrain [en souliers vernis] pour discuter avec les militants dans les entreprises. Un certain nombre d’éditorialistes mais aussi d’acteurs politiques devraient le faire plus souvent.

A force, face à ces réformes qui se font sans prendre en compte l’avis des syndicats, vous n’êtes pas déçu ?

Les militants d’entreprise ne choisissent pas leur patron. C’est la même chose avec un gouvernement… C’est vrai que cela faisait au moins cinq ou six ans que je n’avais pas autant eu les nerfs. Mardi, j’avais la boule au ventre, car je sais qui sont les chômeurs qui seront touchés, je les connais. Evidemment, on est tenté de se dire que face à des gens qui ne comprennent pas les réalités, cela ne sert à rien de se battre. Mais on a choisi d’être militants. Parfois on prend des coups, mais on doit continuer de se battre. Et tant qu’on pourra discuter, on discutera. 

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