D'une pierre deux coups: détournement et accaparement
Un pari sur l'avenir
Les responsables et les militants LREM de Nice veulent voir un candidat de leur camp affronter Christian Estrosi aux municipales 2020. Or, jusqu'ici, les militants et responsables niçois ne voulaient pas laisser le champ libre à Christian Estrosi et ses concurrents potentiels, de Philippe Vardon à Eric Ciotti, à la mairie de Nice. Il y a quelques jours encore, tous souhaitaient un candidat estampillé LREM aux élections municipales 2020. Et c’est le député Cédric Roussel qui est le mieux placer pour se lancer.
Si candidat il doit y avoir, c’est Cédric Roussel qui est le mieux placé : "C’est la seule personne qui, dans les réunions internes, a montré qu’il prendrait ses responsabilités. Il a la légitimité, car il est Niçois, il est élu à Nice et il a l’ADN, affirme le militant LREM Khaled Ben Abderrahmane; ce n’est pas un pro de la politique."
Pourtant, présenter un candidat face à Christian Estrosi n’est pas la stratégie adoptée jusqu’à présent à Nice. Lors des élections législatives, Marine Brenier alors très proche du maire LR de Nice, n’avait pas eu à faire face à un marcheur: LREM avait décidé de ne pas opposer de candidat à la jeune députée sortante. Mais c'était il y a deux ans, trois en mars prochain.
Et depuis plusieurs mois, Christian Estrosi a adopté une attitude "Macron-compatible", se montrant proche de plusieurs ministres et de la politique du gouvernement.
Cédric Roussel osera-t-il se déclarer avant la fin de la semaine. "On souhaite avoir un candidat, affirme Enis Sliti, référent LREM dans les Alpes-Maritimes. Pour trois raisons : une volonté très forte des Niçois de changer leur quotidien, la proposition d’un projet progressif pour Nice et la présence sur un plan politique."
C’est la commission nationale de l’investiture qui se prononcera depuis Paris.
Celle-ci s’appuie sur l’avis d’une instance : le comité politique constitué de parlementaires, du responsable LREM, Enis Sliti, donc, et du référent jeune dans les Alpes-Maritimes. "Cet organisme donne des préconisations et oriente la stratégie auprès de la commission d’investiture, indique-t-il. Ce qui a été décidé à l’unanimité, c’est de présenter une liste à Nice."
Mais, après s'être entretenu il y a dix jours avec Christian Estrosi dans les bureaux parisiens de l'ancien ministre, Stanislas Guerini a visiblement opté pour la main tendue. Cette main tendue n'a rien à offrir, pas même une dynamique, alors mercredi à midi, le délégué général de La République en marche Stanislas Guerini et son numéro deux, Pierre Person, ont réuni les principaux cadres LREM des Alpes-Maritimes pour tenter de mettre un pied dans la porte entrebaillée de Nice, alors que les macroniens locaux sont plus divisés que jamais sur la stratégie : s'allier avec le maire-sortant (Les Républicains) Christian Estrosi ou partir à l'aventure en présentant une liste autonome ? "Nous avons trois députés dans les Alpes-Maritimes et trois positions différentes", se désole un participant à la réunion pour résumer la salade niçoise.
Le temps presse et l'heure est au dialogue entre LREM et Estrosi
Frédérique Vidal a été chargée d'une mission officieuse de médiation avec le maire de Nice : l'agenda de la ministre de l'Enseignement supérieur n'est pas surchargé et la Niçoise et présidente de l'université Nice-Sophia-Antipolis jusqu'en 2017 connaît bien l'homme.
Estrosi incarne-t-il le renouvellement annoncé par Macron ?
"Non seulement les militants ne comprendraient pas s’il n’y avait pas de candidat En Marche, mais ils seraient très déçus d’adouber quelqu’un élu depuis longtemps. Le renouvellement n’est pas Estrosi, estime Khaled Ben Abderrahmane, dont l'ADN est niçois. Il est Macron-compatible. Mais il est aussi Le Pen-compatible et Mélenchon-compatible à partir du moment où il sauvegarde ses intérêts," assure le militant.
Khaled Ben Abderrahman est le premier à avoir représenté LREM à Nice et il a été candidat aux législatives à Antibes. "La majorité des gens qui ont rejoint En marche, c’est pour répondre à une promesse : le renouvellement des pratiques, des usages, des personnalités, martèle-t-il. La démocratie souffre d’un système qui est l’installation de barons. On en a un ici."
Avec d’autres marcheurs, Ben Abderrahmane a signé une tribune fin juin alertant sur la "prise en otage" de la ville "au nom de calculs politiciens entre amis". Cédric Roussel, premier candidat déclaré pour obtenir l’investiture LREM à Nice, est sur cette ligne : "Si on ne juge que sur les faits, on ne peut pas dire qu’[Estrosi] soit Macron-compatible . De l’expérience sur mon territoire, je n’ai vu et constaté aucune coconstruction", estime le député LREM des Alpes-Maritimes, un conseiller en gestion de patrimoine, qui exclut toute entente avec le maire sortant.
La peur du RN est un resort stratégique inépuisable
Les cadres parisiens du parti présidentiel ne voient pas d’un bon œil la création d’une liste En Marche et penchent pour une alliance avec Estrosi dès le premier tour, pour ne pas voir le Rassemblement national de Philippe Vardon remporter la ville. Dans ce cas-là, Cédric Roussel pourrait mener, s’il se lance, une candidature autonome, sans l’étiquette du parti présidentiel : ça s'appelle une candidature dissidente et LREM ne peut se la permettre.
La décision sur cette investiture est attendue pour la fin de l’été.
Et si Eric Ciotti obtient l’investiture du parti Les Républicains ?
Alors LR pourrait précipiter les décisions : le maire de Nice, pas encore candidat mais déjà en campagne, pourrait tendre la main à la LREM, au grand dam des marcheurs locaux qui pourraient manifester leur colère en se réfigiant dans l'abstention.
LR ou LREM, le choix cornélien d'Estrosi
Comme ses collègues qui finalisent des fins de travaux en masse à la veille des élections, Christian Estrosi est sur tous les fronts. Fin juin, c’est le tunnel de la ligne 2 du tram qui était mis en service à grand renfort de vidéos, photos et hashtags #ILoveNice postés sur les réseaux sociaux. Une semaine plus tard, au tour de "l’Office municipal niçois des seniors" d’ouvrir ses portes. Dans une ville où les plus de 65 ans représentent près d’un tiers de la population, le maire en place depuis 2008 y a annoncé une nouvelle mesure : "la baisse du coût de l’abonnement" des transports en commun annuel de 111 euros pour les seniors. De quoi séduire tout un électorat. Preuve qu'il prépare l'annonce officielle de sa candidature ?
En mauvaise posture aux Régionales, Castaner s'était désisté pour Estrosi.
En 2015, la liste que conduisait le maire de Forcalquier avait totalisé 16,6 % au premier tour (contre 40,6 % pour celle du Front national (actuel RN) et 26,5 % pour celle des Républicains (LR). Castaner décida de jeter l'éponge, pour faire barrage au FN et ce choix favorisa la victoire de Christian Estrosi, mais aussi la disparition du PS du Conseil régional. Le maire de Nice remporta le second tour avec 54,78 % des voix, tandis que la liste FN conduite par Marion Maréchal réalisait le meilleur score jamais obtenu par le FN dans une région (45,22 %).
En mai 2017, il annonça qu'il démissionnait de la présidence du Conseil régional et reprenait la mairie de Nice, tandis que le Mauricien Renaud Muselier (LR) accédait à la présidence de la région PACA.
La priorité d'Estrosi, c’est "sa" ville.
En mai 2017, il choisit de quitter la présidence de la région Sud (ex-Provence-Alpes-Côte-d’Azur) pour retrouver Nice. Lorsque le poste de ministre de l’Intérieur est devenu libre en octobre 2018 après le retour à Lyon de Gérard Collomb, il a indiqué n’être "absolument pas" intéressé par un come-back en politique nationale, fût-ce Place Beauvau : "J’ai fait le choix de ma ville, affirmait-il alors. Je m’y consacrerai. […] J’ai choisi Nice et je resterai à Nice."
Six mois plus tard, les cartes politiques ont été battues.
Briguer un troisième mandat, mais avec quelles alliances. Si Eric Ciotti confirme sa volonté d’être maire de Nice, sachant que le président du Département n'a pas varié, qui des deux leaders de la droite azuréenne obtiendra l’étiquette LR, dont la commission nationale d’investiture a repoussé son verdict à l’automne ? "Estrosi est un maire sortant. Il est membre fondateur et toujours adhérent. Ce serait logique et cohérent qu’il obtienne l’investiture LR, juge Pierre-Paul Léonelli, adjoint à la ville de Nice et président des Amis du maire. Il est essentiel d’avoir un candidat clair et défini"... Mais cette clarté-là n'est pas celle de l'eau de roche...
Mais si Ciotti, qui ne navigue pas en eaux troubles, obtient l'investiture LR, Estrosi pourrait-il envisager de toper avec LREM et être de ces maires de droite avec qui le parti présidentiel ferait affaire en mars ? Depuis 2017, Estrosi fait partie de ces LR qui traînent comme une casserole un profil "Macron-compatible". Et si on considère que LR a reçu une claque aux Européennes , Estrosi en a pris sa part du fait de son soutien public à la tête de liste François-Xavier Bellamy.
Le maire de Nice a pris la précaution de se déclarer prêt à "rompre avec l’idée de faire route tout seul"... et enclin à former "des coalitions" avec la majorité. On peut donc en conclure qu'il n'oeuvre pas pour sa candidature personnelle, mais en faveur d'une alliance. Même si les dirigeants de LREM se sont promis de faire payer à ces maires de droite leur soutien à Bellamy, voir Estrosi battu par Ciotti ne serait pas dans l'intérêt du parti du président qui veut rafler les grandes villes.
Faire battre Ciotti par tous les moyens?
La commission nationale d’investiture pourrait donc trouver avantage à aider le fluctuant Niçois… au grand dam des godillots locaux. Cette alliance est "impossible, inconcevable, illogique, irrationnelle", énumère Khaled ben Abderrahmane : "Travailler avec Estrosi sur un projet parce qu’il est en place, je ne vais pas dire non. Mais aller avec lui quand il se présente, ce n’est pas possible."
Avec d’autres marcheurs, Ben Abderrahmane a signé une tribune fin juin alertant sur la «prise en otage» de la ville «au nom de calculs politiciens entre amis». Cédric Roussel, premier candidat déclaré pour obtenir l’investiture LREM à Nice, est sur cette ligne : «Si on ne juge que sur les faits, on ne peut pas dire qu’[Estrosi] soit Macron-compatible . De l’expérience sur mon territoire, je n’ai vu et constaté aucune coconstruction», estime le député des Alpes-Maritimes, qui exclut toute entente avec le maire sortant.
L’alliance pourrait se lier à l’intérieur même du clan Estrosi. Dans sa majorité, l’édile compte au moins deux marcheurs : Philippe Soussi et Joëlle Martinaux. La seconde vient de faire part de sa candidature à l’investiture LREM. Si Estrosi l’a sanctionnée en lui retirant sa délégation municipale, certains marcheurs y voient une manœuvre pour permettre à son adjointe d’obtenir l’investiture LREM au premier tour… pour mieux s’allier avec elle lorsque viendra le second.
Mathilde Frénois Correspondante à Nice
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