Texte et video du 3 mars 2011
Nicolas Sarkozy a appelé à "assumer sans complexe" l'héritage chrétien de la France, tout en défendant la diversité, jeudi 3 mars, au Puy-en-Velay (Haute-Loire), alors que s'ouvre à l'UMP un débat sur la laïcité, critiqué comme il se doit à gauche, mais aussi par une partie de la majorité qui y voit un risque de détournement polémique en débat sur l'islam.
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VOIR et ENTENDRE (30 mn)
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Messieurs les Ministres,
Messieurs et Mesdames les députés,
Monsieur le Président du Conseil Général,
Mesdames et Messieurs,
En gravissant tout à l'heure les marches qui conduisent jusqu'au chœur de la Cathédrale du Puy-en-Velay, comme l'ont fait avant moi et cela depuis bientôt dix siècles des millions de personnes, j'ai été très ému et j'ai été, comme eux, saisi par la Majesté souriante de cet immense reliquaire de pierre venant à ma rencontre.
Il y a près de mille ans, des architectes inspirés qui ne disposaient pas d'autres moyens techniques que leur talent et que leur foi eurent l'idée folle de jeter dans le vide la nef de leur église pour l'affranchir des contraintes naturelles qui la bridaient et faire ainsi de ce chaos volcanique originel du mont Anis, le point d'appui d'un formidable viaduc spirituel lancé vers le Ciel. Je suis heureux d'être venu ici, j'en garderai, je vous prie de me croire, un souvenir très personnel.
J'ai visité la France dans tous ses territoires, et je dois dire que rien ne ressemble à celui que je viens de parcourir.
Il y avait bien là ici certainement et comme cela me l'a été si bien raconté, des traces plus anciennes de cultes oubliés mais ce geste architectural -- vous ne m'en voudrez pas de dire démesuré, démesuré en ce sens qu'il va au-delà de la mesure humaine, qu'il est inspiré - a achevé et transfiguré l'œuvre de la nature.
Ces paysages qui nous entourent font partie intégrante de l'identité de la France, cette idée exprimée avec tant d'intelligence par Fernand BRAUDEL, cet historien qui consacra une vie de réflexion, et ce n'est pas un hasard de l'esprit, à la France et à la Méditerranée.
Ces paysages du Velay incarnent la France au même titre que le Mont Saint-Michel, le Pont du Gard, la Cité de Carcassonne ou le Château de Versailles.
Personne ne peut parcourir notre pays sans rencontrer son Histoire. Une Histoire dense, riche, multiple, tragique parfois, sublime souvent.
Chartres, Amiens, Reims, Strasbourg, Paris, aucune de ces villes ne serait aujourd'hui ce qu'elle est aux yeux des Français et aux yeux du reste du monde sans ces cathédrales vers lesquelles convergent toujours fidèles et touristes.
Aucune de nos villes, même celles qui furent martyrisées par les deux guerres mondiales, ne seraient ce qu'elles sont sans les trésors qu'elles recèlent. Là c'est un hôtel particulier dessiné par BOFFRAND ou GABRIEL, ici un palais où l'on rend la justice depuis des siècles, ailleurs des musées qui abritent un patrimoine artistique d'une richesse foisonnante.
Aucune de nos campagnes ne serait-ce qu'elle est sans les châteaux que les rois et les princes ont semé sur leur route comme autant de témoignages de notre grandeur nationale.
Cet héritage, mes chers compatriotes, nous oblige. Cet héritage est une chance, mais c'est d'abord un devoir. Nous sommes obligés par cet héritage. Il nous oblige car non seulement nous devons le transmettre aux générations qui nous succèderont mais nous devons l'assumer, cet héritage, sans complexe et sans fausse pudeur.
Le premier devoir que cet héritage nous impose, c'est de le conserver et de le restaurer. C'est là une mission à laquelle l'État ne peut ni ne doit se dérober. La protection de notre patrimoine est un devoir politique car c'est lui, notre patrimoine architectural, artistique, qui inscrit notre pays dans le « temps long » d'une histoire multi séculaire.
Ne pas s'occuper du patrimoine, c'est trahir l'histoire d'un pays. Protéger notre patrimoine c'est protéger l'héritage de la France, c'est défendre les signes les plus tangibles de notre identité. Je rappelle souvent LEVI-STRAUSS : « l'identité n'est pas une pathologie », comme il y aurait à dire sur cette idée, et à tous ceux qui défendent, à juste titre, la diversité, je voudrais dire que sans identité, il n'y a pas de diversité, qu'à l'origine de la diversité, il y a les identités et que ce n'est pas faire preuve de fermeture que de croire en son identité pour mieux la faire partager avec les identités des autres. Mais si on ne croit pas à sa propre identité, comment peut-on partager avec celle des autres et comment même peut-on recevoir les identités des autres ? Il ne faut pas opposer identité et diversité. Il faut comprendre que pour qu'il y ait de la diversité, il faut qu'il y ait le respect de l'identité.
Donc protéger notre patrimoine, c'est protéger l'héritage de la France et c'est résister, mes chers compatriotes, à la dictature du présent, à la dictature de l'immédiat et oserais-je dire, à la dictature de l'interchangeable où tout se vaut, où rien ne se mérite plus, où tout à la même valeur. Je regrette sincèrement que cette profondeur de notre histoire et de notre culture ait été trop souvent abandonnée sur l'autel de l'immédiateté, de la facilité et de la pensée unique.
Ainsi je tiens à rappeler ici devant vous que conformément à mes engagements et alors que la crise économique la plus grave depuis la guerre nous frappait de plein fouet, le budget de restauration des monuments historiques a atteint en 2008 le montant historique de 380 millions d'Euros, et de 400 millions l'année dernière. Je ne ramène pas tout à des considérations financières, mais enfin s'il n'y avait qu'un discours sans finances, je craindrais qu'il ne suscitât parmi vous quelque ironie.
Conscient du rôle culturel mais aussi économique d'un patrimoine unique au monde, le Plan de Relance qu'a adopté le gouvernement a permis la réouverture de chantiers de restauration qui avaient été abandonnés, laissant les plus beau fleurons de notre patrimoine architectural se détériorer inexorablement. Mais quand on laisse se détériorer notre patrimoine, c'est notre identité que nous détériorons en profondeur.
C'est ainsi qu'entre 2009 et 2010, 47 des 86 cathédrales appartenant à l'État ont bénéficié d'une opération de restauration. Dès cette année d'autres chantiers majeurs seront ouverts, comme celui de l'abbaye de Clairvaux, autre lieu exceptionnel et témoignage vivant de l'apport de la Chrétienté à notre civilisation. En disant cela je ne fais simplement que rappeler une évidence : l'apport de la chrétienté à notre civilisation. Dans un tout autre genre le familistère de Guise, rare exemple de ces utopies sociales qui ont passionné le XIXe siècle va faire l'objet d'importants travaux.
Le Puy-en-Velay a bien sûr profité de ces nouveaux crédits même si l'essentiel de la Cathédrale avait déjà fait l'objet d'une importante campagne de travaux entreprise dès 1992. Cette restauration magistrale a mobilisé les talents multiples de nos architectes et de nos artisans d'art et nécessité près de 8 millions d'euros.
La restauration intérieure de la salle basse ainsi que la salle des États sera achevée dans quelques mois. L'une pourra accueillir des manifestations culturelles en lien avec le Sanctuaire, l'autre abritera dès le printemps la plus belle collection d'habits sacerdotaux et liturgiques de France. La collection FRUMAN patiemment et passionnément constituée par un couple de collectionneurs avisés, sera enfin présentée au public grâce à une généreuse opération de mécénat mais c'est l'État qui a pris en charge la restauration des lieux pendant que le Centre des Monuments Nationaux en assurait, cher Frédéric Mitterrand, la muséographie.
Cette opération est exemplaire à beaucoup d'égards, et je tiens à dire la gratitude de la Nation à tous ses partenaires : collectionneurs, mécènes, conservateurs, collectivités territoriales, Monsieur le président et Mesdames et Messieurs les maires, responsables de nos grandes institutions culturelles... La conjugaison de leurs efforts permet d'enrichir sans cesse ce maillage culturel, qui contribue de façon décisive au rayonnement de notre pays.
Avoir soin de notre patrimoine c'est au fond l'une des clefs de voûte du « vivre-ensemble » des Français. Les pères de notre République, notamment Renan, n'ont jamais perdu de vue, eux, ce principe : parmi les éléments essentiels qui composent l'âme d'une Nation figurent, non seulement le désir de vivre ensemble, dont on parle à juste titre si souvent, mais aussi « la volonté de continuer à faire valoir l'héritage que l'on a reçu indivis » : les deux, on ne part pas de rien. Aussi brillante soit une génération, elle va quelque part et elle vient de quelque part.
Si cet « héritage indivis » - je reprends les mots de Renan - nous assigne pour mission de conserver et de transmettre notre patrimoine, il nous demande aussi de l'assumer, ce patrimoine, de l'assumer intellectuellement, de l'assumer moralement et de l'assumer politiquement. Il n'y a aucune raison pour que nous soyons les seuls dans le monde à ne pas assumer notre patrimoine moral, politique, artistique, culturel.
Assumer notre héritage c'est tout simplement reconnaître ce que l'on est, savoir d'où l'on vient. Assumer cet héritage n'oblige personne à partager la foi des bâtisseurs de Notre Dame du Puy, n'oblige personne à partager la foi des milliers de pèlerins qui viennent chaque année jusqu'ici.
Personne n'est prisonnier de la vie et des choix de ses parents ou de ses aïeux ni même prisonnier de l'Histoire de son pays, mais je veux dire qu'il est toujours dangereux d'amputer sa mémoire. Pour un individu comme pour un peuple, une société, mes chers compatriotes l'ignorance de soi conduit rarement à l'estime de soi. Et cela vaut pour nous et cela vaut bien sûr pour ce que nous transmettons aux plus jeunes. Si on renonce à transmettre, si la seule ambition serait de ne rien transmettre, ne soyons pas étonnés du résultat. Si on a l'ambition de transmettre beaucoup, on aura que des bonnes surprises au résultat.
Et c'est bien dans cet esprit que j'ai voulu avec le ministre de la Culture la création d'une Maison de l'Histoire de France. L'appropriation intime de leur passé et de leur Histoire par les Français est l'objet même de notre projet dont j'ai confié l'élaboration à Jean-François HEBERT qui sera assisté, pour cela, d'un conseil scientifique pluraliste et indépendant présidé par un historien éminent -- le professeur Jean-Pierre RIOUX. J'ai vu les polémiques, j'aurais du mal à ne pas voir les polémiques. D'ailleurs, pourrions-nous vivre sans polémique ? Parfois, on voit la polémique, on ne voit pas la raison de la polémique.
Donc, ce projet de Maison de l'Histoire de France auquel je crois beaucoup se traduira concrètement, dès cette année, par l'ouverture au public des vastes jardins des hôtels de Rohan et Soubise, au cœur de Paris, et par une série d'événements de préfiguration, notamment autour du thème des origines de la France.
Je suis sûr que la révélation de ces jardins, aujourd'hui cachés, et la possibilité ainsi donnée aux Français de se replacer dans une chronologie, dans une continuité, dans le « temps long », rencontreront une curiosité et un succès qui auront vite raison des polémiques.
Mais souvenez-vous des manœuvres qui ont entravé pendant plusieurs années la construction du musée du Quai Branly ! Elles paraissent bien dérisoires aujourd'hui, au regard de son immense succès populaire. Pour que les Français, avant même l'ouverture de cette Maison, prennent conscience de ce qu'elle pourra leur apporter, nous avons décidé de faire exposer dans un lieu aussi emblématique que le Grand Palais une sélection des plus beaux plans-reliefs de Vauban qui dorment aujourd'hui dans des caisses aux Invalides. Cette exposition s'ouvrira en février de l'année prochaine. Je veux ainsi inviter les Français à venir découvrir le visage de leur pays et de leurs villes au XVIIème siècle. C'est à de telles découvertes que la Maison de l'Histoire de France devra contribuer.
C'est encore dans le même esprit que j'ai veillé à la réalisation du nouveau centre des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine. Ce projet de plus de 120 M€ ouvrira fin 2012, comme prévu dès l'origine. Il s'agira d'un moment historique pour la restitution de la mémoire de l'État et de la Nation aux chercheurs mais également à tous les citoyens qu'ils soient généalogistes, historiens amateurs ou simples curieux. Car les Archives nationales, ce sont bien sûr les « papiers de l'État » mais ce sont les papiers de tous les Français : depuis leur état-civil, figurez-vous, le plus ancien du monde, jusqu'à leurs papiers de famille précieusement conservés, depuis le XVe siècle, dans les minutes des notaires.
Les peuples sont comme les Hommes : qu'ils occultent leur passé, qu'ils nient tout ou partie de leur identité et ils courent le risque de voir un jour ressurgir ce qu'ils ont refoulé mais sous une forme inquiétante.
La chrétienté nous a laissé un magnifique héritage de civilisation et de culture : les présidents d'une République laïque. Je peux dire cela, parce que c'est la vérité. Je ne fais pas de prosélytisme, je regarde simplement l'Histoire de notre pays. Une fois dit cela, je veux dire que la France a puisé à d'autres sources : il y a quelques semaines, j'ai reconnu et salué les racines juives de la France. Grégoire de Tours, le plus ancien de nos historiens, qui dans les mêmes pages de son Histoire des Francs, parle pour la première fois non seulement du sanctuaire du Puy-en-Velay mais de la synagogue de Clermont ! C'était en Auvergne déjà et Grégoire de Tours écrivait il y a près de 15 siècles ! C'est la France. La France que nous aimons, la France dont nous sommes fiers, la France qui a des racines.
La France a toujours été à la confluence de plusieurs influences culturelles dont les traces sont clairement visibles, ici même au Puy-en-Velay.
Il est difficile de passer devant les antiques portes de cèdre de la Cathédrale et leurs inscriptions en langue soufique sans être impressionné et ému de cette rencontre entre la langue de l'Islam et l'architecture romane !
Il est difficile de rendre visite à la statue de la vierge qui, au cœur même de votre cathédrale, Monseigneur, est l'objet depuis des siècles de la plus grande dévotion, sans s'interroger comme je me suis permis de le faire, sur le symbole que représente justement une Vierge Noire. Je ne suis pas archéologue, je ne suis pas théologien, je n'ai pas l'intention de trancher - j'ai suffisamment de problèmes à gérer comme cela - un débat particulièrement savant mais, en voyant cette vierge noire, je me disais : « quelle force que cette vierge en majesté, dont la peau n'avait pas la même couleur que celle des fidèles qui venaient la vénérer au Moyen-âge ».
Il est difficile, encore, de lire les inscriptions romaines intégrées à la paroi médiévale de la Cathédrale sans penser, comme le disait si justement l'historien Claude NICOLET, « nous sommes tous des citoyens romains ». Je ne crois pas à cela depuis que je suis marié avec Carla...C'est une remarque plus générale.
Il n'est évidemment pas question non plus de passer sous silence l'héritage politique et philosophique des Lumières qui sert de socle à notre édifice républicain. Même ici, au Puy-en-Velay où les statues, cher Laurent, de la Vierge et de Saint-Joseph dominent la ville, celle de Lafayette, enfant du pays, nous rappelle ce que nous devons, aussi, aux enfants du siècle des Lumières. Mais n'opposons pas les uns aux autres. Il y a un continuum. Il y a une addition qui fait l'identité si particulière de la France.
La France tire donc son génie de toutes les influences qui l'ont traversé et qui lui ont laissé, chacune, un peu de ce que l'on pourrait appeler leurs sédiments culturels. Et l'émotion, je dois dire c'est vrai, l'émotion, on a le droit d'être ému devant le beau. Même si le beau est relatif, il convient qu'il ne disparaisse pas du débat. On ne peut pas débattre que du petit, que du laid. On ne peut pas débattre que de ce qui abaisse. Peut-être peut-on aussi débattre de ce qui est laid ? Je veux dire que cette émotion que j'ai ressentie tout à l'heure quand j'ai franchi les portes du Baptistère Saint-Jean ressemblait à celle que j'ai ressentie à Lascaux au mois de septembre dernier. C'était, ici et là-bas, l'émotion que l'on ressent lorsque l'Histoire s'incarne dans un lieu et que tout d'un coup on sent qu'on est dans une tradition, qui a connu ses ruptures mais qui nous a faits, avec sa continuité et avec sa rupture.
Bien au-delà de la beauté architecturale de ce monument, j'ai été frappé par ce qui m'a été révélé des résultats de la dernière campagne de fouille archéologique. Il apparaît donc que les fondations de l'édifice et la cuve baptismale dateraient de la fin du Vème siècle. Ce baptistère serait donc l'exact contemporain du sacre de Clovis et donc de la naissance de la France. Ce n'est pas rien !
C'est donc bien un « Lieu de Mémoire » que votre lieu, au sens où Pierre NORA l'a défini, et je peux vous assurer que je veillerai personnellement, cher Laurent, je te le dois bien, à ce que le budget nécessaire à la restauration de ce monument insigne soit rapidement trouvé. En quelques mots, s'il manque... pour faire le total... je me sens obligé, avec le soutien vibrant du ministre de la Culture. On ne peut pas dire que c'est un lieu de mémoire ici et considérer qu'il ne mérite pas l'attention y compris financière, de l'Etat.
La République, mes chers compatriotes, est laïque.
Elle appartient donc à tous les citoyens sans distinction aucune comme leur appartiennent aussi l'histoire, l'héritage, le trésor patrimonial que les siècles lui ont légué.
Cet héritage, la République doit savoir la faire partager et apprécier. Nous devons donner à nos enfants les moyens de le comprendre et de le décrypter.
Le privilège de comprendre Georges de La Tour, d'admirer Picasso ou Matisse ne doit pas être un privilège réservé à quelques-uns. Nous ne pouvons pas accepter une forme de ségrégation culturelle, qui, si elle se produisait, tuerait la signification profonde des mots Nation et République. C'est la raison pour laquelle j'ai salué l'initiative inédite et imaginative du Centre Pompidou mobile. Un musée démontable, un musée nomade qui permettra de placer sur le parking d'une grande surface, à la sortie d'un lycée de banlieue, au cœur d'une zone d'activité des œuvres majeures de l'Art contemporain. L'initiative fera date car elle ouvre un dialogue entre le patrimoine de demain et le quotidien des Français.
La France ne doit pas oublier ce qu'elle fut et ce qu'elle est au prétexte que le monde change et qu'il se mondialise. C'est tout le contraire parce que le monde change, parce qu'il se mondialise. La France doit approfondir ses valeurs, qui sont d'ailleurs des valeurs universelles, et qui nous permettront d'affronter les changements du XXIe siècle.
Construire l'Europe de demain, c'est au fond continuer à suivre le chemin tracé il y a plus de mille ans par les premiers pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle. N'étaient-ils pas les premiers Européens, ces pèlerins-là ?
Oui c'est ici, au Puy-en-Velay que pour la première fois dans notre Histoire, des femmes et des hommes sont venus de toute l'Europe. Ils ne parlaient pas la même langue mais ils partageaient la même foi ou, en tout cas, la même espérance pour faire référence à des idées qui me sont chères, car je crois qu'il est des pèlerins qui font le pèlerinage sans avoir la foi mais qui ont l'espérance. Ce serait un tout autre débat, mais c'est la première fois qu'ils ont marché ensemble, ces femmes et ces hommes qui ne parlaient pas la même langue, et dans la même direction, côte à côte. Ils ont suivi ensuite, ce chemin qui conduit à cet autre Finistère européen qu'est la Galice.
Que dire de cette rue des Tables que nous avons gravie ensemble tout à l'heure et qui porte ce nom car au Moyen-âge c'est là que les changeurs dressaient leurs tables pour convertir les différentes monnaies arrivant de toute l'Europe dans les bourses des pèlerins qui, pour faire route ensemble, devaient changer de monnaie et se mettre d'accord sur une valeur commune ? Il n'y avait pas l'euro, cher Jacques Barrot !
Ce n'est pas pour rien que le chemin de Saint-Jacques a été le premier itinéraire culturel classé par l'Europe. Mais au fond l'Europe savait bien ce qu'elle lui devait, à cet itinéraire de Saint-Jacques.
Ce matin on m'a offert un bâton de pèlerin, peut-être pour que je sois à mon tour le pèlerin de cette Europe qui puise si profondément ses racines dans l'histoire.
C'est en gardant vivant ce que nous avons hérité de savoir, de sagesse et de tradition que le tracé de nos chemins, les pierres de nos monuments, les formes de notre Art garderont pour nous une signification profonde.
Voyez, la tradition d'accueil et de protection du Velay à l'égard des plus faibles et des plus vulnérables. Cette tradition vient des antiques pèlerinages qui jetaient sur les routes des femmes et des hommes à bout de force démunis souvent, dépouillés de tout.
Ce fut la raison d'être de l'Hôtel Dieu que j'ai traversé et qui a été fondé dès le Haut Moyen Age pour l'accueil des premiers pèlerins. Ce fut la raison d'être de cet ancien Hôpital Général dans lequel nous sommes aujourd'hui, monsieur le Président. C'est ici, en Velay, qu'au XVIIe siècle, fut mis en place l'un des tous premiers réseaux de solidarité « l'œuvre du Bouillon » - les restos du cœur, l'œuvre du bouillon.
Bien des siècles plus tard, c'est à quelques kilomètres du Puy, au Chambon-sur-Lignon, que l'humanisme protestant s'est levé pour protéger des enfants juifs condamnés à l'holocauste par une idéologie démente.
Cette tradition d'aide et de réconfort fait partie de notre identité, ne s'est jamais démentie dans notre pays.
A tous ceux qui dans cette salle aujourd'hui mais partout en France, forgent au quotidien cette immense chaîne de solidarité, je veux dire aujourd'hui mon admiration, ma reconnaissance. Ils contribuent par leur engagement à l'image mais aussi à l'identité de la France.
J'étais venu ici devant vous pour dire que la France a un patrimoine qu'elle entend préserver.
J'étais venu vous dire que la France a un héritage qu'elle doit partager.
J'étais venu vous dire que la France a une identité dont elle doit être fière, mais ici, au Puy-en-Velay, peut-être un peu plus qu'ailleurs, il est évident que la France a aussi une âme.
Je vous remercie.
Messieurs et Mesdames les députés,
Monsieur le Président du Conseil Général,
Mesdames et Messieurs,
En gravissant tout à l'heure les marches qui conduisent jusqu'au chœur de la Cathédrale du Puy-en-Velay, comme l'ont fait avant moi et cela depuis bientôt dix siècles des millions de personnes, j'ai été très ému et j'ai été, comme eux, saisi par la Majesté souriante de cet immense reliquaire de pierre venant à ma rencontre.
Il y a près de mille ans, des architectes inspirés qui ne disposaient pas d'autres moyens techniques que leur talent et que leur foi eurent l'idée folle de jeter dans le vide la nef de leur église pour l'affranchir des contraintes naturelles qui la bridaient et faire ainsi de ce chaos volcanique originel du mont Anis, le point d'appui d'un formidable viaduc spirituel lancé vers le Ciel. Je suis heureux d'être venu ici, j'en garderai, je vous prie de me croire, un souvenir très personnel.
J'ai visité la France dans tous ses territoires, et je dois dire que rien ne ressemble à celui que je viens de parcourir.
Il y avait bien là ici certainement et comme cela me l'a été si bien raconté, des traces plus anciennes de cultes oubliés mais ce geste architectural -- vous ne m'en voudrez pas de dire démesuré, démesuré en ce sens qu'il va au-delà de la mesure humaine, qu'il est inspiré - a achevé et transfiguré l'œuvre de la nature.
Ces paysages qui nous entourent font partie intégrante de l'identité de la France, cette idée exprimée avec tant d'intelligence par Fernand BRAUDEL, cet historien qui consacra une vie de réflexion, et ce n'est pas un hasard de l'esprit, à la France et à la Méditerranée.
Ces paysages du Velay incarnent la France au même titre que le Mont Saint-Michel, le Pont du Gard, la Cité de Carcassonne ou le Château de Versailles.
Personne ne peut parcourir notre pays sans rencontrer son Histoire. Une Histoire dense, riche, multiple, tragique parfois, sublime souvent.
Chartres, Amiens, Reims, Strasbourg, Paris, aucune de ces villes ne serait aujourd'hui ce qu'elle est aux yeux des Français et aux yeux du reste du monde sans ces cathédrales vers lesquelles convergent toujours fidèles et touristes.
Aucune de nos villes, même celles qui furent martyrisées par les deux guerres mondiales, ne seraient ce qu'elles sont sans les trésors qu'elles recèlent. Là c'est un hôtel particulier dessiné par BOFFRAND ou GABRIEL, ici un palais où l'on rend la justice depuis des siècles, ailleurs des musées qui abritent un patrimoine artistique d'une richesse foisonnante.
Aucune de nos campagnes ne serait-ce qu'elle est sans les châteaux que les rois et les princes ont semé sur leur route comme autant de témoignages de notre grandeur nationale.
Cet héritage, mes chers compatriotes, nous oblige. Cet héritage est une chance, mais c'est d'abord un devoir. Nous sommes obligés par cet héritage. Il nous oblige car non seulement nous devons le transmettre aux générations qui nous succèderont mais nous devons l'assumer, cet héritage, sans complexe et sans fausse pudeur.
Le premier devoir que cet héritage nous impose, c'est de le conserver et de le restaurer. C'est là une mission à laquelle l'État ne peut ni ne doit se dérober. La protection de notre patrimoine est un devoir politique car c'est lui, notre patrimoine architectural, artistique, qui inscrit notre pays dans le « temps long » d'une histoire multi séculaire.
Ne pas s'occuper du patrimoine, c'est trahir l'histoire d'un pays. Protéger notre patrimoine c'est protéger l'héritage de la France, c'est défendre les signes les plus tangibles de notre identité. Je rappelle souvent LEVI-STRAUSS : « l'identité n'est pas une pathologie », comme il y aurait à dire sur cette idée, et à tous ceux qui défendent, à juste titre, la diversité, je voudrais dire que sans identité, il n'y a pas de diversité, qu'à l'origine de la diversité, il y a les identités et que ce n'est pas faire preuve de fermeture que de croire en son identité pour mieux la faire partager avec les identités des autres. Mais si on ne croit pas à sa propre identité, comment peut-on partager avec celle des autres et comment même peut-on recevoir les identités des autres ? Il ne faut pas opposer identité et diversité. Il faut comprendre que pour qu'il y ait de la diversité, il faut qu'il y ait le respect de l'identité.
Donc protéger notre patrimoine, c'est protéger l'héritage de la France et c'est résister, mes chers compatriotes, à la dictature du présent, à la dictature de l'immédiat et oserais-je dire, à la dictature de l'interchangeable où tout se vaut, où rien ne se mérite plus, où tout à la même valeur. Je regrette sincèrement que cette profondeur de notre histoire et de notre culture ait été trop souvent abandonnée sur l'autel de l'immédiateté, de la facilité et de la pensée unique.
Ainsi je tiens à rappeler ici devant vous que conformément à mes engagements et alors que la crise économique la plus grave depuis la guerre nous frappait de plein fouet, le budget de restauration des monuments historiques a atteint en 2008 le montant historique de 380 millions d'Euros, et de 400 millions l'année dernière. Je ne ramène pas tout à des considérations financières, mais enfin s'il n'y avait qu'un discours sans finances, je craindrais qu'il ne suscitât parmi vous quelque ironie.
Conscient du rôle culturel mais aussi économique d'un patrimoine unique au monde, le Plan de Relance qu'a adopté le gouvernement a permis la réouverture de chantiers de restauration qui avaient été abandonnés, laissant les plus beau fleurons de notre patrimoine architectural se détériorer inexorablement. Mais quand on laisse se détériorer notre patrimoine, c'est notre identité que nous détériorons en profondeur.
C'est ainsi qu'entre 2009 et 2010, 47 des 86 cathédrales appartenant à l'État ont bénéficié d'une opération de restauration. Dès cette année d'autres chantiers majeurs seront ouverts, comme celui de l'abbaye de Clairvaux, autre lieu exceptionnel et témoignage vivant de l'apport de la Chrétienté à notre civilisation. En disant cela je ne fais simplement que rappeler une évidence : l'apport de la chrétienté à notre civilisation. Dans un tout autre genre le familistère de Guise, rare exemple de ces utopies sociales qui ont passionné le XIXe siècle va faire l'objet d'importants travaux.
Le Puy-en-Velay a bien sûr profité de ces nouveaux crédits même si l'essentiel de la Cathédrale avait déjà fait l'objet d'une importante campagne de travaux entreprise dès 1992. Cette restauration magistrale a mobilisé les talents multiples de nos architectes et de nos artisans d'art et nécessité près de 8 millions d'euros.
La restauration intérieure de la salle basse ainsi que la salle des États sera achevée dans quelques mois. L'une pourra accueillir des manifestations culturelles en lien avec le Sanctuaire, l'autre abritera dès le printemps la plus belle collection d'habits sacerdotaux et liturgiques de France. La collection FRUMAN patiemment et passionnément constituée par un couple de collectionneurs avisés, sera enfin présentée au public grâce à une généreuse opération de mécénat mais c'est l'État qui a pris en charge la restauration des lieux pendant que le Centre des Monuments Nationaux en assurait, cher Frédéric Mitterrand, la muséographie.
Cette opération est exemplaire à beaucoup d'égards, et je tiens à dire la gratitude de la Nation à tous ses partenaires : collectionneurs, mécènes, conservateurs, collectivités territoriales, Monsieur le président et Mesdames et Messieurs les maires, responsables de nos grandes institutions culturelles... La conjugaison de leurs efforts permet d'enrichir sans cesse ce maillage culturel, qui contribue de façon décisive au rayonnement de notre pays.
Avoir soin de notre patrimoine c'est au fond l'une des clefs de voûte du « vivre-ensemble » des Français. Les pères de notre République, notamment Renan, n'ont jamais perdu de vue, eux, ce principe : parmi les éléments essentiels qui composent l'âme d'une Nation figurent, non seulement le désir de vivre ensemble, dont on parle à juste titre si souvent, mais aussi « la volonté de continuer à faire valoir l'héritage que l'on a reçu indivis » : les deux, on ne part pas de rien. Aussi brillante soit une génération, elle va quelque part et elle vient de quelque part.
Si cet « héritage indivis » - je reprends les mots de Renan - nous assigne pour mission de conserver et de transmettre notre patrimoine, il nous demande aussi de l'assumer, ce patrimoine, de l'assumer intellectuellement, de l'assumer moralement et de l'assumer politiquement. Il n'y a aucune raison pour que nous soyons les seuls dans le monde à ne pas assumer notre patrimoine moral, politique, artistique, culturel.
Assumer notre héritage c'est tout simplement reconnaître ce que l'on est, savoir d'où l'on vient. Assumer cet héritage n'oblige personne à partager la foi des bâtisseurs de Notre Dame du Puy, n'oblige personne à partager la foi des milliers de pèlerins qui viennent chaque année jusqu'ici.
Personne n'est prisonnier de la vie et des choix de ses parents ou de ses aïeux ni même prisonnier de l'Histoire de son pays, mais je veux dire qu'il est toujours dangereux d'amputer sa mémoire. Pour un individu comme pour un peuple, une société, mes chers compatriotes l'ignorance de soi conduit rarement à l'estime de soi. Et cela vaut pour nous et cela vaut bien sûr pour ce que nous transmettons aux plus jeunes. Si on renonce à transmettre, si la seule ambition serait de ne rien transmettre, ne soyons pas étonnés du résultat. Si on a l'ambition de transmettre beaucoup, on aura que des bonnes surprises au résultat.
Et c'est bien dans cet esprit que j'ai voulu avec le ministre de la Culture la création d'une Maison de l'Histoire de France. L'appropriation intime de leur passé et de leur Histoire par les Français est l'objet même de notre projet dont j'ai confié l'élaboration à Jean-François HEBERT qui sera assisté, pour cela, d'un conseil scientifique pluraliste et indépendant présidé par un historien éminent -- le professeur Jean-Pierre RIOUX. J'ai vu les polémiques, j'aurais du mal à ne pas voir les polémiques. D'ailleurs, pourrions-nous vivre sans polémique ? Parfois, on voit la polémique, on ne voit pas la raison de la polémique.
Donc, ce projet de Maison de l'Histoire de France auquel je crois beaucoup se traduira concrètement, dès cette année, par l'ouverture au public des vastes jardins des hôtels de Rohan et Soubise, au cœur de Paris, et par une série d'événements de préfiguration, notamment autour du thème des origines de la France.
Je suis sûr que la révélation de ces jardins, aujourd'hui cachés, et la possibilité ainsi donnée aux Français de se replacer dans une chronologie, dans une continuité, dans le « temps long », rencontreront une curiosité et un succès qui auront vite raison des polémiques.
Mais souvenez-vous des manœuvres qui ont entravé pendant plusieurs années la construction du musée du Quai Branly ! Elles paraissent bien dérisoires aujourd'hui, au regard de son immense succès populaire. Pour que les Français, avant même l'ouverture de cette Maison, prennent conscience de ce qu'elle pourra leur apporter, nous avons décidé de faire exposer dans un lieu aussi emblématique que le Grand Palais une sélection des plus beaux plans-reliefs de Vauban qui dorment aujourd'hui dans des caisses aux Invalides. Cette exposition s'ouvrira en février de l'année prochaine. Je veux ainsi inviter les Français à venir découvrir le visage de leur pays et de leurs villes au XVIIème siècle. C'est à de telles découvertes que la Maison de l'Histoire de France devra contribuer.
C'est encore dans le même esprit que j'ai veillé à la réalisation du nouveau centre des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine. Ce projet de plus de 120 M€ ouvrira fin 2012, comme prévu dès l'origine. Il s'agira d'un moment historique pour la restitution de la mémoire de l'État et de la Nation aux chercheurs mais également à tous les citoyens qu'ils soient généalogistes, historiens amateurs ou simples curieux. Car les Archives nationales, ce sont bien sûr les « papiers de l'État » mais ce sont les papiers de tous les Français : depuis leur état-civil, figurez-vous, le plus ancien du monde, jusqu'à leurs papiers de famille précieusement conservés, depuis le XVe siècle, dans les minutes des notaires.
Les peuples sont comme les Hommes : qu'ils occultent leur passé, qu'ils nient tout ou partie de leur identité et ils courent le risque de voir un jour ressurgir ce qu'ils ont refoulé mais sous une forme inquiétante.
La chrétienté nous a laissé un magnifique héritage de civilisation et de culture : les présidents d'une République laïque. Je peux dire cela, parce que c'est la vérité. Je ne fais pas de prosélytisme, je regarde simplement l'Histoire de notre pays. Une fois dit cela, je veux dire que la France a puisé à d'autres sources : il y a quelques semaines, j'ai reconnu et salué les racines juives de la France. Grégoire de Tours, le plus ancien de nos historiens, qui dans les mêmes pages de son Histoire des Francs, parle pour la première fois non seulement du sanctuaire du Puy-en-Velay mais de la synagogue de Clermont ! C'était en Auvergne déjà et Grégoire de Tours écrivait il y a près de 15 siècles ! C'est la France. La France que nous aimons, la France dont nous sommes fiers, la France qui a des racines.
La France a toujours été à la confluence de plusieurs influences culturelles dont les traces sont clairement visibles, ici même au Puy-en-Velay.
Il est difficile de passer devant les antiques portes de cèdre de la Cathédrale et leurs inscriptions en langue soufique sans être impressionné et ému de cette rencontre entre la langue de l'Islam et l'architecture romane !
Il est difficile de rendre visite à la statue de la vierge qui, au cœur même de votre cathédrale, Monseigneur, est l'objet depuis des siècles de la plus grande dévotion, sans s'interroger comme je me suis permis de le faire, sur le symbole que représente justement une Vierge Noire. Je ne suis pas archéologue, je ne suis pas théologien, je n'ai pas l'intention de trancher - j'ai suffisamment de problèmes à gérer comme cela - un débat particulièrement savant mais, en voyant cette vierge noire, je me disais : « quelle force que cette vierge en majesté, dont la peau n'avait pas la même couleur que celle des fidèles qui venaient la vénérer au Moyen-âge ».
Il est difficile, encore, de lire les inscriptions romaines intégrées à la paroi médiévale de la Cathédrale sans penser, comme le disait si justement l'historien Claude NICOLET, « nous sommes tous des citoyens romains ». Je ne crois pas à cela depuis que je suis marié avec Carla...C'est une remarque plus générale.
Il n'est évidemment pas question non plus de passer sous silence l'héritage politique et philosophique des Lumières qui sert de socle à notre édifice républicain. Même ici, au Puy-en-Velay où les statues, cher Laurent, de la Vierge et de Saint-Joseph dominent la ville, celle de Lafayette, enfant du pays, nous rappelle ce que nous devons, aussi, aux enfants du siècle des Lumières. Mais n'opposons pas les uns aux autres. Il y a un continuum. Il y a une addition qui fait l'identité si particulière de la France.
La France tire donc son génie de toutes les influences qui l'ont traversé et qui lui ont laissé, chacune, un peu de ce que l'on pourrait appeler leurs sédiments culturels. Et l'émotion, je dois dire c'est vrai, l'émotion, on a le droit d'être ému devant le beau. Même si le beau est relatif, il convient qu'il ne disparaisse pas du débat. On ne peut pas débattre que du petit, que du laid. On ne peut pas débattre que de ce qui abaisse. Peut-être peut-on aussi débattre de ce qui est laid ? Je veux dire que cette émotion que j'ai ressentie tout à l'heure quand j'ai franchi les portes du Baptistère Saint-Jean ressemblait à celle que j'ai ressentie à Lascaux au mois de septembre dernier. C'était, ici et là-bas, l'émotion que l'on ressent lorsque l'Histoire s'incarne dans un lieu et que tout d'un coup on sent qu'on est dans une tradition, qui a connu ses ruptures mais qui nous a faits, avec sa continuité et avec sa rupture.
Bien au-delà de la beauté architecturale de ce monument, j'ai été frappé par ce qui m'a été révélé des résultats de la dernière campagne de fouille archéologique. Il apparaît donc que les fondations de l'édifice et la cuve baptismale dateraient de la fin du Vème siècle. Ce baptistère serait donc l'exact contemporain du sacre de Clovis et donc de la naissance de la France. Ce n'est pas rien !
C'est donc bien un « Lieu de Mémoire » que votre lieu, au sens où Pierre NORA l'a défini, et je peux vous assurer que je veillerai personnellement, cher Laurent, je te le dois bien, à ce que le budget nécessaire à la restauration de ce monument insigne soit rapidement trouvé. En quelques mots, s'il manque... pour faire le total... je me sens obligé, avec le soutien vibrant du ministre de la Culture. On ne peut pas dire que c'est un lieu de mémoire ici et considérer qu'il ne mérite pas l'attention y compris financière, de l'Etat.
La République, mes chers compatriotes, est laïque.
Elle appartient donc à tous les citoyens sans distinction aucune comme leur appartiennent aussi l'histoire, l'héritage, le trésor patrimonial que les siècles lui ont légué.
Cet héritage, la République doit savoir la faire partager et apprécier. Nous devons donner à nos enfants les moyens de le comprendre et de le décrypter.
Le privilège de comprendre Georges de La Tour, d'admirer Picasso ou Matisse ne doit pas être un privilège réservé à quelques-uns. Nous ne pouvons pas accepter une forme de ségrégation culturelle, qui, si elle se produisait, tuerait la signification profonde des mots Nation et République. C'est la raison pour laquelle j'ai salué l'initiative inédite et imaginative du Centre Pompidou mobile. Un musée démontable, un musée nomade qui permettra de placer sur le parking d'une grande surface, à la sortie d'un lycée de banlieue, au cœur d'une zone d'activité des œuvres majeures de l'Art contemporain. L'initiative fera date car elle ouvre un dialogue entre le patrimoine de demain et le quotidien des Français.
La France ne doit pas oublier ce qu'elle fut et ce qu'elle est au prétexte que le monde change et qu'il se mondialise. C'est tout le contraire parce que le monde change, parce qu'il se mondialise. La France doit approfondir ses valeurs, qui sont d'ailleurs des valeurs universelles, et qui nous permettront d'affronter les changements du XXIe siècle.
Construire l'Europe de demain, c'est au fond continuer à suivre le chemin tracé il y a plus de mille ans par les premiers pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle. N'étaient-ils pas les premiers Européens, ces pèlerins-là ?
Oui c'est ici, au Puy-en-Velay que pour la première fois dans notre Histoire, des femmes et des hommes sont venus de toute l'Europe. Ils ne parlaient pas la même langue mais ils partageaient la même foi ou, en tout cas, la même espérance pour faire référence à des idées qui me sont chères, car je crois qu'il est des pèlerins qui font le pèlerinage sans avoir la foi mais qui ont l'espérance. Ce serait un tout autre débat, mais c'est la première fois qu'ils ont marché ensemble, ces femmes et ces hommes qui ne parlaient pas la même langue, et dans la même direction, côte à côte. Ils ont suivi ensuite, ce chemin qui conduit à cet autre Finistère européen qu'est la Galice.
Que dire de cette rue des Tables que nous avons gravie ensemble tout à l'heure et qui porte ce nom car au Moyen-âge c'est là que les changeurs dressaient leurs tables pour convertir les différentes monnaies arrivant de toute l'Europe dans les bourses des pèlerins qui, pour faire route ensemble, devaient changer de monnaie et se mettre d'accord sur une valeur commune ? Il n'y avait pas l'euro, cher Jacques Barrot !
Ce n'est pas pour rien que le chemin de Saint-Jacques a été le premier itinéraire culturel classé par l'Europe. Mais au fond l'Europe savait bien ce qu'elle lui devait, à cet itinéraire de Saint-Jacques.
Ce matin on m'a offert un bâton de pèlerin, peut-être pour que je sois à mon tour le pèlerin de cette Europe qui puise si profondément ses racines dans l'histoire.
C'est en gardant vivant ce que nous avons hérité de savoir, de sagesse et de tradition que le tracé de nos chemins, les pierres de nos monuments, les formes de notre Art garderont pour nous une signification profonde.
Voyez, la tradition d'accueil et de protection du Velay à l'égard des plus faibles et des plus vulnérables. Cette tradition vient des antiques pèlerinages qui jetaient sur les routes des femmes et des hommes à bout de force démunis souvent, dépouillés de tout.
Ce fut la raison d'être de l'Hôtel Dieu que j'ai traversé et qui a été fondé dès le Haut Moyen Age pour l'accueil des premiers pèlerins. Ce fut la raison d'être de cet ancien Hôpital Général dans lequel nous sommes aujourd'hui, monsieur le Président. C'est ici, en Velay, qu'au XVIIe siècle, fut mis en place l'un des tous premiers réseaux de solidarité « l'œuvre du Bouillon » - les restos du cœur, l'œuvre du bouillon.
Bien des siècles plus tard, c'est à quelques kilomètres du Puy, au Chambon-sur-Lignon, que l'humanisme protestant s'est levé pour protéger des enfants juifs condamnés à l'holocauste par une idéologie démente.
Cette tradition d'aide et de réconfort fait partie de notre identité, ne s'est jamais démentie dans notre pays.
A tous ceux qui dans cette salle aujourd'hui mais partout en France, forgent au quotidien cette immense chaîne de solidarité, je veux dire aujourd'hui mon admiration, ma reconnaissance. Ils contribuent par leur engagement à l'image mais aussi à l'identité de la France.
J'étais venu ici devant vous pour dire que la France a un patrimoine qu'elle entend préserver.
J'étais venu vous dire que la France a un héritage qu'elle doit partager.
J'étais venu vous dire que la France a une identité dont elle doit être fière, mais ici, au Puy-en-Velay, peut-être un peu plus qu'ailleurs, il est évident que la France a aussi une âme.
Je vous remercie.
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