Dans l’ombre, un député PS tirait les ficelles
Nasser Ramdane-Ferradj, aujourd’hui maire adjoint PS de Noisy-le-Sec raconte
Il y a 20 ans jour pour jour, Julien Dray (PS) instrumentalisa un mouvement lycéen. Agé de 18 ans à l’époque, Ramdane-Ferradj avait été propulsé à la tête du mouvement en tant que vice président de la FIDL (Fédération indépendante et démocratique lycéenne).
« Le mouvement de 1990 a commencé à Saint-Ouen, au lycée Auguste Blanqui, après le viol collectif d’une élève de 15 ans. Très vite, des dizaines de lycées du 93 se mettent en grève. Militant à SOS Racisme depuis deux ans, je me précipite sur mon téléphone pour appeler Malek Boutih dès que le mouvement arrive dans mon lycée. Il m’écoute et me demande de le rappeler dix minutes plus tard. Je le fais. Il me dit juste : « Nasser, tu dois mettre en grève un maximum de lycées ». J’étais devenu sans le savoir le bras armé de Julien Dray dans sa guerre contre Lionel Jospin et Michel Rocard. Ce dernier n’avait pas pris Julien dans son gouvernement, et Julien était persuadé que la faute en revenait à Lionel. Le tout sur fond de guerre des courants au PS, quelques mois après le congrès de Rennes… Autant vous dire que tous ces enjeux m’échappaient assez largement. Comme militant, je n’ignorais pas qu’il y avait des batailles d’appareil. Mais je n’avais aucune vision du tableau d’ensemble.
En bon militant, je fais donc le tour des lycées des environs pour les mettre en grève et, en fin de journée, je me rends dans les locaux de SOS Racisme. Il y a là un certain nombre de militants de SOS comme Malek Boutih et Harlem Désir, quelques anciens du mouvement de décembre 86 contre la loi Devaquet, et Julien, que je connais à peine. Il décide pourtant : “Nasser sera le porte-parole de ce mouvement.”
Au soir de la première manif parisienne, mon boulot consiste donc à me glisser dans la délégation qui doit être reçue par Lionel Jospin, alors ministre de l’Education nationale. Aidé par les militants de SOS, j’y parviens sans trop de difficultés. Là, surprise, à peine ai-je pris la parole que Jospin me coupe : « Vous, je sais que vous êtes là pour une raison particulière ». Il n’en dit pas plus mais le message est clair : il n’est pas dupe et me voit avant tout comme l’homme de Julien, ce qui, d’ailleurs, me vexe un peu ! A la sortie du ministère je vais au devant des micros et j’appelle tous les lycéens à se mettre en mouvement. Et c’est ce qui se passe.
On monte une première coordination, puis une seconde quand les Jeunesses communistes prennent le pouvoir dans la première. Avant chaque réunion, avant chaque manifestation, Julien me briefe, m’indique quel doit être le rythme des manifs, quels slogans mettre en avant… Il m’apprend tout : que c’est celui qui donne les dates des manifs qui est le patron du mouvement, qu’on ne peut pas contenir un mouvement lycéen mais seulement l’accompagner et l’amplifier… Pendant les réunions des coordinations, Malek Boutih est dans un café et rend compte quasiment en temps réel à Julien à partir d’une cabine téléphonique – il n’y avait pas de portables à l’époque ! Tout cela a donné lieu à des scènes cocasses, notamment le jour où Malek a cherché à me joindre en pleine négociation au ministère en montant un bateau. On glisse un papier à Jospin qui me dit, narquois : « Monsieur Ramdane, il y a quelqu’un de votre famille qui cherche à vous joindre à propos d’un souci de santé ; je pense que c’est Malek Boutih ». Evidemment, tout du long, Julien et moi faisons semblant de ne pas nous connaître. Nous nous saluons à peine sur les plateaux de télé. Et quand les médias m’interrogent je soutiens que je ne l’ai croisé qu’une ou deux fois lors des concerts de SOS Racisme.
Pendant ce temps, Julien est en relation permanente avec l’Elysée, via Jean-Louis Bianco et Isabelle Thomas mais aussi directement avec François Mitterrand. C’est Julien qui m’annonce que la coordination va être reçue par le Président, c’est lui aussi qui me fait apprendre par cœur la phrase que je dois répéter à la sortie : « Le président de la République a entendu nos revendications ; c’est maintenant au gouvernement Rocard de prendre ses responsabilités ». Je l’ai fait, et cette phrase a marqué la défaite de Jospin, la victoire du mouvement, et celle de Julien - même si Jospin a aussitôt publié un communiqué disant “Nasser Ramdane n’est pas le porte-parole de l’Elysée” !
Je pense que Julien a tenu les mouvements lycéens et étudiants jusqu’à la fin des années 1990, jusqu’à l’éclatement de son courant au PS. Depuis, personne n’a pris le relais de la même façon que lui, ne serait -ce qu’à cause des évolutions technologiques : le SMS illimité et les réseaux sociaux sont désormais plus forts que les coordinations pour appeler à une manif ou à une AG. Et puis les lycéens disposent aujourd’hui, grâce au mouvement de 1990, d’un cadre démocratique qui n’existait pas : ils peuvent se réunir, ils ont des élus notamment dans les Conseils de la vie lycéenne. De mon temps, on se réunissait clandestinement.
Aujourd’hui ? Les liens existent toujours entre les partis et les organisations lycéennes. Et même si j’ai été instrumentalisé, je persiste à penser que c’est une bonne chose : quand vous êtes lycéen et que vous vous retrouvez à la tête d’un mouvement, vous avez besoin de conseils, de formation, de contacts pour étoffer un service d’ordre…
En tout cas, si j’étais Luc Chatel, je me dépêcherais de recevoir les lycéens pour commencer à chercher une sortie de crise : depuis 20 ans, les gouvernements ont toujours reculé face aux lycéens, pour la simple raison qu’il n’existe qu’une seule façon de mettre un terme à un mouvement lycéen : céder à ses revendications [c'est toujours Ramdane qui parle !]. En plus, le contexte a changé. En 1990, les débordements violents se faisaient contre les biens – il y avait notamment eu la casse du magasin C&A de Montparnasse pendant le mouvement. Mais depuis 2005, la violence s’exerce aussi contre les personnes. Sur cette question, les intérêts des lycéens et ceux du gouvernement convergent : personne ne veut d’un mort dans les manifs.
Ce qui me reste de 1990 ? De l’amitié pour Julien Dray, qui m’a beaucoup appris, et qui m’a permis de rencontrer François Mitterand ! Du respect pour Harlem Désir, qui se tenait un peu en retrait et qui a tenté, pendant et après le mouvement, de me protéger un peu de l’instrumentalisation dont j’étais l’objet. De l’admiration pour Lionel Jospin, dont je ne mesurais pas à l’époque qu’il était un bon ministre de l’Education nationale. Et un regret : que le mouvement lycéen soit désormais scindé entre la FIDL et l’UNL, qui se tirent la bourre. Franchement, on n’imaginait pas ça quand on négociait les droits des lycéens en 1990. Vivement une réunification ! »
Il y a 20 ans jour pour jour, Julien Dray (PS) instrumentalisa un mouvement lycéen. Agé de 18 ans à l’époque, Ramdane-Ferradj avait été propulsé à la tête du mouvement en tant que vice président de la FIDL (Fédération indépendante et démocratique lycéenne).
« Le mouvement de 1990 a commencé à Saint-Ouen, au lycée Auguste Blanqui, après le viol collectif d’une élève de 15 ans. Très vite, des dizaines de lycées du 93 se mettent en grève. Militant à SOS Racisme depuis deux ans, je me précipite sur mon téléphone pour appeler Malek Boutih dès que le mouvement arrive dans mon lycée. Il m’écoute et me demande de le rappeler dix minutes plus tard. Je le fais. Il me dit juste : « Nasser, tu dois mettre en grève un maximum de lycées ». J’étais devenu sans le savoir le bras armé de Julien Dray dans sa guerre contre Lionel Jospin et Michel Rocard. Ce dernier n’avait pas pris Julien dans son gouvernement, et Julien était persuadé que la faute en revenait à Lionel. Le tout sur fond de guerre des courants au PS, quelques mois après le congrès de Rennes… Autant vous dire que tous ces enjeux m’échappaient assez largement. Comme militant, je n’ignorais pas qu’il y avait des batailles d’appareil. Mais je n’avais aucune vision du tableau d’ensemble.
En bon militant, je fais donc le tour des lycées des environs pour les mettre en grève et, en fin de journée, je me rends dans les locaux de SOS Racisme. Il y a là un certain nombre de militants de SOS comme Malek Boutih et Harlem Désir, quelques anciens du mouvement de décembre 86 contre la loi Devaquet, et Julien, que je connais à peine. Il décide pourtant : “Nasser sera le porte-parole de ce mouvement.”
Au soir de la première manif parisienne, mon boulot consiste donc à me glisser dans la délégation qui doit être reçue par Lionel Jospin, alors ministre de l’Education nationale. Aidé par les militants de SOS, j’y parviens sans trop de difficultés. Là, surprise, à peine ai-je pris la parole que Jospin me coupe : « Vous, je sais que vous êtes là pour une raison particulière ». Il n’en dit pas plus mais le message est clair : il n’est pas dupe et me voit avant tout comme l’homme de Julien, ce qui, d’ailleurs, me vexe un peu ! A la sortie du ministère je vais au devant des micros et j’appelle tous les lycéens à se mettre en mouvement. Et c’est ce qui se passe.
On monte une première coordination, puis une seconde quand les Jeunesses communistes prennent le pouvoir dans la première. Avant chaque réunion, avant chaque manifestation, Julien me briefe, m’indique quel doit être le rythme des manifs, quels slogans mettre en avant… Il m’apprend tout : que c’est celui qui donne les dates des manifs qui est le patron du mouvement, qu’on ne peut pas contenir un mouvement lycéen mais seulement l’accompagner et l’amplifier… Pendant les réunions des coordinations, Malek Boutih est dans un café et rend compte quasiment en temps réel à Julien à partir d’une cabine téléphonique – il n’y avait pas de portables à l’époque ! Tout cela a donné lieu à des scènes cocasses, notamment le jour où Malek a cherché à me joindre en pleine négociation au ministère en montant un bateau. On glisse un papier à Jospin qui me dit, narquois : « Monsieur Ramdane, il y a quelqu’un de votre famille qui cherche à vous joindre à propos d’un souci de santé ; je pense que c’est Malek Boutih ». Evidemment, tout du long, Julien et moi faisons semblant de ne pas nous connaître. Nous nous saluons à peine sur les plateaux de télé. Et quand les médias m’interrogent je soutiens que je ne l’ai croisé qu’une ou deux fois lors des concerts de SOS Racisme.
Pendant ce temps, Julien est en relation permanente avec l’Elysée, via Jean-Louis Bianco et Isabelle Thomas mais aussi directement avec François Mitterrand. C’est Julien qui m’annonce que la coordination va être reçue par le Président, c’est lui aussi qui me fait apprendre par cœur la phrase que je dois répéter à la sortie : « Le président de la République a entendu nos revendications ; c’est maintenant au gouvernement Rocard de prendre ses responsabilités ». Je l’ai fait, et cette phrase a marqué la défaite de Jospin, la victoire du mouvement, et celle de Julien - même si Jospin a aussitôt publié un communiqué disant “Nasser Ramdane n’est pas le porte-parole de l’Elysée” !
Je pense que Julien a tenu les mouvements lycéens et étudiants jusqu’à la fin des années 1990, jusqu’à l’éclatement de son courant au PS. Depuis, personne n’a pris le relais de la même façon que lui, ne serait -ce qu’à cause des évolutions technologiques : le SMS illimité et les réseaux sociaux sont désormais plus forts que les coordinations pour appeler à une manif ou à une AG. Et puis les lycéens disposent aujourd’hui, grâce au mouvement de 1990, d’un cadre démocratique qui n’existait pas : ils peuvent se réunir, ils ont des élus notamment dans les Conseils de la vie lycéenne. De mon temps, on se réunissait clandestinement.
Aujourd’hui ? Les liens existent toujours entre les partis et les organisations lycéennes. Et même si j’ai été instrumentalisé, je persiste à penser que c’est une bonne chose : quand vous êtes lycéen et que vous vous retrouvez à la tête d’un mouvement, vous avez besoin de conseils, de formation, de contacts pour étoffer un service d’ordre…
En tout cas, si j’étais Luc Chatel, je me dépêcherais de recevoir les lycéens pour commencer à chercher une sortie de crise : depuis 20 ans, les gouvernements ont toujours reculé face aux lycéens, pour la simple raison qu’il n’existe qu’une seule façon de mettre un terme à un mouvement lycéen : céder à ses revendications [c'est toujours Ramdane qui parle !]. En plus, le contexte a changé. En 1990, les débordements violents se faisaient contre les biens – il y avait notamment eu la casse du magasin C&A de Montparnasse pendant le mouvement. Mais depuis 2005, la violence s’exerce aussi contre les personnes. Sur cette question, les intérêts des lycéens et ceux du gouvernement convergent : personne ne veut d’un mort dans les manifs.
Ce qui me reste de 1990 ? De l’amitié pour Julien Dray, qui m’a beaucoup appris, et qui m’a permis de rencontrer François Mitterand ! Du respect pour Harlem Désir, qui se tenait un peu en retrait et qui a tenté, pendant et après le mouvement, de me protéger un peu de l’instrumentalisation dont j’étais l’objet. De l’admiration pour Lionel Jospin, dont je ne mesurais pas à l’époque qu’il était un bon ministre de l’Education nationale. Et un regret : que le mouvement lycéen soit désormais scindé entre la FIDL et l’UNL, qui se tirent la bourre. Franchement, on n’imaginait pas ça quand on négociait les droits des lycéens en 1990. Vivement une réunification ! »
Du devoir de mémoire à l'actualité
VOIR et ENTENDRE une autre manipulatrice socialiste. Celle-ci ment et nie et se renie. Vous avez deviné; ça pourrait être la Ch'tite Aubry, mais il s'agit cette fois de Sa Cynique Majesté Royal:
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