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dimanche 1 novembre 2009

Chirac : son renvoi en correctionnelle ne présume pas sa culpabilité

Etait-il indispensable de le poursuivre ? Les avis sont partagés

À un mois de son 77e anniversaire et quelque 30 ans plus tard

Dix ans après l’ouverture du dossier, grande première pour un ancien président de la Ve République de 1995 à 2007 : Jacques Chirac a appris le 30 octobre qu’il sera traduit en justice dans les mois qui viennent pour "détournement de fonds" et "abus de confiance" dans le dossier des 21 emplois présumés fictifs à la mairie de Paris lorsqu'il était maire de Paris entre 1977 et 1995.

De quoi est-il présumé innocent ?

A la fin des années 90, alors que Jacques Chirac avait accédé à la présidence de la République et bénéficiait de ce fait d'une quasi totale immunité, des accusations avaient surgi concernant de supposés emplois de complaisance à la mairie.
Au passage, certains proches ont été inquiétés ou condamnés par la justice, parmi lesquels l'ancien chef de cabinet du maire, Michel Roussin, et surtout l'ancien adjoint aux Finances de la mairie, un certain Alain Juppé, condamné à 14 mois de prison avec sursis.

Protégé par sa fonction jusqu'à la fin de son second mandat, en mai 2007, Jacques Chirac avait alors été entendu à cinq reprises par la juge d'instruction entre novembre 2007 et juillet 2008.

Le
16 juin 2007 (un mois après la fin de son mandat), cette immunité arrive à son terme.
  • Le 19 juillet 2007, Jacques Chirac est entendu une première fois par la justice dans ses bureaux de la rue de Lille sur l’affaire des emplois fictifs du RPR. Dans cette affaire, il a été entendu par les juges en tant que témoin assisté.
  • Convoqué pour une seconde audition le 21 novembre 2007, Jacques Chirac se voit notifier sa mise en examen par la juge Xavière Simeoni du pôle financier du tribunal de Paris dans le cadre de l'affaire des chargés de mission de la ville de Paris employés au cabinet de celui qui était alors maire de la ville.
  • Le 30 octobre 2009, Jacques Chirac est renvoyé devant le tribunal correctionnel par la juge Xavière Simeoni. En théorie, l'accusé risque jusqu'à 10 ans de prison pour ces délits.

    Les pressions
  • Depuis les années 1990, des personnalités politiques de gauche comme Jack Lang, Noël Mamère ou Arnaud Montebourg ont réclamé la fin de « l'immunité présidentielle ».
  • Et voici dimanche le premier sondage BVA M6 réalisé auprès des Français. Il tendrait à montrer qu'une large majorité des sondés (72%) estimerait que la "justice doit le poursuivre comme n'importe quel citoyen". Seuls 26% d'entre eux pensent que "la justice devrait le laisser tranquille, car ces histoires sont anciennes".

    Les charognards

    Parti socialiste: Il est «légitime que la justice puisse s’appliquer à tous de la même manière». Le parti socialiste a réagi par la voix de sa secrétaire nationale à la justice, Marie-Pierre de la Gontrie. Elle note que «les faits concernés sont anciens, notamment du fait du régime de la responsabilité pénale du Chef de l’Etat empêchant toute poursuite dans le cours de son mandat». Elle ajoute qu' «il est légitime que la justice puisse s’appliquer à tous de la même manière, pour «établir les responsabilités de chacun».
    De même, Benoît Hamon, porte-parole du Parti socialiste, a néanmoins considéré, dimanche au cours de l'émission "Europe-1/Le Parisien Aujourd'hui en France, qu’il est normal que justice passe." Il a également jugé que "l'image de la France eût été écornée si Jacques Chirac avait été épargné", considérant que c'était le "signe d'une démocratie moderne" qu'un ancien président de la république soit un justiciable comme un autre.
    Cette "affaire démontre l’importance d'un juge d'instruction indépendant", selon Benoît Hamon, qui a en outre considéré que rien ne justifiait une réforme, "s'il n'y a pas d'indépendance préalable du parquet".
  • Dans le sillage du Front national et la gauche radicale, les écologistes sont les plus virulents. Ils approuvent ce renvoi de Jacques Chirac, tel le député Verts Noël Mamère qui se dit haut et clair satisfait : “A un moment donné il faut qu’on s’explique sinon on est dans une république bananière. Donc j’entends les cris d’orfraie qui sont lancés par certains. Il est normal que Chirac s’explique, oui”. Cette obsession de la "république bananière" ne le positionnerait-elle pas définitivement en "banane suprême" de la république ?
  • L’amer Mamère est en bonne compagnie avec le Che-Besancenot (NPA).
    Le leader trotskiste du NPA dit attendre que «le procès de Jacques Chirac ne soit pas uniquement le procès de "Supermenteur" (il a ses références culturelles: la marionnette de l'ex-président dans les Guignols !) mais aussi le procès de l'immunité présidentielle». Selon lui, la décision «donne l'espoir que le scandale des emplois fictifs puisse enfin aboutir» et «l'espoir d'une première brèche du système de l'immunité présidentielle». Il faut que les présidents de la République, «que ce soit Jacques Chirac ou l'actuel président (Nicolas Sarkozy)», puissent être «jugés en temps et en heure, comme tout un chacun». S’ils sont de droite, les Français sont donc réputés coupables et n’ont pas même droit à la présomption d’innocence !...
  • "C'est une décision qui ne réjouit personne", a renchéri Pierre Moscovici (PS), mais "la justice doit être égale pour tous".
  • "Il est normal que la justice soit la même pour tous", a commenté Chantal Jouanno (sous-ministre à l'Ecologie).

    Ceux qui font la part des choses

  • Jean-Pierre Grand, député UMP (villepiniste): «Je ressens comme un acharnement malsain. C'est d'ailleurs ce que me disent les gens dans ma ville. Jacques Chirac ne mérite pas ça. Au départ, on lui reprochait quelque 500 emplois fictifs, maintenant plus que 21 et on le renvoie en justice... A l'arrivée qu'est-ce qui restera? Zéro emploi? En tout cas, on aura usé physiquement et moralement un homme pendant des mois et des mois».
  • Jean-François Lamour, député UMP, ancien ministre de Jacques Chirac: «A titre personnel, j'aurais préféré que le président Chirac soit à l'écart de tout cela. L'acharnement n'est jamais souhaitable. Il faut que chacun aborde ce dossier avec sérénité. Mais Jacques Chirac démontrera que, pour chacun des éléments du dossier, il a des réponses à apporter. Je remarque qu'il y a débat au sein même de la justice sur ce dossier...»
  • Henri Cuq, député UMP des Yvelines. Selon cet élu estampillé chiraquien, l'ancien président «avait le droit de vivre en paix». «Je regrette profondément cette décision parce que je considère qu'aujourd'hui Jacques Chirac avait le droit de vivre en paix», a déclaré Henri Cuq sur RTL.
  • Dominique Paillé. «Jacques Chirac est un personnage que les Français aiment bien. Il est dommage qu'en sa fin de carrière personnelle, il soit renvoyé en correctionnelle», a déclaré le porte-parole adjoint de l'UMP sur France Info. «Simplement, on peut regretter cette issue». Dominique Paillé s'est dit «surpris dans la mesure où cela ne correspondait pas aux réquisitions». Toutefois, a-t-il souligné, «il est tout à fait logique que la justice fasse son oeuvre, nous sommes dans un pays démocratique et de droit».
  • Xavier Bertrand. Selon le secrétaire général de l'UMP, «le parquet a dit qu'il n'y avait pas lieu selon lui de renvoyer. Ce n'est pas une affaire qu'on découvre aujourd'hui», a-t-il expliqué sur RTL avant l'annonce du renvoi de Jacques Chirac devant la justice. «Comme il y a déjà eu des jugements, en ce qui me concerne, même si vous savez que normalement on a pas à prendre part dans un dossier comme celui-ci, je pense qu'il n'est pas utile de revenir encore et encore en arrière».
  • André Vallini, député PS, ancien président de la commission Outreau: «Si la justice doit être égale pour tous, elle doit aussi avoir un sens. Et pour avoir un sens, elle ne doit pas passer trop tard», a déclaré le député de l'Isère dans un communiqué.
  • Désirdavenir Royal. «Ce sont des affaires très anciennes. Jacques Chirac sans doute a beaucoup de choses à se reprocher si la justice le poursuit. Mais en même temps, il a aussi donné beaucoup au pays. Aujourd’hui, c’est un homme qui mérite d’être tranquille. Et en même temps, il faut que la justice soit la même pour tous» a-t-elle estimé sur Europe 1. Ambigü ?...
  • De Corrèze, François Hollande a certes tenu à parler d’affaires du passé: “Il y a un malaise. Chacun le comprend… malaise de voir l’ancien président de la République ainsi mis devant une situation inédite, et puis, il y a un malaise puisque les affaires remontent à très loin”.
  • Jacques Chirac a reçu dimanche le soutien de plusieurs autres personnalités, dont celui de Patrick Devedjian (ministre de la Relance), qui fut son avocat, et a estimé que le renvoi de M. Chirac n'était pas "une si bonne chose que ça", s'agissant "d'un président à la retraite et pour l'image de la France", même si cela donne "le sentiment que la justice est la même pour tous".
  • Il faut surtout saluer la prise de parole de sa fille adoptive, Ahn Dao Traxel, qui a décidé de sortir de sa réserve habituelle pour dénoncer une décision "injuste".
    "Je trouve que c'est injuste et choquant", a déclaré Ahn Dao Traxel. "Condamner cet homme serait injuste", a dit la fille adoptive de Jacques et Bernadette Chirac.
    Domiciliée à Boissy-la-Rivière (Essonne), elle a expliqué avoir travaillé durant vingt ans, de 1980 à 2000, à la mairie de Paris comme agent de bureau, "sans jamais avoir bénéficié d'un passe droit, alors qu'il (M. Chirac) aurait pu (lui) donner une fonction passe partout de chargé de mission s'il l'avait souhaité".
    Ahn Dao Traxel, qui fait "confiance à la justice dans cette affaire", a dit "partager l'avis de Ségolène Royal" selon laquelle "il a mérité d'être tranquille". Elle a mis en outre l'accent sur l'action de son père adoptif sur la scène internationale, citant notamment son refus à la guerre en Irak aux côtés des Américains.

    Y aura-t-il un acharnement judiciaire contre ce serviteur de la nation

    Rien n’est moins sûr. Tous, peu ou prou, qu'ils soient de droite ou de gauche, étaient partagés entre deux commentaires: "la justice doit être la même pour tous", et une reconnaissance de l'action internationale de l'ancien chef de l'Etat.
  • Symptomatique du revirement de l’opinion, en estimant "normal et justifié" que M. Chirac "réponde de ses actes", Arnaud Montebourg (PS), un de ses principaux détracteurs, a jugé que c'était "trop tard". Et d'ajouter que l'ancien président "a rendu des services à la nation quoi qu'on pense de lui".
  • L'ancien ministre du budget de François Mitterrand, Michel Charasse, a été plus tranchant dans sa désapprobation de la décision, longtemps après les faits. Selon lui, elle risque de "porter atteinte à l'image de la France". Il a considéré aussi que l'action de M. Chirac n'avait "pas été indigne pour la République".
  • Quant à l'opinion publique, elle a tranché: Jacques Chirac est aujourd'hui, avec 76% d'opinions favorables, l'homme politique le plus populaire du pays.

    Qui est la juge Xavière Siméoni ?

    Née le 25 novembre 1952, Xavière Simeoni a commencé sa carrière comme greffière, au bas de la hiérarchie judiciaire avant d'entrer dans la magistrature en 1984. Elle a effectué toute sa carrière à l'instruction, d'abord à Evry (Essonne), de 1985 à 1992, puis à Paris, où elle s'est affirmée au pôle financier, de 1999 à 2000, puis à partir de 2003. Magistrate corse et discrète, fuyant les media et la notoriété, décrite par ses collègues comme travailleuse et opiniâtre, Xavière Simeoni a travaillé sur des affaires importantes, sans jamais être attaquée ou critiquée publiquement par les avocats.

    L’affaire de tout une vie

    L'affaire Chirac a été sans doute le dossier de sa carrière : c'est elle qui a commencé à l'instruire en 1998, avant de le reprendre après une éclipse, pour mettre en examen l'ancien président en 2007 et le renvoyer finalement devant un tribunal. Après le départ du juge Philippe Courroye du pôle financier, en 2007, elle a repris certains des dossiers de celui-ci, notamment celui où Christophe de Margerie, patron du géant pétrolier Total, est mis en examen pour une affaire de corruption présumée en Iran, ainsi que l'affaire du programme de l'ONU en Irak "Pétrole contre nourriture" pour laquelle Charles Pasqua est poursuivi.
    Xavière Simeoni a parfois eu du mal à trouver sa place au pôle financier, où ses relations avec un magistrat plus connu, Renaud Van Ruymbeke, se sont avérées difficiles dans le dossier visant une vente de frégates à Taïwan en 1991. Alors qu'elle était cosaisie de l'affaire, Renaud Van Ruymbeke ne l'a en effet pas informée qu'en 2004 le vice-président d'EADS, Jean-Louis Gergorin, était venu lui faire de pseudo-"révélations", qui se devaient se révéler être une supercherie et provoquer l'affaire Clearstream.
    La juge Simeoni a aussi instruit les affaires de présumées opérations de corruption menées par Thalès à l'étranger et des délits d'initié présumés à EADS, toujours en cours, où elle a mis en examen plusieurs anciens dirigeants du consortium aéronautique, dont son ancien coprésident exécutif français Noël Forgeard.
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