L'heure du bilan de la "révolution du jasmin" approche
Le mouvement islamiste tunisien Ennahda a annoncé son retour au pays sans délai
Il s'est dit prêt à " travailler pour bâtir un État de droit ".
Exilé depuis 1989 sous le régime de l'ex-président Ben Ali, il a été légalisé, trente ans après sa fondation, rappelle son porte-parole officiel, Ali El-Aryadh, le 1er mars 2011.
Rentré de Londres, Rached Ghannouchi, le leader de l’Ennahda (“Renaissance“ en français), un parti politique islamiste, a indiqué qu' aucun candidat d'Ennahda ne serait présenté à la future élection présidentielle, mais que le parti comptait tout de même participer aux législatives, le 23 juillet dernier.
" Il y a eu en Tunisie une révolution du peuple qui a revendiqué des droits sociaux et politiques. On ne veut pas avoir l'air de récupérer ce mouvement ". [...] Nous faisons très attention à ce qui se passe depuis le 11 septembre (2001), à la perception de l'islam ou de conflits entre Orient et Occident. On ne veut ni de la violence ni de la peur ", a expliqué le leader de l’Ennahda, qui a tout son temps.
De nombreux Tunisiens attachés à la laïcité, s'alarment de " la montée des mouvements islamistes financés par les pétromonarchies du Golfe ". " Nous voulons une république de citoyens, pas une république de croyants ", entend-on à l'adresse du parti islamiste Ennahda également accusé de s’appuyer sur " le réseau des mosquées pour diffuser sa propagande politique ".
Prompt à se référer aux islamistes de l’AKP au pouvoir en Turquie, Ghannouchi tente de cultiver une image policée. " La phase de transition en Tunisie d’un régime policier dictatorial vers un régime démocratique doit réussir ", répète-t-il, bien qu'il fustige néanmoins " ceux qui continuent d’utiliser la peur des islamistes ".
Il tente ainsi de détourner l'attention des rivalités entre islamistes. Une concurrence féroce oppose en effet Ennahda à des mouvements salafistes plus radicaux, comme Hizb Ettahrir, un parti intégriste qui défend ouvertement le projet d’une société régie par la charia.
Les islamistes ne pouvaient ignorer que les partisans du président tunisien renversé Zine ben Ali risquaient de provoquer un coup d'Etat, si des islamistes remportaient des élections démocratiques, avait annoncé l'ancien ministre de l'Intérieur, Farhat Rajhi.
L'Ennahda est aujourd’hui le favori des prochaines élections
Les sondages – à la fiabilité incertaine – le créditent de 20 à 25 % des voix à la présidentielle de 2012, loin devant ses concurrents.
Une popularité acquise, dénoncent certains, par des méthodes clientélistes. L’économiste Abdeljelil Bedoui accuse le parti de " payer des factures d’électricité " ou d’ " aider à l’organisation des mariages ". Ennahda serait aussi lié à des organisations caritatives, qui assureraient sa promotion via leurs actions de terrain.
Proximité idéologique avec l’AKP turque
Le poids d’Ennahda suscite beaucoup d’inquiétude dans les milieux intellectuels et laïcs, où l’on craint qu’une Assemblée constituante dominée par les islamistes ne mène à " une Constitution gommant les avancées de la Tunisie en matière de libertés individuelles ", dit le militant des droits de l’homme Salah Zeghidi.
" Nous n’avons pas l’intention de chambouler le modèle de société ", affirme actuellement Samir Dilou, membre du bureau exécutif d’Ennahda, qui souligne que le parti s’engage à " garantir la liberté de croyance et de pensée ". " Nous souhaitons concilier valeurs arabo-musulmanes et universelles ", abonde son collègue Ajmi Lourimi.
À ceux qui mettent en garde contre une possible confiscation du pouvoir, Ennahda promet de " travailler avec toutes les parties " et plaide pour la formation d’un gouvernement d’union nationale après l’élection de la Constituante. Ses dirigeants ne manquent pas une occasion de revendiquer leur proximité idéologique avec l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie.
Faute de crédit confiance, les inquiétudes demeurent
Nombreux sont les observateurs qui dénoncent le " double discours " d’Ennahda.
Pour Saloua Charfi, universitaire et spécialiste du discours islamiste, ses dirigeants " tiennent à leur base un tout autre langage, plus proche de la rhétorique islamiste classique ".
Elle relève aussi les " ambiguïtés " du programme du parti, qui promet de " préserver le statut de la femme " en Tunisie, déjà très avancé par rapport au reste du monde arabe, spécialement radical, mais aussi " d’endiguer les causes du divorce ", sans préciser ses moyens d’action.
" Le discours progressiste est-il une façade destinée à rassurer, ou le discours radical un calcul pour ne pas perdre une base conservatrice ? ", s’interroge l’universitaire. Sans reconnaître de double discours, Ajmi Lourimi explique que " les dirigeants du parti sont plus progressistes que la base des militants ".
Une hétérogénéité que confirme Slaheddine Jourchi, politologue et ancien militant islamiste. " Le mouvement comprend une frange réformiste, des courants proches des salafistes, et nul ne peut présager de l’évolution du rapport de force entre les uns et les autres. "
Qui profitera du vide laissé par le président déchu ?
Des civils, des militaires ou des islamistes ?
Après vingt-trois années de pouvoir absolu, le printemps arabe laisse derrière lui un champ de ruines politique, que la faiblesse de l'opposition laïque ne parvient pas à combler dans son intégralité, rendant aléatoire le succès d'une transition démocratique. Car, tandis que le premier ministre Mohammed Ghannouchi, tentait de former un gouvernement d'union nationale, un autre Ghannouchi, prénommé Rached, sans lien de parenté avec le chef du gouvernement, annonça aussitôt depuis Londres son prochain retour en Tunisie, se disant prêt à " travailler pour bâtir un État de droit ". Son audience s'était considérablement réduite, y compris au sein de son mouvement, mais la méfiance qu'inspire l'épouvantail islamiste n'a pas faibli.
Un malaise social gonflé pour être instrumentalisé
Au lendemain des législatives d'avril 1989, à l'issue desquelles les islamistes avaient obtenu officiellement 14 % des suffrages et le président Ben Ali avait mis en garde contre une victoire électorale du Front islamique du salut (FIS) en Algérie lors des élections de juin 1990. La menace d'un " effet domino " s'est effectivement réalisée: le " rempart contre l'intégrisme " s'est écroulé et le péril Ennahda pour la stabilité du pays s'est confirmé.
L'Europe a sa part de responsabilité dans ce processus.
Le fait qu'Ennahda n'a pas encore basculé dans la violence ne permet pas d'affirmer qu'il ne suivra jamais les traces du mouvement islamiste algérien et des barbus algériens du FIS.
Lien PaSiDupes
Rached Ghannouchi est un leader sexagénaire controversé
Proche idéologiquement des Frères musulmans, ceux qui n'ont pas la mémoire courte, rappellent qu'il a toujours prôné une opposition frontale au régime du président Ben Ali. Dès le début des années 1990, après l'éclatement de la première guerre du Golfe, un brin fanatique, il appelait à la " guerre sainte ". L'avocat Abdelfattah Mourou, numéro deux d'Ennahda, suivi par la majorité des cadres du parti, avait aussitôt affiché son désaccord avec ce discours jugé " peu réaliste ", pour dire imprudent. Leurs héritiers pourraient être tentés de se radicaliser, la dynamique politico-médiatique pourrait pousser à l'extrémisme.
Le paradoxe tunisien embarrase les islamistes
Sa classe moyenne et l'égalité juridique des femmes en font un modèle de modernité contrastant très nettement avec l'ensemble du monde arabe. L'idéologie salafiste n'a guère d'assise sociale en Tunisie, mais pourra désormais prendre son essor, dans le pays, sans entraves.
Les acquis de l'ère Bourguiba, despote éclairé, seront-ils préservés dans tous les espaces de liberté. La vague de religiosité apparue ces dernières années, tout comme la violence de cette " révolution de jasmin " - salué sans nuances par le monde occidental - ont créé un grand désarroi politique et un profond malaise social. Les prochaines élections constitueront un test, mais un risque de désastre pour la démocratie.
Une partie de l'opposition républicaine a mesuré le danger
Elle plaide depuis longtemps pour la réintégration d'Ennahda dans l'arène politique et s'est alliée aux islamistes modérés sur la base d'un " code de bonne conduite ".
Ils ont sorti la corde pour se faire pendre. Ou fouetter et lapider ...
Le mouvement islamiste tunisien Ennahda a annoncé son retour au pays sans délai
Il s'est dit prêt à " travailler pour bâtir un État de droit ".
Exilé depuis 1989 sous le régime de l'ex-président Ben Ali, il a été légalisé, trente ans après sa fondation, rappelle son porte-parole officiel, Ali El-Aryadh, le 1er mars 2011.
Rentré de Londres, Rached Ghannouchi, le leader de l’Ennahda (“Renaissance“ en français), un parti politique islamiste, a indiqué qu' aucun candidat d'Ennahda ne serait présenté à la future élection présidentielle, mais que le parti comptait tout de même participer aux législatives, le 23 juillet dernier.
" Il y a eu en Tunisie une révolution du peuple qui a revendiqué des droits sociaux et politiques. On ne veut pas avoir l'air de récupérer ce mouvement ". [...] Nous faisons très attention à ce qui se passe depuis le 11 septembre (2001), à la perception de l'islam ou de conflits entre Orient et Occident. On ne veut ni de la violence ni de la peur ", a expliqué le leader de l’Ennahda, qui a tout son temps.
De nombreux Tunisiens attachés à la laïcité, s'alarment de " la montée des mouvements islamistes financés par les pétromonarchies du Golfe ". " Nous voulons une république de citoyens, pas une république de croyants ", entend-on à l'adresse du parti islamiste Ennahda également accusé de s’appuyer sur " le réseau des mosquées pour diffuser sa propagande politique ".
Prompt à se référer aux islamistes de l’AKP au pouvoir en Turquie, Ghannouchi tente de cultiver une image policée. " La phase de transition en Tunisie d’un régime policier dictatorial vers un régime démocratique doit réussir ", répète-t-il, bien qu'il fustige néanmoins " ceux qui continuent d’utiliser la peur des islamistes ".
Il tente ainsi de détourner l'attention des rivalités entre islamistes. Une concurrence féroce oppose en effet Ennahda à des mouvements salafistes plus radicaux, comme Hizb Ettahrir, un parti intégriste qui défend ouvertement le projet d’une société régie par la charia.
Les islamistes ne pouvaient ignorer que les partisans du président tunisien renversé Zine ben Ali risquaient de provoquer un coup d'Etat, si des islamistes remportaient des élections démocratiques, avait annoncé l'ancien ministre de l'Intérieur, Farhat Rajhi.
L'Ennahda est aujourd’hui le favori des prochaines élections
Les sondages – à la fiabilité incertaine – le créditent de 20 à 25 % des voix à la présidentielle de 2012, loin devant ses concurrents.
Une popularité acquise, dénoncent certains, par des méthodes clientélistes. L’économiste Abdeljelil Bedoui accuse le parti de " payer des factures d’électricité " ou d’ " aider à l’organisation des mariages ". Ennahda serait aussi lié à des organisations caritatives, qui assureraient sa promotion via leurs actions de terrain.
Proximité idéologique avec l’AKP turque
Le poids d’Ennahda suscite beaucoup d’inquiétude dans les milieux intellectuels et laïcs, où l’on craint qu’une Assemblée constituante dominée par les islamistes ne mène à " une Constitution gommant les avancées de la Tunisie en matière de libertés individuelles ", dit le militant des droits de l’homme Salah Zeghidi.
" Nous n’avons pas l’intention de chambouler le modèle de société ", affirme actuellement Samir Dilou, membre du bureau exécutif d’Ennahda, qui souligne que le parti s’engage à " garantir la liberté de croyance et de pensée ". " Nous souhaitons concilier valeurs arabo-musulmanes et universelles ", abonde son collègue Ajmi Lourimi.
À ceux qui mettent en garde contre une possible confiscation du pouvoir, Ennahda promet de " travailler avec toutes les parties " et plaide pour la formation d’un gouvernement d’union nationale après l’élection de la Constituante. Ses dirigeants ne manquent pas une occasion de revendiquer leur proximité idéologique avec l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie.
Faute de crédit confiance, les inquiétudes demeurent
Nombreux sont les observateurs qui dénoncent le " double discours " d’Ennahda.
Pour Saloua Charfi, universitaire et spécialiste du discours islamiste, ses dirigeants " tiennent à leur base un tout autre langage, plus proche de la rhétorique islamiste classique ".
Elle relève aussi les " ambiguïtés " du programme du parti, qui promet de " préserver le statut de la femme " en Tunisie, déjà très avancé par rapport au reste du monde arabe, spécialement radical, mais aussi " d’endiguer les causes du divorce ", sans préciser ses moyens d’action.
" Le discours progressiste est-il une façade destinée à rassurer, ou le discours radical un calcul pour ne pas perdre une base conservatrice ? ", s’interroge l’universitaire. Sans reconnaître de double discours, Ajmi Lourimi explique que " les dirigeants du parti sont plus progressistes que la base des militants ".
Une hétérogénéité que confirme Slaheddine Jourchi, politologue et ancien militant islamiste. " Le mouvement comprend une frange réformiste, des courants proches des salafistes, et nul ne peut présager de l’évolution du rapport de force entre les uns et les autres. "
Qui profitera du vide laissé par le président déchu ?
Des civils, des militaires ou des islamistes ?
Après vingt-trois années de pouvoir absolu, le printemps arabe laisse derrière lui un champ de ruines politique, que la faiblesse de l'opposition laïque ne parvient pas à combler dans son intégralité, rendant aléatoire le succès d'une transition démocratique. Car, tandis que le premier ministre Mohammed Ghannouchi, tentait de former un gouvernement d'union nationale, un autre Ghannouchi, prénommé Rached, sans lien de parenté avec le chef du gouvernement, annonça aussitôt depuis Londres son prochain retour en Tunisie, se disant prêt à " travailler pour bâtir un État de droit ". Son audience s'était considérablement réduite, y compris au sein de son mouvement, mais la méfiance qu'inspire l'épouvantail islamiste n'a pas faibli.
Un malaise social gonflé pour être instrumentalisé
Au lendemain des législatives d'avril 1989, à l'issue desquelles les islamistes avaient obtenu officiellement 14 % des suffrages et le président Ben Ali avait mis en garde contre une victoire électorale du Front islamique du salut (FIS) en Algérie lors des élections de juin 1990. La menace d'un " effet domino " s'est effectivement réalisée: le " rempart contre l'intégrisme " s'est écroulé et le péril Ennahda pour la stabilité du pays s'est confirmé.
L'Europe a sa part de responsabilité dans ce processus.
Le fait qu'Ennahda n'a pas encore basculé dans la violence ne permet pas d'affirmer qu'il ne suivra jamais les traces du mouvement islamiste algérien et des barbus algériens du FIS.
Lien PaSiDupes
Rached Ghannouchi est un leader sexagénaire controversé
Proche idéologiquement des Frères musulmans, ceux qui n'ont pas la mémoire courte, rappellent qu'il a toujours prôné une opposition frontale au régime du président Ben Ali. Dès le début des années 1990, après l'éclatement de la première guerre du Golfe, un brin fanatique, il appelait à la " guerre sainte ". L'avocat Abdelfattah Mourou, numéro deux d'Ennahda, suivi par la majorité des cadres du parti, avait aussitôt affiché son désaccord avec ce discours jugé " peu réaliste ", pour dire imprudent. Leurs héritiers pourraient être tentés de se radicaliser, la dynamique politico-médiatique pourrait pousser à l'extrémisme.
Le paradoxe tunisien embarrase les islamistes
Sa classe moyenne et l'égalité juridique des femmes en font un modèle de modernité contrastant très nettement avec l'ensemble du monde arabe. L'idéologie salafiste n'a guère d'assise sociale en Tunisie, mais pourra désormais prendre son essor, dans le pays, sans entraves.
Les acquis de l'ère Bourguiba, despote éclairé, seront-ils préservés dans tous les espaces de liberté. La vague de religiosité apparue ces dernières années, tout comme la violence de cette " révolution de jasmin " - salué sans nuances par le monde occidental - ont créé un grand désarroi politique et un profond malaise social. Les prochaines élections constitueront un test, mais un risque de désastre pour la démocratie.
Une partie de l'opposition républicaine a mesuré le danger
Elle plaide depuis longtemps pour la réintégration d'Ennahda dans l'arène politique et s'est alliée aux islamistes modérés sur la base d'un " code de bonne conduite ".
Ils ont sorti la corde pour se faire pendre. Ou fouetter et lapider ...
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