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mercredi 18 septembre 2019

Décrocheurs: un juge de Lyon légitime la désobéissance civique

L'urgence climatique est un "motif légitime" de désobéissance civile, décide un juge seul

La "république des juges" s'impose à la république démocratique
Opération médiatique de décrochage à Saint-Sébastien-sur-Loire,
 le 4 mars 2019


Le juge - unique et militant - du tribunal de Grande Instance de Lyon a exaucé Me Thomas Fourrey, l’avocat des 'décrocheurs' de Lyonce 16 septembre. La relaxe "serait une décision courageuse. Vous avez le choix", avait-il lancé au magistrat dans sa plaidoirie  en conclusion de leur procès, le 2 septembre. 

Une "décision historique" pour le collectif Action non violente-COP21 (ANV-COP21), un mouvement "citoyen" non-violent qui s'oppose aux projets et aux politiques contribuant, selon lui, au dérèglement climatique et qui recourt principalement à des actions de désobéissance civile. Ce commentaire ne surprend donc personne, d'autant moins que  deux de ses militants écologistes sont en cause pour avoir volé la photo officielle de Macron, le 21 février dernier dans la mairie du IIe arrondissement de la ville de Lyon, initiant une vaste campagne, toujours en cours à travers le paysde décrochages de portraits présidentiels. 

L'arbitrage du juge lyonnais - seul, mais tout puissant - a surpris du fait de son long alignement d'arguments en faveur de l'"état de nécessité" et du "motif légitime" de ces actions de désobéissance civile face à ce qu'il considère être  - sous la pression médiatique des écolos catastrophistes - un "danger grave, actuel et imminent" que constitue le changement climatique, entre réchauffement et refroidissement.

Les activistes exultent. "C’est une très très bonne surprise: on avait un petit espoir que ça arriverait comme très peu de fois dans l’histoire, avoue l’une des prévenus, connaissant le juge, Fanny Delahalle, auprès du journal Libération. C’est une vraie victoire aussi, car ce jugement, ce sont 8 pages de motivations qui montrent que le juge a tout compris aux objectifs de nos actions, il reconnaît que l’Etat n’est pas à la hauteur des enjeux.
"Je ne m’attendais pas à une relaxe, encore moins relaxe avec 'état de nécessité', c'est la cerise sur le gâteau", commente, quant à lui, Pierre Goinvic pour franceinfo. Le juge "reconnaît que nous n'avions plus d'autres moyens de nous exprimer et que nous sommes légitimes à désobéir, se félicite auprès de franceinfo Fanny Delahalle. Aujourd’hui, un juge a voulu aller dans le bon sens de l'histoire et on le remercie."

Accusés de "vol en réunion"
, un délit passible de cinq ans de prison et de 75.000 euros d’amende, les trentenaires Fanny Delahalle, chargée de projets, et Pierre Goinvic, éducateur, avaient redit, lors de l’audience du 2 septembre, leur détermination face à "l’urgence gravissime" de mettre en œuvre des politiques publiques à même d’enrayer le "chaos" à venir.

Le  juge assène ses vérités partisanes 

"Le dérèglement climatique est un fait constant [n'est-ce pas plutôt un phénomène cyclique?] qui affecte gravement l’avenir de l’humanité [projection hasardeuse] en provoquant des cataclysmes naturels [comme en relate constamment l'Histoire] dont les pays les plus pauvres n’auront pas les moyens de se prémunir [idéologie marxisante] et en attisant les conflits violents entre les peuples [catastrophisme], mais aussi l’avenir de la flore et de la faune en modifiant leurs conditions de vie sans accorder aux espèces le temps d’adaptation requis pour évoluer", souligne le jugement du 16 septembre de ce pseudo-scientifique bardé de toutes les certitudes du moment.

Ce juge politique n'hésite d'ailleurs pas à chiffrer les manquements de la France, pourtant "engagée sur le plan international et sur le plan interne" en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation énergétique, et de développement des énergies renouvelables.

"Enlèvement sans autorisation"

Pierre Goinvic et Fanny Delahalle étaient jugés pour vol en réunion

Tout en reconnaissant 
 dans sa décision la réalité du vol d’un objet "d’une valeur fortement symbolique", le juge estime "en même temps" que le décrochage du 21 février par une vingtaine de militants lyonnais (parmi lesquels seuls Fanny Delahalle et Pierre Goinvic ont été identifiés par l’enquête policière, essentiellement sur la base d’échanges sur les réseaux sociaux) a été un geste "manifestement pacifique", représentant un "trouble à l’ordre public très modéré", sur son échelle personnelle de la douleur républicaine.

Le juge s'aligne sur les arguments de la défense.
Lors de l'audience du 2 septembre, il a soutenu la thèse des écologistes radicaux que les objectifs affichés par la France ne seront pas atteints dans trois domaines : le budget carbone d'émissions annuelles de gaz à effet de serre, la part d'énergies renouvelables et la consommation finale d'énergie. C'est en cela que le juge considère qu'il s'agit là d'un "défaut de respect par l'Etat d'objectifs pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital"

De parti-pris, le juge fait état de ses opinions politiques personnelles
"Dans l'esprit de citoyens profondément investis dans une cause particulière servant l'intérêt général, le décrochage et l'enlèvement sans autorisation de ce portrait dans un but voué exclusivement à la défense de cette cause, qui n'a été précédé ou accompagné d'aucune autre forme d'acte répréhensible, loin de se résumer à une simple atteinte à l'objet matériel, doit être interprété comme le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le Président de la République et le peuple"

Et le juge non élu de livrer son sentiment sur "le mode d’expression des citoyens en pays démocratique
 [qui] ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales, mais doit inventer d’autres formes de participation dans le cadre d’un devoir de vigilance critique". Ainsi ce juge s'accorde-t-il clairement l'étoffe d'un législateur en lieu et place des élus du peuple. 

Le magistrat banalise le vol 
en "enlèvement sans autorisation" devant être "interprété comme le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple". ANV-COP 21 ne pouvait rêver d'un meilleur porte-parole...
Le juge lyonnais - anti-capitaliste ? - justifie la non-restitution de l'objet volé par les militants. Il  le  décrit ainsi : un "objet […] de valeur de remplacement négligeable, sans valeur de placement financier et inaliénable". En conclusion, le magistrat prononce donc la relaxe des deux prévenus poursuivis pour vol en réunion. 

"Notre action s’adresse avant tout à la population française, pour qu’elle réalise le vrai décalage entre les discours et les actes, estime Fanny Delahalle, en prosélyte. Nous avons le devoir de faire quelque chose face au gouvernement. Nous espérons que de plus en plus de gens vont se mettre à marcher dans la rue.
Estimant que le vol "ne règle en rien le dérèglement climatique", le Parquet lyonnais a fait appel de cette relaxe : le ministère avait requis une amende de 500 euros et avec sursis.

"C'est une petite graine dans les rouages de la société"

Les décrocheurs Pierre Goinvic (chemise noire) et Fanny Delahalle (chemisier blanc), le 2 septembre 2019 à Lyon (Rhône).

Mais "vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà (Pascal) : la justice est imprévisible et inégalitaire.
Le 13 septembre, le tribunal de Grande Instance d’Orléans a déclaré coupables trois autres décrocheurs d’ANV-COP21, dont les actions vont donner lieu, à ce jour, à 18 procès.
Pour Fanny Delahalle, le jugement lyonnais doit faire date, c'est-à-dire, faire jurisprudence et s'imposer aux autres juges des tribunaux partout en France : "Soit l’Etat est à la hauteur de l’enjeu, soit il continue la répression et à aller dans le mauvais sens de l’histoire" Cette dernière notion qui fait référence à l’idée que l’humanité progresse. L’Histoire n’est plus une succession de phases qui se répétera indéfiniment: elle est le processus par lequel l’humanité va vers un "mieux ", celui que l'Homme devra au progrès scientifique et technique. 

En juin, le tribunal correctionnel de Strasbourg avait relaxé trois " décrocheurs", mais pour une autre raison : le maire avait donné son accord à cette action et le tribunal avait considéré qu'il n'y avait pas d'élément intentionnel. En revanche, six militants poursuivis pour les mêmes faits ont été condamnés à des amendes en juin à Bourg-en-Bresse (Ain). Douze autres procès de décrocheurs sont prévus jusqu'à septembre 2020.

Il suffit d'un juge rouge-Vert et le mode d'action choisi est étiqueté à caractère "manifestement pacifique" et de "nature à causer un trouble à l'ordre public très modéré". Une première dans les procès des "décrocheurs" du président de la République.



L'usage fait de ce portrait exhibé renversé, tête en bas, dans des manifestations publiques sur le climat obéit "à un motif légitime" et, d'ajouter malicieusement, que le fait que la mairie du 2e arrondissement de Lyon (dans une ville gérée par Gérard Collomb, l'ancien ministre de l'Intérieur de Macron) ne se soit pas constituée partie civile jette "un doute sur sa volonté de récupérer son bien".
Le juge encourage la rebellion : "Cela donne envie de continuer"...
La médiatisation de ce procès a amené l'ancienne ministre Cécile Duflot (Oxfam France) a intervenir comme témoin. Depuis le début des décrochages de portraits du président de la République, 18 procès ont été intentés aux militants écologistes. Cinq jugements ont déjà été rendus, pour une seule relaxe.
Engagé dans la désobéissance civile depuis quatre ans, Pierre Goinvic y voit la confirmation de son choix. "Ça donne envie de continuer à défendre cette philosophie non violente". "Cela donne beaucoup d'énergie avant les marches pour le climat prévues ce week-end", abonde Fanny Delahalle. Contacté, le maire du 2e arrondissement de Lyon, Denis Broliquier, n'a pas souhaité commenter ce jugement.

Au niveau national, Cécile Marchand, porte-parole d'ANV-COP21, espère que "les jugements des prochains procès percevront également le tournant historique que nous sommes en train de vivre et reconnaîtront que ce type d’action est nécessaire pour lancer l’alerte et rappeler au gouvernement qu’il faillit à protéger la population face à la menace climatique".

Qu'est-ce que l'"état de nécessité" invoqué par le juge pour légitimer les décrochages
Rarement retenue, cette notion juridique consiste à autoriser une action illégale pour empêcher la réalisation d'un dommage plus grave, mais dans des circonstances exceptionnelles où les pouvoirs publics doivent momentanément s'affranchir de la légalité ordinaire : l'article 16 de la Constitution évoque la théorie jurisprudentielle des circonstances comme l'état d'urgence... La probabilité d'un danger ne permet pas, à elle seule, d'invoquer l'état de nécessité : le danger ne doit pas résulter d'une faute antérieure de la personne , son imminence est nécessaire et l'acte condamnable en situation ordinaire doit aussi être proportionné au danger.. Cette notion juridique est d'ordinaire réservée aux prévenus en état de grande précarité, tel le vol de nourriture par une maman désargentée, par exemple pour nourrir ses enfants affamés.

Le Parquet, qui avait requis à leur encontre une amende de 500 €, fait appel.
"En plein débat sur l'indépendance des magistrats, en voilà un qui n'a pas hésité à prendre ses responsabilités", fanfaronne Me Thomas Fourrey, l'avocat pénaliste des militants qui avait soulevé l'état de nécessité.  "C'est une première et un très bon signal pour nous", s'est félicitée une porte-parole de ANV-COP21. 

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