Valls passera en force contre sa majorité frondeuse et l'opposition méprisée
Des élus de gauche critiquent cette procédure évacuant le débat parlementaire...
Vitupérations de Hollande
à l'Assemblée nationale, le 30 novembre 2005
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Légiférer "à la hussarde" est légal, mais est-ce juste et respectueux? Le gouvernement a indiqué vendredi qu’il va recourir à des ordonnances pour certains aspects du projet de loi sur la croissance. Un texte qui prévoit la déréglementation de certaines professions réglementées (notaires, huissiers, officines de pharmaciens…), et un assouplissement des conditions de travail le dimanche. L’objectif: restituer six milliards d’euros aux Français.
Le fuitage en juillet de la détermination de l'exécutif d’un recours aux ordonnances a réveillé la fronde des parlementaires socialistes et provoqué la colère des syndicats qui voient là un "déni de démocratie".
Qu’est ce qu’une ordonnance?
C’est une procédure qui permet au gouvernement de légiférer sans passer par les représentants du peuple, donc sans débattre du détail du texte, sans risques d'amendements et la pression d'un vote bloqué. "L’article 38 de la Constitution permet au gouvernement de légiférer par ordonnance, après l’accord du Parlement. Le Premier ministre doit préciser le domaine dans lequel il compte prendre des ordonnances, par exemple ici le droit du travail, et la durée de l’habilitation", précise le professeur en droit constitutionnel à l’université Paris I Sorbonne, Dominique Rousseau. "A l’issue d’un vote dans les deux chambres, la loi d’habilitation entrera ou non en vigueur".
Une procédure souvent utilisée?
"Le gouvernement demande souvent à légiférer par ordonnance pour simplifier des textes. Lorsqu’il s’agit de réformer un régime juridique, c’est plus rare.
Dernier exemple en date en 2005. Dominique de Villepin utilise la méthode pour son Contrat nouvelle embauche (CNE). A la tribune de l’Assemblée nationale, le député de Corrèze de l’époque, François Hollande, fustigea cette "méthode détestable", ce renoncement "à la confrontation démocratique et au débat serein"...
En 1967, Georges Pompidou ne disposait que d’une majorité d’une ou deux voix. Le Premier ministre avait eu recours aux ordonnances pour modifier le régime de sécurité sociale. Quelques mois plus tard, il démissionnait après la crise de mai 1968", prévient Dominique Rousseau.
Pourquoi le gouvernement veut-il pourtant passer par cette méthode controversée?
Pourquoi le gouvernement veut-il avoir recours aux ordonnances?
Première raison invoquée par le Premier ministre, "aller plus vite". "Une fois habilité, le gouvernement peut prendre les ordonnances. Celles-ci sont arrêtées en conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat, et entrent en application immédiatement après leur publication." Un moyen d’éviter les va-et-vient d’un texte entre l’Assemblée et le Sénat, et de supprimer la phase de délibérations et d’amendements. "Une réforme peut alors être adoptée en un ou deux mois contre une bonne année par la voie traditionnelle", assure Dominique Rousseau.
L'exécutif décide alors de réduire les pouvoirs du législatif.
Seule nécessité pour le gouvernement: déposer le projet de ratification dans le délai imparti par la loi d’habilitation. "Il n’a pas nécessité à être ensuite voté. Cela montre que l’ordonnance est un instrument dirigé contre le Parlement", ajoute-t-il.
La méthode permet également au gouvernement d’éviter une discussion difficile avec sa majorité. "Manuel Valls préfère visiblement avoir une discussion difficile un bon coup lors de la demande d’habilitation. Il s’évitera ainsi de devoir gérer la colère des frondeurs pendant un an", estime le professeur.
Quel risque pour le gouvernement?
Même s’il dispose d’une majorité dans les deux chambres, le gouvernement prend le risque de ne pas obtenir l’habilitation. "Auquel cas, le gouvernement pourra engager sa responsabilité sur ce texte de loi, c’est-à-dire poser la question de confiance de l’article 49.3. Le débat n’aurait plus pour objet le recours aux ordonnances mais la confiance au gouvernement. Valls forcerait les députés à faire un choix terrible. Cela reviendrait à dire: "Renversez-moi". Ce serait le signe que le gouvernement a perdu sa majorité parlementaire.
Travail dominical
Mardi, le ministre du Travail François Rebsamen s'est déclaré favorable à des "exceptions, des dérogations à ce principe du repos dominical", tout en avouant qu'on ne connaissait pas "très bien le solde" des emplois créés et détruits par le travail dominical, assurant en outre que le débat aurait lieu et que le "véhicule législatif" n'avait pas été "arrêté". Invité à clarifier la position du gouvernement sur cette épineuse question du travail du dimanche, François Rebsamen a répondu : "dans ses grands axes, c'est le rapport Bailly".
Commandé par l'ancien Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, le rapport remis par l'ex-patron de La Poste, Jean-Claude Bailly, en décembre 2013 préconise plus de souplesse concernant l'ouverture des commerces le dimanche, avec notamment la hausse du nombre de dimanches autorisés, qui passerait ainsi de cinq à douze. "On va pas refaire un rapport" qui a été "approuvé dans sa très large majorité, par l'ensemble des partenaires sociaux qui ont eu l'occasion de s'exprimer", a décidé Rebsamen.
Vendredi, le gouvernement a précisé qu'il a choisi de recourir à des ordonnances pour le projet de loi sur la croissance, notamment sur le repos dominical.
La procédure par ordonnances divise jusqu'à la gauche
Tandis que, sans surprise, le patron godillot des députés socialistes, Bruno Le Roux, accueille favorablement le muselage de ses camarades, le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, s'est dit sceptique sur cette méthode, dimanche sur BFM. "Je n'y suis pas tellement favorable", a-t-il lâché. "Parce qu'on n'y gagne pas tant que ça, et il vaut mieux un débat au Parlement (...). De toute façon, même avec les ordonnances, le débat sera au Parlement", a poursuivi le patron de Solférino.
"Je dis que je n'y suis pas favorable, mais on va voir ce que va faire le premier ministre".
Redoutant une généralisation sans concertation du travail dominical, les syndicats et des élus de gauche ont rappelé leur rejet de la procédure.
Les impuissants qui promettaient dialogue et concertation passent à l'épreuve de force.
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