Alain Juppé entend défendre son "identité heureuse" ridiculisée par Nicolas Sarkozy
A Strasbourg, Alain Juppé a tenté de se défaire de l'image de candidat naïf et angélique qu'il s'est collée avec sa notion d'"identité heureuse"
Une reprise de la thématique de la "société du care" de la socialiste Martine Aubry, qui, le 2 avril 2010, était la première secrétaire du PS et lança pour le site trotskiste Mediapart un appel "à une société du bien-être et du respect, qui prend soin de chacun et prépare l'avenir" et fustigeant "le matérialisme et le tout-avoir".
Premier déclaré et donc encore favori de la primaire à droite et au centre pour la présidentielle, le "bonze de Bordeaux" a même décidé de couler ce concept dans le marbre, en en faisant un des axes majeurs de sa campagne, avec l’éducation ou l’économie. Or, depuis qu’il a employé cette expression dans un de ses nombreux livres de campagne, en septembre... 2014, il s’est retrouvé le plus souvent sur la défensive face aux critiques des sarkozystes.
Dans un premier temps très populaire en 1997, il est touché, un mois après son entrée en fonction, par l'affaire de son appartement et de celui de son fils Laurent. Selon le baromètre TNS Sofres pour Le Figaro Magazine, sa cote d'avenir passa de 63 % en juin et juillet à 57 % en août, puis descendit à 40 % en octobre et à 37 % en novembre. Sa défense apparaissait alors rigide, symbolisée par son expression du 6 juillet 1995: "je suis droit dans mes bottes et je crois en la France".
Cette impopularité se renforça avec le 'plan Juppé', projet de réforme de la Sécurité sociale présenté à l’Assemblée nationale en novembre 1995, visant à un allongement de la durée de cotisation de 37,5 à 40 annuités pour les salariés de la fonction publique, afin de l'aligner sur celle du secteur privé déjà réformé en 1993, visant aussi à l'établissement d’une loi annuelle de la Sécurité sociale fixant les objectifs de progression des dépenses maladies et envisageant la mise en place de sanctions pour les médecins qui dépassent cet objectif, l'accroissement des frais d'hôpital, des restrictions sur les médicaments remboursables et le blocage et l'imposition des allocations familiales versées aux familles avec enfants les plus démunies, combiné avec l'augmentation des cotisations maladie pour les retraités et les chômeurs et au gel du salaire des fonctionnaires. Le motif invoqué est le respect par la France des critères de Maastricht, dont le pacte de stabilité et de croissance, qui impose une maîtrise des comptes publics. Le plan permit la réduction du déficit public de 5,5 % du PIB en 1995 à 3,0 % en 1997, mais déclencha un vaste mouvement social dans l'ensemble du pays. Malgré le soutien de la CFDT, les mouvements de grève pour la "défense des acquis sociaux", de novembre et décembre 1995, ont raison de sa détermination sur la réforme des retraites.Mais le gouvernement refuse de revenir sur la réforme de la Sécurité sociale: elle est votée le 30 décembre et permet de légiférer par ordonnances. Désormais, le budget de la Sécurité sociale est voté au Parlement, la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) est décidée, tandis qu'une contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) est créée, un objectif quantifié d'augmentation des dépenses d'assurance-maladie est fixé et les prestations familiales sont gelées. Les mesures prises en matière de fiscalité sont décrites comme un "coup de gourdin fiscal" par Marianne.
D'autres événements affaiblissent encore la popularité du gouvernement Juppé, comme, à partir de mars 1996, l'occupation de l'église Saint-Ambroise à Paris par 300 étrangers "en situation irrégulière", d'origine africaine, demandant leur régularisation. Après avoir été expulsés de l'église Saint-Ambroise, ils errent d'occupation en occupation et finissent par occuper l'église Saint-Bernard. Dix d'entre eux entament alors une grève de la faim qui va durer deux mois. C'est une relance des mouvements de l'immigration par les associations en 1996 et 1998. Finalement, l'évacuation par la police des clandestins squattant l'église Saint-Bernard est décidée len août 1996. Plusieurs d'entre eux sont renvoyés au Mali.
Alors que depuis la déclaration de candidature de Sarkozy, il perd des points, Juppé a décidé de porter des coups, sur tout sujet entamant sa crédibilité. Puisque, du livre de l'ancien chef de Les Républicains, la presse ne retient que le thème de l’identité, le maire de Bordeaux a choisi de marquer sa différence et d'assumer le clivage entre deux lignes opposées sur l’immigration et l’islam, au risque de ne pas répondre aux provocations des musulmans radicaux.
Juppé fait de "l’identité de la France" l'un de ses thèmes centraux
Lors de son meeting du 13 septembre, à Strasbourg, il n'a pas craint de rivaliser avec Nicolas Sarkozy sur ce sujet sensible, réaffirmant à nouveau son objectif d’établir une "identité heureuse", qu’il présente désormais comme "une ambition collective" et non "un état de fait", de peur de passer pour un idéaliste, déconnecté des problèmes du pays.
"Je porte une idée, presque un idéal [non assumé !], celui de l’identité heureuse (…) Je persiste et je signe [droit dans mes bottes?]: oui, l’identité de la France, l’identité heureuse, c’est ce vers quoi je veux conduire le pays", a-t-il lancé devant près de deux milles personnes, réunies dans le palais des congrès de la ville, en disant "non au pessimisme, au déclinisme ou au renoncement". Mais, au-delà des mots et des slogans, qu'entend-il au juste, par "identité heureuse" ? La suite au prochain meeting...
"La France sans la douceur de vivre et le bonheur ne serait plus la France !,
a poursuivi le poète, afin de se démarquer des "déclinologues", qui glorifient la France d’antan. Il est toujours facile de se plaindre du temps présent, de dire 'c’était mieux avant' ", a ironisé le "hard rocker" de Bordeaux, en dénonçant le "fatalisme" existant "chez certaines élites politiques ou intellectuelles". "A les entendre, la France serait condamnée à la médiocrité, au déclin et à la peur", a-t-il polémiqué avec, dans son viseur, les thèses développées par le FN et par les plus droitiers de son parti, tel... Nicolas Sarkozy, ainsi que par des intellectuels, tel Alain Finkielkraut, qui attribuait la crise d’identité que traverse la France à l’immigration dans son ouvrage... 'L’Identité malheureuse' (2013, Stock), paru en octobre 2013.
Alain Juppé prône le communautarisme heureux
Il se dit en effet déterminé à se battre contre ce qu'il dénonce, avec la gauche ,comme "la tentation du repli", traçant, pense-t-il, une perspective pour le pays. "Aujourd’hui, contre tous les prophètes de malheur, contre tous les prédicateurs du déclinisme, je veux redonner aux Français une espérance," ambitionne le septuagénaire. Pas question de mener une campagne anxiogène, dont il accuse N. Sarkozy: pour le "bonze", les peurs des Français à l’égard de l’islam et du terrorisme ne seraient que purs fantasmes. Lui, il se fait fort de recréer de la confiance. "Le rôle d’un responsable politique n’est pas d’en rajouter sur le malheur des temps ou de noircir encore un peu plus la situation. C’est au contraire en montrant que la France a tous les atouts pour repartir de l’avant", a-t-il déclaré à des journalistes avant le meeting.
Son projet de société repose sur la nécessité d’"intégrer" les immigrés, en respectant leur diversité et leurs origines, à condition qu’ils s’inscrivent dans "le partage d’un bien commun" que sont la langue, les valeurs de la République, la laïcité… Un concept qui tranche avec celui d’assimilation, qui a fonctionné avec les migrants chrétiens d'Europe, ainsi que juifs du monde et cher à N. Sarkozy. La détermination de Juppé s'arrête à l'intégration, un modèle qui, selon lui, peut faire co-exister les communautés sans "effacer les origines". Les seules origines solubles dans son "identité heureuse" sont judéo-chrétiennes.
En désaccord depuis deux ans avec les sarkozystes sur son "identité heureuse" qui ne profiterait qu'aux dominants et aux conquérants, Juppé s'attache d'ailleurs à souligner qu’il n’ignore pas les difficultés que traverse le pays à cet égard. "J’ai une vision claire de la France et de ce que vivent et ressentent les Français", a-t-il assuré, en citant "l’aggravation du chômage", "la montée de l’insécurité" ou "l’affaiblissement de l’école républicaine", autant de constats qui plombe le rêve de tolérance du poète "fier de la tradition d’accueil" de la France.
La "dousseur de vivre" passe par la maîtrise des flux migratoires"...
Les immigrés ont "le devoir" de faire la démonstration d'"une volonté véritable et sincère de s’intégrer à la communauté nationale". Et sans "effacer ses origines", ce n'est pas gagné...
Il pose d'ailleurs " trois conditions". La première consiste à "retrouver la maîtrise des flux migratoires", avec la mise en place d’un système de quotas, votés par le Parlement, qui définirait chaque année les capacités d’accueil de la France par pays et par professions, une réduction de la durée d’examen des demandes d’asile ou un durcissement des conditions d’attribution du droit du sol… Beaucoup de sémantique, donc, pour distinguer les programmes des deux candidats.
Deuxième condition: "Refuser avec la plus grande fermeté les tentations communautaristes." Et comment, s'il vous plaît, en renonçant à l'assimilation, fonction -notamment- de l'école ?
Et enfin, "la volonté de partager et de transmettre un bien commun, sans lequel il n’y a pas de nation". "Un bien commun": quezaco ?
Quant à l’islam, Juppé juge que la religion musulmane "doit trouver les moyens de s’accorder avec la République". S’il arrive à l’Elysée, l’ex-premier ministre promet notamment de proposer un accord aux représentants du culte musulman, afin d’aboutir à l’adoption d’une charte de la laïcité. Quels sont les grands axes de cette charte? Depuis 2004, la "charte de la diversité" incite les entreprises à garantir la promotion et le respect de la diversité dans leurs effectifs et, à l'accueil des services municipaux de certaines villes de gauche ou à la télévision, ses effets sont extrêmement "dépaysants". Quant à la "charte de déontologie" du gouvernement Ayrault, elle a volé en éclats avec les Thomas Thévenoud (incapable d'"effacer" sa phobie administrative) et autres Jérôme Cahuzac (ministre matamore du Budget dans le public , mais fraudeur fiscal dans le privé) !
Reste à savoir si ce discours d’ "espérance" de Juppé trouvera l’écho espéré auprès des électeurs de la primaire ébranlés comme l'ensemble des Français par la barbarie des musulmans, tous et toutes susceptibles de devenir des "radicalisés récents", des "déséquilibrés" appréciés de leur boulangère. Pour l’instant, même si l’écart se resserre avec M. Sarkozy, il reste en tête dans les sondages de premier tour et gagnant dans ceux de second tour.
Avant qu'il ait tenu ses propos de Bisounours, une majorité de Français avait encore le sentiment que le maire de Bordeaux pourrait être la personnalité la plus capable de garantir leur sécurité face à la menace terroriste, selon un sondage IFOP pour Le Journal du dimanche; 58 % disent lui faire confiance contre 50 % à Nicolas Sarkozy. La marge d'erreur est d'au moins cinq points...
Renforçant la conviction que c'est Sarkozy qui arrivera premier, Le Monde y va de son commentaire partisan et tient, selon lui, la "preuve" recherchée par le JDD (groupe Lagardère: Paris Match, Europe 1 ou Hachette): "à preuve que ce n’est pas forcément ceux qui tiennent les discours les plus durs qui paraissent les plus crédibles." Partant de ce postulat, Alain Juppé fait le pari que son discours optimiste paiera : "Car je ne connais pas de campagne victorieuse dans la tristesse ou la morosité."
Alain Juppé cherche aussi l' "intégration" des "déçus du hollandisme" et du Front National
"Homme de droite mais ouvert", Alain Juppé a déclaré, vouloir "rassembler" la droite et le centre, mais aussi "au-delà", tendant la main aux "déçus du hollandisme" et du... FN.
"S’il y a des déçus du hollandisme – et en ce moment ils sont de plus en plus nombreux –, eh bien qu’ils viennent. S’il y a des électeurs du Front national qui se rendent compte que le programme de ce parti nous amène dans le mur, eh bien qu’ils viennent. Voilà mon état d’esprit". Juppé n'est pas seulement ouvert, mais décomplexé.
Juppé campe dans le registre du sentiment: signe de ramollissement ?
"La France est malheureuse aujourd’hui parce que le quinquennat de Monsieur Hollande est un naufrage", a poursuivi le maire de Bordeaux, le dimanche 11 septembre sur France 2, assurant aborder ces primaires "avec beaucoup de tranquillité" et croire que "cela va marcher" et rappelant "au passage" que le scrutin des primaires est ouvert à "tous les citoyens".
L’ancien premier ministre affiche aussi l'espérance que "le code de bonne conduite [qu’il a] proposé soit respecté : pas d’attaques personnelles naturellement, des primaires tout à fait transparentes (..) et évidemment le soutien de ceux qui n’auront pas gagné à celui qui aura gagné."
A la question de savoir si cette compétition interne pouvait tourner au "tout sauf Sarkozy", le maire de Bordeaux a botté en touche : "J’aimerais bien que ce soit 'tous pour Juppé'." Quant à Sarkozy, c'est "Tout pour la France"...
Quant à l’affaire Bygmalion, pour terminer et pour la bonne bouche, comme dans tout entretien hostile qui se respecte, le condamné (à 18 mois de prison avec sursis et dix ans d'inéligibilité, en janvier 2004, pour prise illégale d'intérêts) n’a pas souhaité commenter "les décisions de justice ou les procédures judiciaires": "nous avons une justice indépendante, qu’elle fasse son travail".
Juppé assène ses coups sur ses jeunes rivaux, de droite comme de gauche, sur son créneau
Juppé a raillé la proposition de Bruno Le Maire de supprimer l’Ecole nationale d’administration (ENA).
Supprimer l’ENA, c’est "faire du neuf avec du très vieux", a estimé le septuagénaire, bien que cette mesure préconisée de longue date n'ait encore jamais été amorcée par les hommes politiques passés par Matignon. La première demande de suppression avait été formulée "par Jean-Pierre Chevènement dans les années 70", a précisé Juppé.
"D’abord, il ne faut pas expliquer qu’on va faire autrement de la politique en reprenant les recettes les plus anciennes qui soient en politique", a lancé le recycleur de la "société du care" du PS ou prend le contre-pied d'Alain Finkielkraut, lors d’une conférence de presse à Strasbourg, à quelques mètres des bâtiments de l’ENA, alors qu’il était interrogé sur la façon de "redonner confiance aux Français".
"Je ne ferai pas de démagogie anti-[haut] fonctionnaire", a polémiqué l'ancien énarque (1970-72), comme le jeune Le Maire (1996).
"Ce qu’on sait de Macron, c’est qu’il n’est pas loyal"
Invité à dire ce qui le distingue de l’ex-ministre Emmanuel Macron, A. Juppé a répondu : "Que propose M. Macron ? Quand je le saurai, je pourrai répondre à votre question. Pour l’instant, on ne sait pas qui il est", quelles sont ses "idées " et "valeurs".
"Ce qu’on sait de lui, c’est qu’il n’est pas loyal, c’est qu’il vient de poignarder, comme Brutus, Hollande dans le dos, et d’autre part, on sait qu’il n’est pas socialiste. Pour le reste, mystère", a asséné l'ancien ministre de Jacques Chirac.
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