Dylan, un "poète" que Fleur Pellerin a pu "lire" ! ...
Prix Nobel 2014, Patrick Modiano peut-il s'enorgueillir de ce voisinage ?
L’Académie suédoise a choisi de récompenser le musicien et... "poète" américain, 75 ans, "pour avoir créé […] de nouveaux modes d’expression poétique dans le cadre de la grande tradition de la musique américaine", a estimé la secrétaire générale de l’Académie suédoise, Sara Danius, professeur de littérature à l'université et spécialiste de Balzac, Stendhal, Proust ou James Joyce, dont aucun n'a été récompensé, à la différence de... Anatole France, Romain Rolland, Anatole France, Roger Martin du Gard ou André Gide.
L’Américain, premier musicien à être récompensé par l’académie depuis la création du prix de littérature en 1901, succède à la Biélorusse Svetlana Alexievitch. Il faut bien une femme tous les trois ans. Il faut toutefois remonter encore à 2009 et à la ô combien célèbre, Herta Müller, une Roumaine, ou à Doris Lessing (2007), militante marxiste, anticolonialiste et anti-apartheid, représentative de l'orientation du jury Nobel. A ceci près qu'en 2001, lors d'une conférence au Festival du Livre d'Édimbourg, elle tacla les féministes qui l'avaient pourtant célébrée des années plus tôt pour 'The Golden Notebook", les qualifiant de "femmes devenues horribles avec les hommes".
"Bob Dylan écrit une poésie pour l’oreille"
C'est une justification fournie par S. Danius, membre du comité directeur de l'Académie Royale des Lettres de Suède depuis 2010, affirmant à la télévision publique SVT que les membres de l’académie avaient manifesté "une grande cohésion" dans ce choix. "Il s’inscrit dans une longue tradition qui remonte à William Blake" [sic], le célèbre poète anglais mort en 1827, a-t-elle osé, citant Visions of Johanna et Chimes of Freedom.
Si William Blake méritait mieux, Dylan s'inscrit en revanche indiscutablement dans la poésie surréaliste de la "beat generation" qu'il synthétise dans son œuvre, avec l’austérité militante du folk, la complainte du blues, l’énergie révoltée du rock et la chronique de la vie quotidienne propre à la country. Ainsi doit-il beaucoup à Allen Ginsberg (activiste pacifiste contre la guerre du Viêt Nam, les discriminations sexuelles ou politiques avec les communistes) et Jack Kerouac (prose spontanée, drogues et grands espaces), célébrés par la communauté communauté beatnik.
"Il est extrêmement doué pour la rime. C’est un 'sampleur' [échantilloneur] littéraire qui convoque la grande tradition et peut marier de façon absolument novatrice des musiques de genres différents, des textes de genres différents." Appréciation pédante qui mériterait un début de justification et d'illustration par l'exemple...
A l’occasion d’une cérémonie de remise de trophées, organisée en 2015, l’auteur-compositeur était revenu sur ses interprétations. Présentée par l’Académie suédoise comme une "icône", la frêle légende du folk, 1m71, sortait alors son 37e album, en mars, Fallen Angels.
"Les chansons ne sont pas apparues par magie, je ne les ai pas fabriquées à partir de rien. J’ai appris à écrire des paroles en écoutant des chansons folk et je les ai jouées (…). Je n’ai rien chanté d’autre que des folk songs et elles m’ont ouvert le code pour tout ce qui est de bonne chasse, tout ce qui appartient à tout le monde."
A cette occasion, il avait aussi défendu sa voix : "Mes critiques disent que je mutile mes mélodies, que je rends mes chansons méconnaissables. Vraiment ? (…) Sam Cooke [chanteur de rhythm’n’blues à la voix d’ange] a répondu ceci, quand on lui a dit qu’il avait une belle voix : 'C’est très gentil à vous, mais les voix ne doivent pas être jugées en fonction de leur joliesse. Elles ne comptent que si elles vous convainquent qu’elles disent la vérité'."
Un prix politique pour des textes politiques
Le chanteur engagé a bénéficié de pressions de son milieu sur le Nobel
Dylan, avec la chanteuse Joan Baez |
Depuis des années, le nom de Bob Dylan revenait souvent mais peu d’experts s’attendaient à ce que l’académie cède et récompense un chanteur aussi marqué par son engagement. Né le 24 mai 1941, à Duluth, dans le Minnesota, l’artiste a grandi dans une famille juive de la classe moyenne. Dans sa jeunesse, comme la plupart des adolescents américains, Bob Dylan tombe sous le charme du rock avec Elvis Presley et Jerry Lee Lewis avant de former son propre groupe.
En 1959, étudiant à l’université de Minneapolis, il découvre les pionniers du blues, du country et du folk : Robert Johnson, Hank Williams et Woody Guthrie. En 1961, il abandonne ses études et déménage à New York pour fréquenter la scène musicale embryonnaire de Greenwich Village. C’est à cette époque que Robert Allen Zimmerman adopte son nom de scène Bob Dylan actuel, qui sera aussi le titre de son premier album. Sorti en 1962, c'est est un fiasco.
La percée se produit un an plus tard avec l’album The Freewheelin’ Bob Dylan et ses deux titres folk de protestation : Blowin’ in the Wind, chanson pacifiste d'un objecteur de conscience qui sera un hymne des années 1960 contre la guerre au Vietnam, et une chanson écrite pendant la crise des missiles de Cuba d'octobre 1962, A Hard Rain’s A-Gonna Fall (Une forte pluie va tomber), assez peu personnelle puisque fortement inspirée de la chanson traditionnelle écossaise, Lord Randall.
En 1963, il participe à la marche sur Washington autour de Martin Luther King.
Vers la fin des années 1960, il se détache de plus en plus des fans de folk et des milieux de gauche, refusant d’être l’étendard des contestations et des luttes de l’époque, publiant un recueil de poésie en 1971, Tarantula, et s’essayant même à la peinture et au cinéma.
Depuis les années 1980, sa soi-disant créativité s’est tarie, malgré des albums remarquables (Oh Mercy en 1989, Time Out of Mind en 1997), alors qu'il s'est converti au christianisme, et le premier volume d’une autobiographie, Chroniques (2004), dont on attend toujours la suite. Dylan donna de "O Little Town of Bethlehem" l'interprétation d'un "vrai croyant", selon ses propres termes" : "Well, I am a true believer."
Showman infatiguable - un "deal" avec le ciel, selon lui - quoiqu’inégal, il parcourt la route sans relâche – il est ces jours-ci à l’affiche du Desert Trip Festival, en Californie, où il rejouera vendredi 14 octobre en première partie des Rolling Stones, une semaine après un premier concert-événement: à 75 ans, chacune de ses apparitions est vécue comme ultime par ses idolâtres.
Artiste adulé du public folk et des milieux contestataires, l'homme est désabusé et refusa d’assumer ce rôle de musicien engagé, préférant inciter ses admirateurs, comme il l’exprime dans certains de ses textes (Don't follow leaders / Watch the parkin' meters), à penser par eux-mêmes et à renoncer aux gourous, quels qu’ils soient. S'il recherche le contact avec le public, pensant avoir un message à faire passer, il a fui le statut d'idole du public rock et a refusé de se faire enfermer dans son passé, de se laisser fossiliser. En revanche, les honneurs ne le laissent pas de marbre.
"Un pouvoir poétique extraordinaire" ?
Toujours présent là où la gauche radicale l'attend, il a aussi reçu en 2008 le prix Pulitzer, qui récompense traditionnellement des travaux... journalistiques. Il avait été distingué, selon les mots du jury, "pour son profond impact sur la musique populaire et la culture américaine, à travers des compositions lyriques au pouvoir poétique extraordinaire". La presse en est sortie grandie...
Bien qu’il n’ait signé qu’un petit nombre de grands albums après les années fécondes 1965-1975, il reste, au même titre que le tandem Lennon-McCartney, l’un des chanteurs-auteurs-compositeurs les plus honorés de la musique, récompense du peuple de gauche à son militantisme.
C’est le premier Américain à obtenir le prix Nobel de littérature depuis Toni Morrison, en 1993.
Le prix Nobel s’accompagne d’une récompense de huit millions de couronnes suédoises, 822.000 euros, que Bob Dylan, de son vrai nom Bob Zimmermann, ne manquera pas de redistribuer au profit d'une quelconque "bonne cause": le peuple palestinien ?
Médaille de la Liberté, mai 2012 |
Le dernier opus de Bob Dylan, en mai 2016, Fallen Angels, composé de reprises de Frank Sinatra. Le Nobel récompense un créateur...
En 2012, le président Barack Obama avait dit de lui qu' "il n'y a pas de plus grand géant dans l'histoire de la musique américaine." Il n'y avait pas vu un géant de la littérature.
Une éponge de son époque, comme de la musique populaire du monde.
En 2013, le chanteur folk a été décoré par Aurélie Filippetti, ministre de la Kultur de Ayrault.
Auteur, compositeur et interprète, il a influencé les plus grands noms du rock, de David Bowie à Bruce Springsteen en passant par Tom Waits et Hugues Auffray. Les textes de ses chansons, étudiés dans plusieurs universités anglo-saxonnes orientées, lui valent d'être régulièrement nommé pour le prix Nobel de littérature. Comme ça, c'est fait. Pourtant cette décision socialiste avait fait débat au printemps 2013, certains, à la Grande Chancellerie de l'ordre, estimant qu'il ne méritait pas ce titre en raison de ses positions antimilitaristes et de sa consommation de drogue.
Cette icône américaine de la contre-culture est en effet un habitué des polémiques, notamment pour son militantisme radical en faveur des droits civiques. Les jurés de l’institution suédoise ont pris là une décision historique, renversante, en suscitant le buzz. C’est la première fois qu’un "chanteur" reçoit cette distinction alors que d’immenses écrivains comme Philip Roth ou Don De Lillo attendent toujours leur tour.
Dylan n’est pas étiqueté "écrivain", encore moins "poète" et comme l'académie n'a pas le pouvoir d'en faire un maître de la littérature, il restera un artiste de divertissement, fût-il politique, et digne du "On n'est pas couché" de Ruquier.
Si le statut d’écrivain se gagne par le bon usage des mots, des images, de la pensée et des émotions, Brassens aurait pu être honoré avant lui, s'il n'avait été "gaulois"...
Il ne reste plus aux académiciens suédois qu'à honorer les morts, tel l'auteur du Coran, ou les poètes de notre temps, comme le délicat rappeur Orelsan, relaxé par le tribunal de Versailles bien qu'auteur du poétique "Ferme ta gueule ou tu vas te faire marie-trintigner"...
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