UDI-Modem, recomposition à hauts risques au centre
Au centre, l'état des forces est à l'avantage de Jean-Louis Borloo et de l'UDI.
Mais François Bayrou n'hésitera pas à lancer une OPA.
Fin août, le président de l'UDI, Jean-Louis Borloo, a estimé sur TF1 que la famille centriste va parvenir à se réunir, en citant le président du Modem François Bayrou, "le dernier qui manque" à l'approche des élections européennes et municipales. Depuis, après des années de dénigrements réciproques, les deux centristes se gardent bien de toute déclaration susceptible de compromettre leurs Pacs. Pour l'heure, Bayrou nie toute animosité envers Borloo.
L'alliance promet d'être belle avant de virer à l'aigre, car François Bayrou entend bien prendre l'ascendant sur Borloo. Pour sortir de son mortel isolement, le Béarnais a une carte à jouer et il entend bien la jouer. Il a déjà entamé un marathon politique qui laisse Jean-Louis Borloo sur place.
"Je n'ai pas une mentalité de force d'appoint," a prévenu Bayrou
"Tu as une occasion en or de réaliser une OPA sur le centre !" glissa Robert Rochefort au président du MoDem, en août, et François Bayrou se déclara désormais "critique à l'égard du gouvernement". Il venait d'engager avec Borloo une partie de poker menteur. "Un excellent joueur de poker comme lui ne peut penser qu'à ça, juge Maurice Leroy, son porte-parole aux présidentielles de 2002 et de 2007 - et son sparring-partner sur les tapis verts.
La captation de la totalité de l'héritage centriste vise à servir une nouvelle, et certainement dernière, candidature, en 2017.
La présidentielle, "l'unique élection qui permette de changer le pays", a toujours été son ultime horizon. "Il veut y aller, quitte à devenir le Laguiller du centre !" renchérit Leroy, ex-bayrouiste, aujourd'hui borlooiste.
Selon le député UDI Yves Jégo, l'ancien ministre de l'Education nationale relativise ses échecs successifs: "il a quelque chose que personne n'a chez nous : 5 millions de Français qui ont voté pour lui".
Sarnez conteste déjà la légitimité de Borloo: "On a la marque et Bayrou est l'incarnation du centre." Si Bayrou assure s'être défait de cette obsession élyséenne, il sait aussi que les centristes de toutes obédiences auront besoin de se mettre d'accord sur un candidat et d'inscrire dans le marbre son mode de sélection.
Le multirécidiviste Bayrou tient la corde. "Je n'ai pas une mentalité de force d'appoint", lâche le président du MoDem, dans un instant de franchise qui en dit long sur ses intentions: "truster" le centre et le représenter -sans partage- dans quatre ans. Bayrou n'a jamais supporté de ne pas être n°1.
Il a imaginé la forme d'une primaire à la sauce béarnaise
Réunir les militants dans un grand stade et compter les mains levées. L'agrégé de lettres y trouvera sans risque la consécration d'un sacre, si populiste soit-il... Aux premières réunions de projet de la "joint-venture" centriste, il a proposé de la baptiser "Udem". Plus MoDem qu'UDI.
Pas dupe, l'équipe Borloo a dit niet...
Pour l'heure, le MoDem fait encore pâle figure face aux milliers d'adhérents de l'Union des démocrates et indépendants (UDI), à sa soixantaine de parlementaires et à son aisance financière. Le parti est contraint de louer la moitié de son siège dans le VIIe arrondissement de Paris, de licencier le chauffeur historique de son président, et n'a quasiment plus d'élus.
Mais le David a un gros avantage pour se transformer en Goliath: "On a la marque et François est l'incarnation du centre". Marielle de Sarnez, fidèle de la première heure, a lâché le morceau, tandis que Borloo, par contraste, n'a jamais été clair dans son orientation. "Ce ne sont pas les mêmes, souligne un ami de Bayrou. L'un est constant et tenace ; l'autre, cyclothymique et velléitaire."
Reconstitution de ligue dissoute
Les premières universités d'été de l'UDI, à Poitiers, à la mi-septembre, n'ont pas clarifié les lignes. "C'était un bon Borloo le samedi, un très mauvais le dimanche", soupire un sénateur déconcerté du Nouveau Centre. Les ralliés de l'ancien maire de Valenciennes restent perplexes. Ses volte-face à la présidentielle et à la mairie de Paris l'ont privé d'allégeances indéfectibles. "Ce rapprochement est possible parce que beaucoup, à l'UDI, veulent un vrai chef et que François a l'étoffe d'un leader", soutient une proche de Bayrou. Certains de ses anciens compagnons de route esquisseraient volontiers un rapprochement avec lui, à la recherche d'une stabilité.
Hervé Morin a déjà laissé de côté rancune et reproches. "On s'est revus et on s'est reparlé comme si on s'était quittés la veille. Il y avait de la curiosité et du plaisir", raconte le président du Nouveau Centre. Une même passion équestre a été le prétexte à un appel de Bayrou en plein coeur de l'été. Et Morin, tout à sa volonté de ne pas se faire doubler par Borloo, n'a pas abrégé la conversation...
Voici déjà Bayrou au centre du jeu.
Reconstitution de ligue dissoute.
Les deux hommes fixent ensemble des éléments de langage pour la "clarification", que l'ex-député colporte ici et là en gage de sa bonne foi de converti : Bayrou est désormais un opposant à François Hollande, qu'on se le dise. Dans les faits, après sept ou huit entretiens avec le président - c'est son propre décompte - il ne lui a plus parlé "depuis quatre mois".
Hervé Morin, qui n'excluait pas une nouvelle tentative en 2017, ne voit dorénavant rien de "dramatique" à soutenir François Bayrou. Tout, plutôt que d'envisager son ennemi juré Jean-Christophe Lagarde, député maire de Drancy (Seine-Saint-Denis), en porteur d'un flambeau élyséen.
Il n'a évidemment pas échappé à Bayrou que ce petit monde se déteste cordialement et qu'il pourrait en tirer un avantage certain jouer de ces rivalités. "Je les ai tous vus, se félicite-t-il, à l'exception de Jean-Christophe Fromantin." La précision n'est pas anodine : le député maire de Neuilly (Hauts-de-Seine) caresse aussi un rêve présidentiel. Bayrou a identifié tous ses rivaux, y compris les moins nuisibles, pour mieux les neutraliser.
A Pau, Bayrou n'a pas le droit de caler au démarrage
Il pourrait gagner par KO ou par abandon, aussi. Mercredi 11 septembre: devant quelques convives, Jean-Louis Borloo se présente en berger d'un centre enfin réunifié, l'aboutissement d'une "mission" qu'il s'est assignée en fondant l'UDI. A 62 ans, va-t-il passer la main? "Cela ne signifie pas que j'aie la tentation de Venise", précise-t-il. Si l'exil n'est pas imminent, la lassitude perce, selon les partisans de Bayrou qui assurent que le retour de Bayrou, à 62 ans également, serait une opportunité pour lui de laisser une boutique qu'il n'aurait plus envie, selon eux, de tenir. L'avocat serait débarrassé d'un marigot de jeunes ambitieux qu'il ne parvient pas à dompter et dont Bayrou aurait vite fait de régler leurs comptes.
Bayrou n'est pas homme à s'encombrer.
Pour cette bataille municipale, François Bayrou a été très sensible au soutien public d'Alain Juppé. Pas seulement parce qu'il partage avec lui un voisinage aquitain et une amitié de longue date, mais parce qu'il a déjà bâti dans un coin de cerveau une suite à sa main-mise sur le centre : à défaut de l'emporter en 2017, s'imposer en Premier ministre.
Il a espéré ce lot de consolation avec Hollande, il veut y arriver avec Juppé à l'Elysée. Quand on évoque l'hypothèse, Bayrou ricane, regard fuyant, et ne veut rien "confirmer", "infirmer", ni "valider". Plus tacticien que stratège, il manoeuvrera à vue, au gré des flots.