"Les relations entre M. Ferrand et la direction des Mutuelles sont toujours très étroites"
Richard Ferrand mêle depuis vingt ans vie publique et affaires privées
Les révélations du journal Le Monde sur le ministre de la Cohésion des territoires (Aménagement du Territoire, à la suite de l'inutile Jean-Michel Baylet), ont suscité une enquête de l'association anti-corruption FRICC (Front républicain d'intervention contre la corruption), née de quatre membres issus de l’association Anticor, à la suite du Barçagate (juin 2015, usage par Manuel Valls d'un Falcon de l'Armée de l'air pour assister en famille à la finale de la Ligue des champions à Berlin: selon Libération, l'association devait porter plainte pour détournement de fonds publics). Celle-ci a demandé aux auteurs de l'enquête de presse (Jérémie Baruch, Yann Bouchez, Anne Michel, Alexandre Pouchard et Maxime Vaudano) de répondre aux questions des internautes. En quoi cette affaire est illégale ou immorale ? Est-elle vraiment similaire aux affaires Fillon et Le Roux ? Richard Ferrand doit-il démissionner ?
Billy : Bonjour, M. Ferrand ne fait pour le moment l’objet d’aucune enquête ou de dépôt de plainte. Même si sa compagne a fait une belle affaire, les Mutuelles de Bretagne semblent aller dans son sens. Pourquoi devrait-il démissionner sur une simple publication d’articles de presse ?
Premièrement, Le Monde n’a jamais appelé à la démission de M. Ferrand. Effectivement, les dirigeants des Mutuelles de Bretagne défendent Richard Ferrand depuis une semaine (et la parution du Canard enchaîné de mercredi dernier). Et pour cause, notre enquête montre justement que les relations entre Richard Ferrand et la direction des Mutuelles sont toujours très étroites. Joëlle Salaün, l’actuelle directrice générale, doit son poste à M. Ferrand dont elle était auparavant l’adjointe. Son compagnon a également été le collaborateur du député Ferrand. Enfin, ce dernier [le député] a défendu, dès 2012, les intérêts des Mutuelles en portant une proposition de loi qui leur était favorable.
brestois : Emmanuel Macron et Edouard Philippe vont-ils intervenir dans l’affaire Ferrand avant les législatives, ou bien laisseront-ils les électeurs décider par eux-mêmes de l’avenir de M. Ferrand au gouvernement, qui doit dépendre du résultat de l’élection ?
Pour l’instant, Edouard Philippe a déclaré que les élections législatives seront "le juge de paix" pour Richard Ferrand. Le chef du gouvernement a par ailleurs renouvelé aujourd’hui sa confiance envers le ministre. "La question posée reste politique, puisqu’il n’y a aucune procédure judiciaire ouverte à son encontre", a fait savoir Matignon au Monde.
Ludovic : Combien d’articles à charge contre M. Ferrand allez-vous encore sortir alors que rien d’illégal ne lui est reproché ?
Effectivement, la justice a considéré qu’il n’y avait a priori rien d’illégal dans les faits rapportés par le Canard enchaîné. Mais notre enquête apporte des éléments nouveaux. Le rôle des journalistes n’est de toute façon pas celui des juges. Nous estimons en revanche que ces informations étaient d’importance et qu’il était nécessaire de les porter à la connaissance du public. D’autant plus que la moralisation de la vie publique est l’un des axes forts du début de la présidence de M. Macron.
PL : Je ne comprends pas cette "affaire" : Il existe des milliers d’entrepreneurs ayant créé une SCI et qui font payer un loyer à leur entreprise pour des locaux qui leur appartienne. Où est l’illégalité voir[e] l’immoralité dans cette histoire étant donné qu’il n’y a pas d’argent public en jeu ?
D’une part, les Mutuelles de Bretagne n’appartiennent pas à Richard Ferrand, il n’en était que le directeur général. Il s’agit d’un organisme à but non lucratif, au service de ses adhérents. Le problème n’est de toute façon pas le principe de la location. La question est de savoir s’il y a eu favoritisme dans le choix de l’offre de la compagne de Richard Ferrand par les Mutuelles de Bretagne.
Pierre : Cet argent n’est-il pas de l’argent privé ? Pourquoi beaucoup de personnes parlent de la loi sur la moralisation de la vie publique dans ce cas, alors qu’il ne s’agit pas de l’argent de l’Etat ? Il s’agit certes d’une grosse somme mais à ce moment-là tous les candidats de tous les partis se présentant aux législatives ont été employés par quelqu’un (ou une entreprise) dans le privé ou le public et se sont donc enrichis d’une certaine somme… En quoi cette affaire est proche de celle de François Fillon sachant qu’il ne s’agit pas d’argent public ?
L’argent des Mutuelles de Bretagne n’est pas public, mais il ne s’agit pas non plus d’intérêts totalement privés, puisqu’une mutuelle est au service de ses adhérents. En outre, les nouveaux éléments de notre enquête mettent en lumière l’embauche par Richard Ferrand d’un assistant parlementaire (payé par l’Assemblée nationale) non déclaré à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et l’attribution par le Conseil départemental du Finistère (dans lequel Richard Ferrand était élu) de subventions à des projets auxquels participait son ex-femme. Il s’agit dans les deux cas d’argent public.
Pingouin75 : Vous dites que la Mutuelle de Bretagne est au service de ses adhérents. L’est-elle comme devrait l’être toute entreprise ou y a-t-il un statut particulier pour les mutuelles ? Les Mutuelles de Bretagne sont régies par le code de la mutualité. Ce dernier impose notamment le principe d’égalité envers les adhérents de la mutuelle : "un adhérent, une voix". Ce code oblige par ailleurs à une gestion très stricte des finances de la mutuelle, dans l’intérêt des adhérents. Elle ne fonctionne donc pas du tout comme une entreprise, à la recherche de profits.
Grégory : On entend beaucoup de choses sur cette histoire mais au-delà du côté moral, la transaction immobilière effectuée était-elle légale ou non ? Merci de votre réponse.
Les juristes ne sont pas tous d’accord entre eux concernant la légalité de cette affaire. La notaire des Mutuelles de Bretagne estime que tout a été fait dans les règles. En revanche, l’avocat qui a effectué la vente, parle "d’enfumage" et pense que "le dossier mériterait des investigations complémentaires". [auxquelles le Parquet national financier et le Parquet de Brest - dépendants du ministre de la Justice, François Bayrou, qui ne se mouille pas - se refusent de procéder].
Cromorne : Faut-il s’attendre à d’autres révélations dans quelques heures ? Nous n’en avons aucune idée. Mais le Canard enchaîné paraît demain…
Phil : Pourquoi la Mutuelle de Bretagne n’a tout simplement pas acheté elle-même les locaux ? Et pourquoi elle a dû payer les travaux alors que c’est au propriétaire de payer les travaux normalement.
Les Mutuelles de Bretagne ont fait savoir qu’elles avaient toujours privilégié l’investissement humain à l’investissement immobilier. C’est pourquoi elles n’ont pas souhaité acheter elles-mêmes les locaux. Le fait de payer les travaux d’aménagement faisait partie du "deal" avec la SCI de Sandrine Doucen, la compagne de Richard Ferrand [Une SCI qui n'était pas encore constituée au moment de la transaction: un élément d'illégalité...]. Les Mutuelles de Bretagne gèrent de nombreux établissements, mais ne sont propriétaires que de deux immeubles : leur siège, acquis récemment, et une résidence sociale [Le Poan Ben, établissement d'hébergement pour personnes âgées: EHPA, soit 24 studios de la résidence réservés pour moitié à des personnes âgées encore autonomes, et l'autre moitié à des jeunes en parcours de formation et d'insertion professionnelle. Un établissement qui n'est pas sans but lucratif (devis sur demande) et qui fonctionne en réseau avec l'UDSMA, Mutualité Française d'Aveyron, d'où est originaire Ferrand], à Morlaix (Finistère).
Jean-Paul B. : Selon les dires de l’avocat qui a "supervisé" à l’époque la location du bâtiment par la SCI, détenue à 99 % par la compagne de M. Ferrand, à la Mutuelle dont ce dernier était le directeur, un article du code régissant les Mutuelles aurait été violé, ce qui devrait entraîner l’ouverture d’une enquête sur la légalité de la transaction. Qu’en est-il du point soulevé par cet avocat lors de son entretien avec un journaliste du Journal Du Dimanche ?
L’article en question (L114-34) précise qu’un commissaire aux comptes doit obligatoirement intervenir avant la conclusion d’une convention s’il y a un risque de conflits d’intérêts pour un dirigeant de mutuelle. Ce qui n’a pas été le cas au moment de choisir l’offre de la SCI Saca, détenue par Sandrine Doucen, la compagne de Richard Ferrand.
Richard Ferrand se défend d’avoir été en conflits d’intérêts, car il n’avait à l’époque pas de lien juridique ou patrimonial avec Mme Doucen (ils n’étaient pas encore pacsés à l’époque).
Bau25 : Peut-on comparer cette affaire, avec les affaires Fillon et Le Roux. Y a t il des similitudes ?
Dans les affaires Fillon et Le Roux planait le soupçon d’emplois fictifs. Ce n’est pas le cas dans l’affaire Ferrand, à qui il est plutôt reproché de potentiels conflits d’intérêts et favoritismes.
Olivier : En admettant – et ce n’est pas facile – que l’opération soit effectivement économiquement sensée pour les Mutuelles de Bretagne, comment M. Ferrand justifie-t-il le choix de sa compagne pour monter une SCI plutôt que n’importe quel autre tiers ?
La notaire des Mutuelles de Bretagne a expliqué qu’elle avait eu vent de la disponibilité de ces locaux rue George-Sand, et l’a portée à la connaissance de Richard Ferrand. Les Mutuelles étant à la recherche d’un nouveau centre de soins, il a saisi l’occasion au bond en signant un compromis de vente. Quelques mois plus tard, c’est finalement la SCI de sa compagne qui s’est substituée à lui pour acheter les locaux.
Ibnkbu : J’ai entendu dire ce matin sur RMC que 4 journalistes du Monde sont en train de travailler sur ce sujet. Pouvez vous confirmer ou infirmer ?
Nous étions cinq à travailler sur ce sujet : Anne Michel, Alexandre Pouchard, Yann Bouchez, Maxime Vaudano et Jérémie Baruch.
Nielda : A propos de l’emploi d’attaché parlementaire occupé par le fils de M. Ferrand,
ce dernier a indiqué que la rémunération était égale au smic. Or, il semble que la rémunération a été de "1.266,16 euros net (…) pour 35 heures." Soit l’équivalent d’un salaire mensuel supérieur à 5.000 euros. Qu’en est-il ?
Le cabinet de Richard Ferrand a indiqué qu’Emile Ferrand, le fils du député, avait été rémunéré 6.796,51 € net pour environ quatre mois de travail, soit 1.699 € par mois en moyenne. C’est supérieur au smic de l’époque (1.133 €).
Lecteur assidu : Vous n’avez pas répondu à la question concernant le nombre d’heures travaillées par le fils de M. Ferrand par mois. Ce n’est pas pareil d’être payé un smic pour 35 heures par mois et un smic pour un temps plein.
Il était aux 35 heures par semaine entre février et avril, et touchait 1.266 € net par mois. Soit très légèrement plus que le smic. Par ailleurs, le travail du fils de Richard Ferrand n’a été mis en cause par personne.
François12 : Quelles sont les réactions des associations anticorruption ? Il est assez étonnant qu’elles ne réagissent pas, notamment par un dépôt de plainte avec constitution de partie civile, forçant le parquet à ouvrir une enquête. Ce qui, en soit, n’aurait d’ailleurs pas de signification particulière.
Il est en effet surprenant que le parquet n’ait pas enquêté sur le délit de favoritisme. Sans compter les emplois des proches. Selon nos informations, l’association Fricc (front républicain d’intervention contre la corruption) devrait déposer plainte contre X au parquet de Brest en fin de semaine. Elle devrait viser l’article L 820-4 du code du commerce, en pointant du doigt l’absence d’intervention de commissaire aux comptes dans la transaction immobilière (comme nous vous l’expliquions ici). Le fait de ne pas désigner de commissaire aux comptes alors que c’est nécessaire est passible de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
Headlift : Comparativement à la bombe atomique des emplois fictifs du FN au parlement EU, votre "bombinette Ferrand" paraît bien inoffensive. On se pose donc des questions bien légitimes…
Nous avons aussi enquêté sur les affaires concernant le Front national. Vous retrouverez les principales informations en suivant ce lien.
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Richard Ferrand avec Sylvie Andrieux,
députée PS condamnée pour
détournement de fonds publics
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Jean-Ed : Vous écrivez que "Richard Ferrand se défend d’avoir été en conflit d’intérêts, car il n’avait à l’époque pas de lien juridique ou patrimonial avec Sandrine Doucen (ils n’étaient pas encore pacsés à l’époque)". Dans ce cas, pourquoi Sandrine Doucen signe un compromis de vente pour l’achat d’un immeuble sous la condition suspensive qu’elle obtienne un contrat de bail avec les Mutuelles de Bretagne si elle n’avait aucune information de la part de son compagnon ? Cela semble incohérent.
Ce n’est pas Sandrine Doucen qui signe le compromis de vente, mais Richard Ferrand. La SCI de Mme Doucen se substitue à lui par la suite.
Juliette : Est-il possible de savoir si cette mutuelle a touché des subventions publiques ?
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Le mutualiste partage le tailleur
du banquier-président
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Et aussi d’en connaître la date exacte, le montant et leur emploi ? Car je lis que c’est probable mais aucune information probante pour le moment. Par ailleurs, pourquoi personne ne porte plainte ? Notamment, les adhérents. Quelles sont les difficultés qui se présenteraient pour eux, à le faire ?
Comme nous le précisons dans notre article, l’EHPAD de Guilers, construit en 2010 pour le compte des Mutuelles de Bretagne, a reçu à l’époque 1,66 million de subventions du conseil général du Finistère. L’ex-épouse de Richard Ferrand, Françoise Coustal, a effectué des travaux d’aménagement dans cet établissement. [La mutualité est-elle un business familial ?]
Olivier D : Concernant, l’attribution au bail à la SCI de sa femme. Cela ne s’apparente-il pas à une convention réglementée telle que cela existe dans le droit commercial ? Ne pas déclarer que l’on est partie prenante des fournisseurs de la société pour laquelle on exerce un mandat social n’est en effet pas légal au titre du droit du commerce. Qu’en est-il dans le cas présent ?
Richard Ferrand assure qu’il avait informé les membres du conseil d’administration des Mutuelles de Bretagne de son lien avec Sandrine Doucen, qui présentait l’une des trois offres en lice. Ce qu’ont confirmé plusieurs membres du conseil d’administration après la publication de l’enquête du Canard enchaîné.
Fred44 : Mme Doucen s’est-elle expliquée sur cette affaire ? Elle est concernée, il me semble…
Non, elle n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Par Alexandre Pouchar, Anne Michel , Jérémie Baruch, Maxime Vaudano et Yann Bouchez (échanges publiés le 30 mai 2017 à 16h26)