Les propos de Patrick Kanner sur la "centaine" de Molenbeek en France agitent la gauche
Les députés godillots déjugés par le ministre de la Ville
Les élus qui courent les media sont contraints de sortir de leurs lignes
Ils doivent rĂ©orienter leurs dĂ©clarations en fonctions des propos dĂ©coiffants du ministre de la Ville, Patrick Kanner qui a indiquĂ© dimanche 27 mars quâil existe aujourdâhui une "centaine de quartiers français" prĂ©sentent "des similitudes potentielles avec Molenbeek", commune bruxelloise Ă la rĂ©putation de rĂ©servoir djihadiste de l'Europe, une Ă©valuation basse.
Cette histoire belge de Molenbeek n'est plus drĂŽle du tout Ă gauche. Certes, l'extrĂȘme gauche exemplaire Ă©tale sa joie, notamment les anarchistes rĂ©volutionnaires de Charlie hebdo (ci-contre) dont l'humour subversif enchante les haineux, mais aussi la gauche rĂ©publicaine prise au piĂšge de sa propre idĂ©ologie, qualifiĂ©e d'humaniste.
Kanner pointe au passage les partis politiques et la presse de 2005.
Ainsi, le ministre a-t-il jugé que les émeutes qui avaient secoué les banlieues françaises en 2005 et que les acteurs politiques ont instrumentalisé "ont permis manifestement un développement du salafisme" dans les quartiers populaires.
Les violences urbaines de 2005 ont commencé à Clichy-sous-Bois exploitant un double événement: d'abord la mort de deux délinquants, Zyed Benna et Bouna Traoré le 27 octobre 2005, électrocutés dans l'enceinte d'un poste électrique interdit au public alors qu'ils cherchaient à échapper à un contrÎle de police; et trois jours plus tard, le jet d'une grenade lacrymogÚne à l'entrée d'une mosquée de la ville par des forces de l'ordre "caillassées." Les troubles se sont ensuite répandus à travers la France dans un grand nombre de banlieues socialo-communistes, fortement touchées par le chÎmage et l'insécurité. La France en quasi-guerre civile déclara l''état d'urgence le 8 novembre 2005, lequel fut prolongé pour une durée de trois semaines consécutives.
Le ministre socialiste souligne que des "prédateurs" se sont alors installés.
"Molenbeek, c'est une concentration Ă©norme de pauvretĂ© et de chĂŽmage, c'est un systĂšme ultra communautariste, c'est un systĂšme mafieux, avec une Ă©conomie souterraine. C'est un systĂšme oĂč les services publics ont quasiment disparu, c'est un systĂšme oĂč les Ă©lus ont baissĂ© les bras", a jugĂ© le ministre.
Kanner a fait la leçon au pouvoir belge
"Mais il y a une diffĂ©rence Ă©norme. Je n'ai pas de leçons Ă donner et je suis de tout cĆur avec nos amis belges, mais il est vrai que nous prenons le taureau par les cornes dans ces quartiers", a assurĂ© Patrick Kanner, avant de prĂ©ciser qu'il existe une "cellule de veille pour vĂ©rifier qu'il n'y a pas d'association faisant l'objet de dĂ©marches salafistes" dans ces quartiers ou "la RĂ©publique n'a pas Ă©tĂ© Ă la hauteur de sa responsabilitĂ©".
Les réactions embarrassées, voire la fureur, de la gauche ne se sont pas faits attendre, aprÚs ces propos tenus lors du "Grand rendez-vous" Europe 1-i-télé-Le Monde.
Au "Grand jury" RTL-LCI-Le Figaro, Julien Dray, conseiller rĂ©gional PS d'Ile-de-France, a sermonnĂ© le ministre, appelant Ă ne pas cĂ©der Ă des formules faciles qui "stigmatisent". "Depuis 20 ans, a dit le cofondateur de SOS Racisme, il y a une ghettoĂŻsation sociale qui donne lieu (...) Ă une montĂ©e de la dĂ©linquance et puis aussi Ă des noyaux islamistes qui essaient d'instrumentaliser des points sociaux". "Ce sont des points communs" avec Molenbeek, a reconnu Julien Dray, mais "je n'aime pas qu'on stigmatise car la majoritĂ© de la population de ces quartiers en a assez d'ĂȘtre dĂ©signĂ©e Ă la vindicte populaire".
Cambadélis, premier secrétaire du PS, a lui aussi pris ses distances avec les propos du ministre de la Ville, évoquant "des poches", "des immeubles" et "des rues" présentant des "problÚmes" similaires à Molenbeek, mais "pas de quartiers" entiers. "Moi, je ne suis pas pour ce discours", a dit Jean-Christophe Cambadélis sur France 5, appelant à "ne pas dissoudre la concorde nationale". "On doit avoir une stratégie vis-à -vis du terrorisme, c'est de ne pas isoler les musulmans, mais d'isoler" les terroristes.
Dans une tribune au Figaro vendredi, le député LR Eric Ciotti a accusé François Hollande d'avoir "délibérément renoncé à défendre la laïcité pour flatter un communautarisme religieux auquel il est redevable". "La France ne peut devenir un gigantesque Molenbeek!", a lancé ce poche de François Fillon.
Le Front national a, lui, estimé que la France n'est "pas épargnée par les zones de non-droit du type de Molenbeek". "Il faut dÚs aujourd'hui lancer une vaste opération de police pour investir l'ensemble de ces quartiers en marge de la République", avait demandé la présidente du FN Marine Le Pen. Sur Europe 1, Florian Philippot, vice-président du FN, a lui estimé lundi que Patrick Kanner est "lucide" en évoquant la "centaine de quartiers en France" aux "similitudes potentielles avec Molenbeek".
"C'est donc ça qui fait polémique au PS. Pour une fois qu'on a un ministre, M. Kanner, qui enlÚve le voile d'aveuglement qu'il a devant les yeux et la bouche, qu'il dit une vérité un peu lucide, il faut au PS qu"on lui tombe dessus", a critiqué le conseiller régional d'Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne sur BFM TV et RMC. "C'est lucide et ce n'est pas stigmatisant", a affirmé Florian Philippot, pour qui Patrick Kanner, avec son chiffre d'une centaine, "est probablement un peu optimiste."
Des propos quasi similaires tenus par Hervé Mariton (LR) lundi sur France Info: "Kanner a le mérite d'un diagnostic lucide sur une situation réellement dangereuse". "Il ne faut pas faire d'amalgame" mais "les quartiers sortis de tout contrÎle existent", a-t-il précisé.
De son cĂŽtĂ©, le prĂ©sident de l'UDI Jean-Christophe Lagarde s'est dit le mĂȘme jour sur RMC "trĂšs agacĂ©" par les propos de Patrick Kanner, "parce que c'est le genre de formule qui dĂ©bilise, qui mutile le dĂ©bat politique français". "Je ne crois pas du tout qu'il y ait des centaines de Molenbeek en France, a-t-il affirmĂ©. La vĂ©ritĂ©, c'est qu'on a des quartiers qui sont ghettoĂŻsĂ©s".
C'est dans sa commune de Molenbeek (environ 100.000 habitants) que Salah Abdeslam, le 10e homme des attentats parisiens, a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© le 18 mars aprĂšs une cavale de plus de quatre mois. L'enquĂȘte sur les attaques de Bruxelles a montrĂ© qu'un mĂȘme rĂ©seau franco-belge est responsable des tueries de novembre et mars.
Valls en partie d'accord
Le Premier ministre estime qu'"une centaine" de quartiers français prĂ©sentent des "similitudes" avec le quartier bruxellois rĂ©putĂ© ĂȘtre un fief djihadiste" a-t-il admis, avant de nuancer. C'est donc difficile de faire des comparaisons", a-t-il nuancĂ©. "Mais ce qu'a voulu dire Patrick Kanner sur les processus d'enfermement, de communautarisation et de radicalisation... tout cela existe, bel et bien !" a affirmĂ© Manuel Valls devant les parlementaires socialistes. Kanner (PS) a mis le chaos Ă gauche.
Molenbeek, symbole de l'échec des pays démocratiques
Molenbeek apparaĂźt comme la capitale europĂ©enne du djihadisme, la base arriĂšre du terrorisme islamiste, sorte de camp avancĂ© de Raqqa, en Syrie. Mais nous assistons Ă une des marches arriĂšres de l'Etat-PS et les media sont chargĂ©s de convaincre que seul le vieux centre est une zone de non-droit. La journaliste Hind Fraihi, prĂ©sentĂ©e comme flamande, le dĂ©crit dans un livre comme "un quartier vouĂ© Ă la dĂ©molition et habitĂ© par des immigrĂ©s", lĂ mĂȘme oĂč a Ă©tĂ© retrouvĂ© Salah Abdeslam, le 18 mars. Or, un, elle est belgo-marocaine et, deux, elle insiste sur les difficultĂ©s sociales, en dĂ©crivant un territoire oĂč "dans certains quartiers, le nombre dâimmigrĂ©s atteint 80 %. Elle omet juste de noter que le maire de Bruxelles, Yvan E.C. Mayeur, est ancien prĂ©sident socialiste de la commission des affaires sociales de la Chambre des reprĂ©sentants et que son prĂ©dĂ©cesseur, Freddy Thielemans, l'Ă©tait dĂ©jĂ depuis 2001. cette communautĂ© allochtone tient Ă vivre en communautĂ©, et ne met pas en cause Le chĂŽmage des jeunes sâĂ©lĂšve Ă quelque 40 %. Selon le quartier, ce chiffre peut mĂȘme grimper jusquâĂ 80 %."
"DĂšs les annĂ©es 1980, des reportages tĂ©lĂ©visĂ©s ont montrĂ© de Molenbeek une image assez nĂ©gative, mais qui concernait uniquement Ă lâĂ©poque la pauvretĂ© et le chĂŽmage", se souvient le politologue belge Dave Sinardet. Il faut dire que la crise Ă©conomique est passĂ©e par lĂ .
"Les gens ont eu peur dâĂȘtre taxĂ©s dâislamophobes ou de racistes"
Dans les annĂ©es 1990 quand Hind Fraihi a publiĂ© son livre consacrĂ© aux musulmans radicaux molenbeekois, ceux que le sociologue Felice Dassetto appelle les "Molmuslims" levait le voile sur l'activitĂ© des mosquĂ©es radicales sous influence sunnite de l'Arabie saoudite et aurait dĂ» Ă lâĂ©poque de sa sortie tirer la sonnette dâalarme, mais c'Ă©tait sans compter avec le tabou sur tout ce qui est musulman et qui permet au salafisme de prospĂ©rer.
Pour des raisons politiques, au sens misĂ©rable, ces signaux nâont pas Ă©tĂ© pris en compte, probablement en partie parce que certaines vĂ©ritĂ©s Ă©taient inconfortables. Les gens ont eu peur dâĂȘtre taxĂ©s dâislamophobie ou de racisme ", indique Dave Sinardet.
Lâex-bourgmestre de Molenbeek, Philippe Moureaux, se retrouve aujourdâhui sous le feu de la critique pour sa gestion de ce quartier de 95.000 personnes. Elu en 1992 Ă la tĂȘte de la commune, il est accusĂ© notamment par sa successeure, Françoise Schepmans (MR) dâavoir "fermĂ© les yeux".
Les politiciens, comme la presse, se disculpent.
"Il y a Ă©videmment une part de responsabilitĂ© de Philippe Moureaux, mĂȘme si tout ne peut pas lui ĂȘtre imputĂ©. Par conviction idĂ©ologique, mais aussi par Ă©lectoralisme, il nâa pas pris assez au sĂ©rieux les problĂšmes existants dans certains quartiers de Molenbeek", remarque Dave Sinardet. Entre les difficultĂ©s sociales, lâinfluence de lâArabie saoudite et du wahhabisme et la forte population immigrĂ©e dâorigine marocaine - plus du tiers de la population de Molenbeek- la situation avait de quoi devenir inquiĂ©tante, pourtant.
Ce que la presse ne dit encore pas, c'est que le socialiste Moureaux est responsable de lâouverture de la mairie aux candidats dâorigine non europĂ©enne Ă partir des Ă©lections de 2000, Ă l'issue desquelles le collĂšge compte deux Ă©chevins PS d'origine marocaine, Mohammed DaĂŻf et Jamal Ikazban, qui sont reconduits dans leurs fonctions en 2006.
On ne parle plus de radicalisation islmamiste dans les prisons
DâaprĂšs Bahar Kimyongur, la communautĂ© marocaine de Molenbeek est effectivement la plus active dans la radicalisation djihadiste. "En comparaison, les Turcs de Belgique (plus de 200.000 Turcs ou Belgo-turcs) sont trĂšs peu touchĂ©s par ce type de radicalisation", explique-t-il. "Les Turcs ont leur propre "clergĂ©" : la Diyanet liĂ©e au rĂ©gime dâAnkara, les mosquĂ©es du rĂ©seau Fetullah GĂŒlen⊠La communautĂ© marocaine est beaucoup moins structurĂ©e. Elle a souvent affaire Ă des imams formĂ©s en Arabie saoudite.
LâExĂ©cutif des musulmans de Belgique censĂ© encadrer les musulmans du pays est minĂ© par les conflits internes. Elle ne rĂ©pond pas aux questionnements existentiels des jeunes MaghrĂ©bins", assure-t-il.
Une crise identitaire
Car les difficultĂ©s Ă©conomiques et le wahhabisme nâexpliquent pas tout. "La "Daeshmania" qui sâest dĂ©veloppĂ©e dans certains quartiers de Molenbeek nâest pas Ă proprement parler liĂ©e au chĂŽmage. Les jeunes radicalisĂ©s ne sont pas forcĂ©ment des misĂ©reux. Lâattraction exercĂ©e par Daesh sur les jeunes MaghrĂ©bins est davantage liĂ©e Ă la crise identitaire que les media et l'Ă©cole favorisent, une similitude partagĂ©e par la France, ne se sentant pas assez arabes, pas assez marocains et pas assez musulmans", note Bahar Kimyongur. Et trĂšs peu Belges...