La seconde génération qui vote Front National
Affiche du FN
(2007)
Un article de VSD
"Nés en France de parents d'origine africaine, Ali, Moussa, Hamid, Djillali et Nora nous expliquent leur choix : soutenir le parti d’extrême droite.
Je me sens humiliée. » Nora* fulmine. À 35 ans, cette Française kabyle, née de parents algériens, petite-fille d’un moudjahid du FLN, gagne 200 euros par mois en enseignant le français à des étrangers, dans des associations. Sympathisante du FN depuis douze ans, elle habite toujours chez ses parents, dans une cité de Saint-Denis (93). « Je ne me retrouve plus dans cette France que je respecterai toujours, mais qui nous a oubliés, nous, les premiers immigrés d’Afrique, s’emporte-t-elle. Elle nous a craché à la figure, je n’ai pas honte de le dire. Elle a tout donné aux clandestins régularisés arrivés en terrain conquis, leur distribuant des logements sociaux et des aides. Le FN, lui, m’a permis de sortir la tête de l’eau en me trouvant, un temps, un travail de secrétaire. Aucun autre parti ne m’a jamais aidée. Les élus, je les hais, je les déteste, ces ingrats ! »
Nés en France de parents d’origine algérienne, sénégalaise et marocaine, venus servir de main-d’œuvre bon marché dans les années cinquante et soixante, Nora, Ali, Moussa, Hamid et Djillali n’arrivent pas toujours à boucler leurs fins de mois. La trentaine, ils vivent dans des cités du nord de Paris et en banlieue parisienne, dans le « 9-2 » et le « 9-3 », où sévissent l’insécurité, la misère et la montée de l’islamisme.
« Je rase les murs, témoigne Nora. Ma mère s’est fait agresser et on m’a arraché mon portable cinq fois. » « J’ai grandi dans un quartier difficile du 20e arrondissement de Paris », poursuit Djillali, un Kabyle de 37 ans, titulaire d’une maîtrise d’histoire contemporaine et conseil en entreprise, sympathisant FN depuis 2002 et militant depuis un an. « Les fléaux sociaux, je les ai vus en direct. Des amis et des cousins sont partis en prison ou sont morts du sida. J’ai assisté à la montée de l’islamisation. Si un garçon d’origine algérienne mange un sandwich dans mon quartier pendant le ramadan, il peut se faire casser la tête. Le FN dénonce les problèmes sans langue de bois, les autres partis sont trop politiquement corrects. » Son père, tout comme celui d’Ali, militait pour une Algérie indépendante. « Beaucoup de Kabyles votent FN car ils sont doublement stigmatisés, explique-t-il. La France leur renvoie une image de terroristes potentiels, et la communauté arabo-musulmane leur reproche d’être différents [kabyles, et donc non-arabes, NDLR], et de ne rien revendiquer religieusement. » Si tous s’opposent à un islam ostentatoire et aux prières dans les rues, les discours islamo-phobes agacent Nora, musulmane pratiquante. « En plein meeting FN, j’ai pris mes cliques et mes claques devant cinq cents personnes. Les Algériens ne sont pas responsables du trou de la Sécu ni de l’augmentation du prix du gaz, il faut arrêter. »
Document UPJF
Tous, sans exception, ont été victimes de discriminations. « Je n’ai toujours pas trouvé d’emploi stable, parce qu’on me renvoie sans cesse à la figure mes origines », se plaint Nora, un bac L en poche. « À 14 ans, je faisais un stage dans une boulangerie, raconte Hamid, 30 ans, d’origine marocaine, issu d’un milieu modeste, aujourd’hui cuisinier à Clichy (92) et sympathisant FN depuis 2002. Le patron était un peu raciste. Je n’avais pas le droit de manger alors qu’il nourrissait son chien devant moi. » Intégrés culturellement, mais pas socialement ni économiquement, rejetés par cette « mère patrie » idéalisée dont ils réclament la reconnaissance, sans espoir de l’obtenir, ces descendants d’immigrés se tournent vers le FN. « Rejeter la faute de son exclusion sur l’autre est le B.A. BA de la pensée d’extrême droite, analyse Nicolas Lebourg, historien de l’extrême droite. Et quelle meilleure preuve d’intégration que de voter FN ? On avait déjà observé ce besoin de devenir plus nationalistes que les autres pour s’intégrer chez les skinheads des années quatre-vingt, souvent descendants de Portugais et d’Espagnols. » Adhérer au FN, ce serait donc une façon de dire : « Je suis français et je vous emmerde. » Cette douloureuse quête de reconnaissance a poussé Hamid – musulman, il fait le ramadan et ne boit pas d’alcool – à renier sa culture : « La danse du ventre, la chicha, le henné, tout ça, non merci. Je suis français, je ne me sens pas marocain. J’accepterais que le FN au pouvoir renvoie mes parents au Maroc mais je ne pense pas qu’ils le feraient, ça fait quarante ans qu’ils sont dans le pays. Je sais, je suis radical. »
(*) Les prénoms ont été changés.
Lire l'article intégral dans VSD n°1753 (du 31 mars au 6 avril 2011)
Affiche du FN
(2007)
Un article de VSD
"Nés en France de parents d'origine africaine, Ali, Moussa, Hamid, Djillali et Nora nous expliquent leur choix : soutenir le parti d’extrême droite.
Je me sens humiliée. » Nora* fulmine. À 35 ans, cette Française kabyle, née de parents algériens, petite-fille d’un moudjahid du FLN, gagne 200 euros par mois en enseignant le français à des étrangers, dans des associations. Sympathisante du FN depuis douze ans, elle habite toujours chez ses parents, dans une cité de Saint-Denis (93). « Je ne me retrouve plus dans cette France que je respecterai toujours, mais qui nous a oubliés, nous, les premiers immigrés d’Afrique, s’emporte-t-elle. Elle nous a craché à la figure, je n’ai pas honte de le dire. Elle a tout donné aux clandestins régularisés arrivés en terrain conquis, leur distribuant des logements sociaux et des aides. Le FN, lui, m’a permis de sortir la tête de l’eau en me trouvant, un temps, un travail de secrétaire. Aucun autre parti ne m’a jamais aidée. Les élus, je les hais, je les déteste, ces ingrats ! »
Nés en France de parents d’origine algérienne, sénégalaise et marocaine, venus servir de main-d’œuvre bon marché dans les années cinquante et soixante, Nora, Ali, Moussa, Hamid et Djillali n’arrivent pas toujours à boucler leurs fins de mois. La trentaine, ils vivent dans des cités du nord de Paris et en banlieue parisienne, dans le « 9-2 » et le « 9-3 », où sévissent l’insécurité, la misère et la montée de l’islamisme.
« Je rase les murs, témoigne Nora. Ma mère s’est fait agresser et on m’a arraché mon portable cinq fois. » « J’ai grandi dans un quartier difficile du 20e arrondissement de Paris », poursuit Djillali, un Kabyle de 37 ans, titulaire d’une maîtrise d’histoire contemporaine et conseil en entreprise, sympathisant FN depuis 2002 et militant depuis un an. « Les fléaux sociaux, je les ai vus en direct. Des amis et des cousins sont partis en prison ou sont morts du sida. J’ai assisté à la montée de l’islamisation. Si un garçon d’origine algérienne mange un sandwich dans mon quartier pendant le ramadan, il peut se faire casser la tête. Le FN dénonce les problèmes sans langue de bois, les autres partis sont trop politiquement corrects. » Son père, tout comme celui d’Ali, militait pour une Algérie indépendante. « Beaucoup de Kabyles votent FN car ils sont doublement stigmatisés, explique-t-il. La France leur renvoie une image de terroristes potentiels, et la communauté arabo-musulmane leur reproche d’être différents [kabyles, et donc non-arabes, NDLR], et de ne rien revendiquer religieusement. » Si tous s’opposent à un islam ostentatoire et aux prières dans les rues, les discours islamo-phobes agacent Nora, musulmane pratiquante. « En plein meeting FN, j’ai pris mes cliques et mes claques devant cinq cents personnes. Les Algériens ne sont pas responsables du trou de la Sécu ni de l’augmentation du prix du gaz, il faut arrêter. »
Tous, sans exception, ont été victimes de discriminations. « Je n’ai toujours pas trouvé d’emploi stable, parce qu’on me renvoie sans cesse à la figure mes origines », se plaint Nora, un bac L en poche. « À 14 ans, je faisais un stage dans une boulangerie, raconte Hamid, 30 ans, d’origine marocaine, issu d’un milieu modeste, aujourd’hui cuisinier à Clichy (92) et sympathisant FN depuis 2002. Le patron était un peu raciste. Je n’avais pas le droit de manger alors qu’il nourrissait son chien devant moi. » Intégrés culturellement, mais pas socialement ni économiquement, rejetés par cette « mère patrie » idéalisée dont ils réclament la reconnaissance, sans espoir de l’obtenir, ces descendants d’immigrés se tournent vers le FN. « Rejeter la faute de son exclusion sur l’autre est le B.A. BA de la pensée d’extrême droite, analyse Nicolas Lebourg, historien de l’extrême droite. Et quelle meilleure preuve d’intégration que de voter FN ? On avait déjà observé ce besoin de devenir plus nationalistes que les autres pour s’intégrer chez les skinheads des années quatre-vingt, souvent descendants de Portugais et d’Espagnols. » Adhérer au FN, ce serait donc une façon de dire : « Je suis français et je vous emmerde. » Cette douloureuse quête de reconnaissance a poussé Hamid – musulman, il fait le ramadan et ne boit pas d’alcool – à renier sa culture : « La danse du ventre, la chicha, le henné, tout ça, non merci. Je suis français, je ne me sens pas marocain. J’accepterais que le FN au pouvoir renvoie mes parents au Maroc mais je ne pense pas qu’ils le feraient, ça fait quarante ans qu’ils sont dans le pays. Je sais, je suis radical. »
(*) Les prénoms ont été changés.
Lire l'article intégral dans VSD n°1753 (du 31 mars au 6 avril 2011)
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