Le joug des historiens marxistes moins pesant?
AprÚs Vidal-Naquet, c'est un autre historien militant marxiste dont on annonce la disparition. Jacques Ozouf est donc mort et le microcosme de gauche en est ému.
Bien que connu essentiellement pour ĂȘtre le consort de sa femme Mona, avec laquelle il a publiĂ©, il avait trouvĂ© sa niche Ă l'EDHESS, et son militantisme lui avait fait gagner la prĂ©sidence, une sorte de prĂ©bende rĂ©publicaine et laique, rĂ©servĂ©e aux camarades, au moins un temps, communistes.
Cet historien engagé, qui s'est éteint samedi dernier à l'ùge de 77 ans, était né en 1928 dans une famille d'instituteurs militants laïques et républicains intransigeants, semblable aux familles qu'il n'aura de cesse d'étudier. Il était aussi le neveu de Pierre Brossolette, un homme politique à la fois gaulliste et socialiste. D'abord fervent défenseur des idéaux pacifistes et européens d'Aristide Briand, ses conceptions évoluÚrent lorsqu'il prit conscience de la réalité de la menace nazie. Pierre Brossolette fut aussi un dirigeant de la Résistance française.
Jacques Ozouf fit ses Ă©tudes secondaires au lycĂ©e Henri-IV et poursuit des Ă©tudes Ă la Sorbonne avant de passer lâagrĂ©gation dâhistoire en 1954. Il rencontra alors celle qui deviendra un an plus tard son Ă©pouse, Mona Sahier, une jeune philosophe bretonne. Il cosignera plus tard son plus grand succĂšs, "La RĂ©publique des instituteurs", avec elle. Son milieu intellectuel nâa pas Ă©tĂ© une entrave Ă sa rĂ©ussite sociale...
à la Sorbonne, il rencontra Emmanuel Le Roy Ladurie et François Furet.
Emmanuel Le Roy Ladurie fut d'abord enseignant dans le secondaire, puis attachĂ© de recherche au CNRS, assistant Ă la FacultĂ© de Lettres de Montpellier et maĂźtre-assistant à ⊠lâĂcole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS). Ancien membre du PCF, il rompit en 1956, comme son collĂšgue François Furet, aprĂšs l'invasion de la Hongrie par l'URSS, et occupa la chaire d'Histoire de la civilisation moderne au CollĂšge de France de 1973 Ă 1999.
François Furet, un futur dissident communiste (jusquâen 1956), participera Ă la fondation du PSU et enseignera Ă âŠlâEHESS !
Avec Furet, Ozouf fondera la revue Les Annales (qui étudie entre autres les civilisations et les mouvements de longue durée en opposition à l'histoire événementielle) et publiera alors les articles de Roland Barthes, Emmanuel Le Roy Ladurie ou Georges Duby et publiera avec François Furet en 1977.
La famille Ozouf Ă©tait marquĂ©e par la tradition socialiste mais Jacques Ozouf sâen distingua en adhĂ©rant au PCF, quâil quitta rapidement, au moment de l'Ă©crasement par l'armĂ©e soviĂ©tique du soulĂšvement de Budapest en 1956.
Enseignant bientĂŽt Ă lâuniversitĂ© de Vincennes Ă la fin des annĂ©es 1960 (Ă lâĂ©poque de mai 68âŠ), entre 1961 et 1963, le couple dâhistoriens Ozouf avait publiĂ© âLa RĂ©publique des instituteursâ.
En 1971, il fut Ă©lu directeur dâĂ©tudes à ⊠l'Ecole des hautes Ă©tudes en sciences sociales (EHESS).
Mais c'est en 1973 qu'il accĂšde Ă la notoriĂ©tĂ© avec Nous les maĂźtres d'Ă©cole, une enquĂȘte auprĂšs de 4 000 anciens «hussards de la RĂ©publique» ayant enseignĂ© avant 1914, qui montre le rĂŽle essentiel jouĂ© par les instituteurs dans le processus d'enracinement de la RĂ©publique. Jacques Ozouf anticipait alors l'intĂ©rĂȘt bientĂŽt reconnu aux archives orales, aux comportements collectifs et aux traces mĂ©morielles.
En 1973, il est aussi Ă©lu directeur de ce qui deviendra⊠lâEHESS (créée en 1975, Ă partir de la VIe Section de l'Ăcole pratique des hautes Ă©tudes, âŠĂ lâinitiative de la Fondation Rockefeller, dĂ©sireuse de favoriser dans le cadre de la reconstruction de la France de l'aprĂšs-guerre des Ă©tudes sociologiques Ă©loignĂ©es du marxisme !!). LâEHESS fut particuliĂšrement mise Ă mal pendant les grĂšves anti-CPE de 2006âŠ
Ozouf avait Ă©crit Ă©galement en 1981 Cent ans dâĂ©cole avec Pierre Caspard (voir Françoise Caspard), Serge Chassagne et Antoine Prost.
TrÚs attaché aux origines de la culture politique en France, le spécialiste de la vie politique livre ses analyses électorales au "Nouvel Observateur" et participe au débat intellectuel en donnant des articles à de nombreuses revues (Esprit, Projet...).
Une attaque cĂ©rĂ©brale avait mis un terme Ă sa carriĂšre dâenseignant, de militant et dâhistorien.
On notera sans autre commentaire lâimportance des rĂ©seaux communistes et de lâEHESS dans la diffusion des idĂ©es progressistes, car Sylviane Agacinski (sĆur de Oui-Oui Jospin), Pierre Bourdieu, Fernando Henrique Cardoso, Jacques Derrida, Françoise Caspard, Jacques Le Goff, Pierre Nora, Alain Touraine, Milan Kundera, etc⊠ont trouvĂ© une niche Ă lâEHESS !
Est-ce à dire que l'histoire est un domaine réservé, une chasse gardée?
Faut-il en déduire que l'enseignement de l'histoire est, en France, noyauté par une faction?
Doit-on en conclure que nos enfants n'ont que peu de chance d'échapper à la vision biaisée marxiste dans nos collÚges et lycées, mais aussi à l'université?
Il ne faut pas rĂȘver: Avec ces deux dĂ©cĂšs, la cooptation des historiens marxistes ou progressistes va s'intensifier aux postes Ă responsabilitĂ©s. La relĂšve est dĂ©jĂ assurĂ©e, car les nominations se font entre amis et camarades: on est titulaire de poste ou de chaire d'histoire de camarade en camarade, comme de pĂšre en fils, par la grĂące des copains.
L'Histoire n'est pas libérée.
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