Les islamistes sont-ils derrière l'agitation sociale en Tunisie ?
Janvier 2018: trois jours de fronde en Tunisie
Janvier 2018: trois jours de fronde en Tunisie
Sept ans après la révolution contre la dictature et la corruption, la Tunisie connaît de nouveaux soubresauts liés à une contestation sociale toujours marquée par les mêmes slogans de "travail, liberté, dignité", nombre de Tunisiens s'impatientant de voir un jour leurs conditions de vie s'améliorer au rythme espéré.
Cette semaine, exploitant l'entrée en vigueur début janvier d'un budget d'austérité, les islamistes ont orchestré un mouvement de contestation qui aurait pu mal tourner.
Le 7 janvier, dans le centre de Tunis, près du ministère de l'Intérieur, de jeunes activistes se sont rassemblés sur l'avenue Bourguiba pour exiger notamment l'annulation de l'augmentation des prix. "Ni peur, ni terreur, la rue appartient au peuple", scandaient ces jeunes, lorsque des policiers dispersèrent le rassemblement, selon des vidéos publiées sur les réseaux sociaux.
La ville de Tebourba, proche de Tunis, a été secouée par plusieurs nuits de heurts cette semaine entre des jeunes protestataires et les forces de sécurité, tout comme plusieurs autres villes, où quelque 800 personnes auraient été arrêtées.
A Kasserine, quelques dizaines d'individus ont incendié des pneus et ont jeté des pierres sur des agents de sécurité, qui répliquent par des gaz lacrymogènes.
A Sidi Bouzid, après une manifestation pacifique, des routes furent brièvement bloquées par des pierres et des pneus.
Lors d'une nouvelle nuit de troubles, le 9 janvier, plus de 200 personnes auraient été arrêtées et des dizaines blessées.
A Sidi Bouzid encore, des manifestants coupèrent des routes, jetèrent des pierres, et la police répliqua à coups de gaz lacrymogènes. Des incidents eurent lieu à Kasserine, Gafsa, Jedaida et dans plusieurs quartiers populaires de Tunis.
Selon le ministère de la Défense, l'armée a été déployée autour de banques, bureaux de poste et autres bâtiments gouvernementaux sensibles dans les principales villes du pays. Le puissant syndicat UGTT, condamne "la violence et le pillage", appelant à "protester de manière pacifique". Principale centrale syndicale de Tunisie, avec 750 000 adhérents, l'UGTT tente de reconquérir sa domination: en effet, depuis la révolution de 2011, l'UGTT est en rivalité avec la Confédération générale tunisienne du travail et l'Organisation tunisienne du travail. Elle serait donc tentée par une radicalisation.
Le 10 janvier, des heurts nocturnes furent rapportés à Siliana, Kasserine, Thala et Sidi Bouzid. Des échauffourées gagnèrent plusieurs quartiers de Tunis et reprirent à Tebourba. Les dessertes ferroviaires furent annulées dans certaines zones après qu'un train eût été attaqué en banlieue sud de Tunis. Le Premier ministre Youssef Chahed condamna les actes de "vandalisme" qui, selon lui, "servent les intérêts des réseaux de corruption pour affaiblir l'Etat". Il pointe du doigt le Front populaire, un parti de gauche opposé au budget.
Le 11 janvier, à Siliana, des dizaines de jeunes jettent des pierres sur des agents des forces de sécurité qui ripostent par des tirs de gaz lacrymogènes. En revanche, la situation reste calme à Kasserine, Thala et à Sidi Bouzid, ainsi qu'à Tebourba. Le Front populaire appelle le Premier ministre à "trouver des solutions pour les jeunes tunisiens", estimant que "les manifestations pacifiques font partie de l'équation démocratique".
Le 12 janvier, l'ONG Amnesty International interféra de manière partisane en demandant aux forces de sécurité de "ne pas employer une force excessive" et l'accusant "de recourir à des manoeuvres d'intimidation contre les manifestants pacifiques", selon elle.
Quelques centaines de personnes manifestèrent à Tunis et à Sfax (centre) pour protester contre le budget d'austérité et réclamer sa révision en adressant un "carton jaune" au gouvernement.
Le 13 janvier, le président tunisien Béji Caïd Essebsi devait rencontrer ce samedi les partis au pouvoir, les syndicats et le patronat pour discuter des moyens de sortir de la crise. Ce mouvement de protestation aurait été déclenché par l'adoption d'un budget 2018 qui a augmenté les impôts et créé des taxes grignotant un pouvoir d'achat déjà éprouvé par une importante inflation. Pour la politologue tunisienne Olfa Lamloum, "ces mobilisations sociales révèlent une colère, portée par les mêmes qui s'étaient mobilisés en 2011 et n'ont rien obtenu comme droits économiques et sociaux".
Il faut dire que cette "politologue" est privée de son passeport tunisien depuis 1999 en raison de son opposition au régime, sous couvert d'un engagement en faveur des droits de l’homme en Tunisie. Elle est néanmoins chargée de cours à l'Université Paris X à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, et a bénéficié d'un décret de naturalisation le 21 décembre 2004 émis par la préfecture de ...Seine-Saint-Denis, sous le gouvernement Raffarin, Dominique de Villepin étant ministre de l'Intérieur. Lors de la cérémonie citoyenne, elle assista à l'exclusion de cinq femmes couvertes d'un foulard qui refusaient de retirer leur voile ou leur bandana. Elle portera alors l'affaire sur la place publique et publia un communiqué.
La révolution tunisienne avait démarré avec l'immolation par le feu, le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, justement, une ville déshérité dans l'arrière pays et sous l'emprise islamiste, d'un vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi. Un mouvement de protestation contre le chômage et la vie chère avait suivi, marqué par des émeutes sanglantes qui s'étaient rapidement propagées à tout le pays. Sous la pression des événements, le président Zine el Abidine Ben Ali, au pouvoir depuis 23 ans, avait cédé le pouvoir le 14 janvier 2011.
"Les années ont passé et les citoyens sont toujours frustrés des droits pour lesquels ils s'étaient mobilisés", estime dans un récent rapportune ONG tunisienne, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).
Cette organisation (2001) qui se dit non gouvernementale, neutre, indépendante de tout parti politique et de toute institution religieuse, a néanmoins pour but de "contribuer à la mise en oeuvre des droits économiques, sociaux et environnementaux en Tunisie, en soutenant les mouvements sociaux, en construisant le débat public sur la question du modèle de développement et en portant des alternatives grâce à son Observatoire social tunisien et à ses sections locales à travers le pays (dont 2 centres d’écoute et d’orientation pour les femmes à Kairouan et Monastir), et organise des manifestations, comme ce fut le cas le le 10 décembre 2017 devant l'ARP (Assemblée des Représentants du Peuple ), à l’occasion de la célébration de la journée mondiale des droits de l’Homme. Ce 'forum' est présidé par Messaoud Romdhani, élu au mois de septembre 2017 à la tête du FTDES et qui entama en janvier 2017 une grève de la faim illimitée, pour dénoncer la suppression de toute rétribution depuis sa nomination à la mi-avril 2011 comme membre de l'instance de Ben Achour, Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique.Le pays a gardé "le même modèle économique, avec les mêmes problèmes" qu'avant la révolution, polémique le président du FTDES, Messaoud Romdhani. "La situation ne cesse donc d'empirer". En dépit d'avancées démocratiques, "le chômage, la misère et les inégalités sociales et régionales se sont aggravées", assure le FTDES.
L'économie tunisienne a été durement affectée par l'instabilité consécutive à la révolution qui devait garantir des avancées sociales, et le tourisme, un secteur-clé, a souffert des attentats djihadistes qui ont frappé le pays en 2015, dans le sillage de cette révolution
L'Etat, en difficultés financières, s'est tourné vers le Fonds monétaire international.
Le FMI lui a accordé en 2016 des crédits de 2,4 milliards d'euros sur quatre ans, à condition qu'il réduise ses déficits budgétaires et commerciaux. Le taux de croissance devrait dépasser les 2% en 2017, mais le chômage des jeunes reste très élevé, dépassant les 35%, selon l'Organisation internationale du travail.
Le taux de scolarisation a lui régressé à 96%. Chaque année depuis 2011, 10.000 enfants abandonnent l'école primaire et 100.000 jeunes quittent collège ou lycée sans diplôme, souligne le FTDES. Et ces jeunes aspirent à migrer vers l'Europe francophone.
Preuve du désenchantement croissant, l'émigration clandestine a atteint à l'automne un pic jamais vu depuis 2011.
Lancée par l’opposition de gauche, la fronde s’affranchit peu à peu de toute étiquette politique et on retrouve le mode opératoire islamiste. Leur campagne vise la hausse des prix consécutive à l’augmentation de nombreuses taxes (TVA, droits de douane…). Plus généralement, les islamistes instrumentalisent le ras-le-bol général, dans un contexte économique particulièrement morose. Ainsi, de lundi à jeudi, de jeunes protestataires ont jeté pierres ou cocktails Molotov sur les forces de l'ordre qui ont riposté par des gaz lacrymogènes.
Un protestataire de 45 ans est mort à Tebourba. Vendredi, quelques centaines de personnes ont manifesté dans le calme à Tunis et à Sfax (centre) contre les mesures d'austérité. Ils ont brandi des "cartons jaunes" en guide d'avertissement au gouvernement à l'appel du mouvement "Fech Nestannew" ("Qu'est-ce qu'on attend"), instigateur de l'impatience populaire et initiateur de la contestation contre la hausse des prix.
La Tunisie continue néanmoins tant bien que mal à construire sa démocratie. Les premières élections municipales de l'après révolution, maintes fois reportées et attendues de longue date pour consolider la transition démocratique, ont été programmées pour mai 2018. Les élections législatives et présidentielle sont prévues en 2019.
Dans un rapport jeudi, le centre d'analyse des conflits ICG - une organisation - multinationale bien évidemment indépendante et sans but lucratif de plus de 80 employés répartis sur cinq continents... - qui analyse et produit des connaissances de terrain sur les conflits dans le seul but vertueux de les prévenir et de les résoudre, mais qui est soupçonnée de les créer - a justement souligné que la défiance entre les principaux partis de la coalition gouvernementale entraverait la mise en place des instances constitutionnelles. Ce centre a appelé à la création d'une Haute cour constitutionnelle avant les scrutins de 2018 et 2019.
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