Cachan, le capharnaüm.
Le squat vu le 28 août 2006 par Vianney Aubert qui raconte.
Ce qu'il faut, c'est aider à la structuration politique du mouvement», répète Mouloud Aounit aux militants qu'il croise devant le gymnase. Comme la plupart des porte-voix du mouvement pour la régularisation des sans-papiers, le secrétaire général du Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples) veut faire de Cachan, où il s'est rendu vendredi après-midi, un symbole de la résistance à la politique sur l'immigration du ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy. Dans le gymnase Belle-Image de la cité du Val-de-Marne sont réfugiés, depuis plus d'une semaine, quelque deux cents anciens occupants – dont une partie de sans-papiers – du plus grand squat de France, évacué par les forces de l'ordre le 17 août.
Mais Cachan n'est pas l'église Saint-Bernard. Pas pour l'instant. Les stars n'y défilent pas encore, la mobilisation politique reste faible – même si François Hollande envisage, selon son entourage, de se rendre sur place cette semaine. Cachan est, pour l'heure, un capharnaüm, un navire qui tangue dans la tempête sans véritable capitaine.
À l'intérieur du gymnase, sous la lueur blanchâtre des néons qui efface toute notion du temps, se pressent, sur un puzzle de matelas grisâtres, femmes et enfants comme les passagers résignés et épuisés que furent les boat people.
À l'extérieur, […) il y a ceux qui se disent libertaires, révolutionnaires, anarchistes ou simplement «citoyens du monde», et arrivent déjà grisés par le vent de la révolte. L'ambiance est à la lutte des classes. «Le jour où on s'unit, nous tous, les fils de prolos français et immigrés, on leur crache dessus et ils se noient», s'emporte un jeune garçon qui sautille au milieu de la rue comme un boxeur poids plume avant un combat. «Si tous les Noirs votaient pour le même candidat, je ne sais pas, n'importe lequel, par exemple Taubira, on nous prendrait en compte», ne cesse de répéter son voisin, obsédé par l'unité politique du peuple noir.
Il y a surtout les militants, arborant autocollants et badges des associations de défense des sans-papiers et des sans-logements (Droit au logement, Gisti, Cimade, Ligue des droits de l'homme...) […].seuls, en l'absence d'organisation humanitaire depuis que la Croix-Rouge a été jugée indésirable. «Elle nous a trahis, elle a aidé les CRS à l'évacuation en nous poussant dans les bus», explique un ancien squatteur. Malgré la dégradation des conditions sanitaires, personne au gymnase ne milite pour son retour.
«Sur le plan politique, il n'y a pas de problème, c'est couvert, on a tout le monde ; les associations font leur boulot d'agitation politique. Mais quand je vois Besancenot porter le sac d'une Africaine devant les caméras, ça me fait sourire, on aurait besoin d'un vrai coup de main humanitaire», juge Hervé Bourdin, conseiller municipal (Verts), venu, jeudi soir, accompagner le député-maire de Cachan, Jean-Yves Le Bouillonnec (PS). Il est plus de 22 heures quand le député entre dans le gymnase municipal qu'il a ouvert aux familles, au lendemain d'une première nuit où elles avaient campé dans la rue. Accablé par l'approche de la rentrée scolaire, il sait que le temps presse pour trouver une solution. Il les implore, sous des applaudissements qui ont un je ne sais quoi d'absurde, de négocier leur départ et de ne pas se situer dans une logique de confrontation entre l'État et les associations.
À sa sortie, Jean-Yves Le Bouillonnec s'emploie, d'un ton paternel et un brin démagogique, à convaincre Fidèle Nitiéma, délégué des ex-squatteurs de la cité universitaire : «Fidèle, les mamans, elles veulent partir, il ne faut pas qu'on me dise que ce sont elles. J'ai vu des femmes qui m'ont pris la main en me disant : «On veut partir.» Si c'est vous qui alimentez la peur, ça ne marchera pas. Il faut qu'on avance pour sortir de ce lieu avec les meilleures garanties, il n'y a pas d'ici au paradis.» Toujours souriant, l'énigmatique porte-drapeau des anciens squatteurs ne souffle mot, et laisse le maire repartir sans rien dévoiler de ses intentions. […]
Fidèle Nitiéma glisse de l'un à l'autre son air lunaire. Qu'on le sollicite pour chercher une camionnette pour apporter des victuailles, qu'on vienne lui donner des conseils sur l'attitude à adopter, il semble toujours absent, et ne parle que de temps à autre quand une caméra ou un micro se tend.
Parmi les anciens squatteurs, quelques voix, minoritaires, se font entendre pour critiquer son attitude et celle des autres délégués : «Ils se sont désignés eux-mêmes et ils ne rendent compte à personne. On ne sait pas ce qui se passe. On en a marre, nous sommes prêts à partir. Mais la plupart des délégués n'ont pas de papiers et ils associent la question du logement à celle des papiers.»
Fidèle Nitiéma, sans-papiers lui-même, a érigé en ligne de conduite : «Nous luttons ensemble, nous mourrons ensemble.» Depuis vendredi, il appelle à une reprise du dialogue avec la préfecture, avec laquelle tout contact est rompu depuis que les propositions qu'elle avait faites ont été rejetées en bloc. Parfois de curieuse façon, comme quand il déclare : «Quand on parle d'application stricte de la loi, c'est normal, la France est une République, mais il ne faut pas oublier le côté humain.»
Dans le même temps, les associations tentent d'ériger Cachan en symbole de la lutte contre la politique du gouvernement et durcissent le ton. «C'est une question politique, celle de l'immigration et des sans-papiers d'un côté, celle du logement de l'autre», déclare un porte-parole de Réseau éducation sans frontière (RESF). «Il faut créer un rapport de forces avec le gouvernement, avoir un appel des élus de gauche au président de la République», affirme Malika Zediri, conseillère régionale communiste, présente, chaque jour, aux côtés des anciens squatteurs.
Pour l'instant, les socialistes ne se bousculent pas pour répondre à l'appel.
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