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samedi 5 avril 2014

"Le maintien de Christiane Taubira est un affront démocratique", explique Philippe Bilger

Philippe Bilger revient dans Le Figaro sur la composition du nouveau gouvernement. 

La réponse du président de la République n'est pas à la hauteur, 
selon le président de l'Institut de la Parole.

Après le désastre des élections municipales pour les socialistes de gouvernement, on attendait autre chose dans le fond comme dans la forme.

Non pas un changement dans la nature même du projet puisque cette vision social-démocrate correspondait non seulement à la conception profonde du président mais, avec le pacte de responsabilité, à un possible soutien de la droite classique, grande gagnante des élections municipales.

J'entends bien que la gauche extrême, désirant dans sa pureté l'incarnation d'une idéologie de rupture, proclamait la nécessité d'une politique radicale et que le FN, sur un autre registre mais étrangement similaire sur le plan de la tonalité vindicative et dénonciatrice, aspirait à une orientation différente.

Mais personne ne doutait que François Hollande fût tenu par une constance à l'égard de soi et de ses options essentielles. Si le changement de gouvernement apparaissait inéluctable, ce que même un temporisateur habile comme le président avait été obligé d'admettre, personne n'était assez naïf pour croire qu'un Premier ministre reconduit ou nouveau serait décisif pour modifier une donne politique, sociale, économique et judiciaire plus que préoccupante.

Ce fut l'annonce de la nomination de Manuel Valls comme Premier ministre et ce fut tout

Tout de même, quelle déception, d'abord, que ces quelque sept minutes lénifiantes dans l'expression et sans élan dans le contenu proposées par le président de la République à la télévision. Il avait écouté mais guère entendu. Les considérations moralisatrices n'ont pas manqué, comme il se doit, avec sa volonté de combattre l'exclusion - le FN obsessionnellement et implicitement visé - à laquelle il a rajouté in extremis la lutte contre le communautarisme.

Un discours creux, vide, qui pâtissait d'une propension regrettable à prendre trop à la légère ce qui, pour le commun des citoyens, avait été perçu clairement comme un désastre et donc appelait des signaux forts et décisifs.

Ce fut l'annonce de la nomination de Manuel Valls comme Premier ministre et ce fut tout. Il était cohérent qu'il promût son ministre de l'Intérieur qui, au PS et lors de la primaire avait tenu courageusement la ligne social-démocrate. Peu importait que ce ministre par la suite ait échoué, il aurait été inconcevable qu'on tînt pour rien les efforts et l'ambition qu'il avait déployés pour se rendre indispensable, fût-ce en battant en brèche subtilement ou ostensiblement le pragmatisme honorable mais gris de Jean-Marc Ayrault !

Un gouvernement pour l'instant «resserré», de combat nous dit-on, mais peu ou prou constitué des mêmes têtes et avec des compétences distribuées au petit bonheur la chance avec, cependant, un porte-parole sans doute plus compétent et efficace que la précédente.

Quelques éléments surprenants, paradoxaux ou signifiants à retenir, toutefois.

Les écologistes ne font plus partie de ce gouvernement. Les deux ministres Cécile Duflot et Pascal Canfin moqués hier pour leur écartèlement entre conviction et pouvoir, entre solidarité et dissidence ont réussi à entraîner cette décision de refus de participation. Ils seront redoutables et vigilants dehors.

Le retour attendu, espéré par beaucoup, de Ségolène Royal. Quoi qu'on pense d'elle, la gauche n'est pas si riche en personnalités de caractère et d'expérience pour pouvoir encore se priver d'elle. François Rebsamen, qui aurait été remarquable place Beauvau, moins agité et plus efficace que son prédécesseur, se retrouve dans un ministère qu'il devra découvrir.

Benoît Hamon monte en importance et ministre de l'Education nationale, il sera - c'est à souhaiter - aussi attentif et précautionneux qu'il l'a été pour sa loi sur la consommation. Il serait dangereux que l'idéologie qu'on lui prête dans ce domaine et ses éventuels préjugés altérassent ce que son appréhension lucide du réel, son écoute et son intelligence lui dicteront.

Christiane Taubira est maintenue garde des Sceaux et c'est une véritable provocation judiciaire, un affront démocratique. Au cœur du débat municipal, il y avait aussi une revendication d'ordre et de justice. L'exigence d'une inversion des valeurs: que les véritables victimes des crimes et des délits soient reconnues et considérées et non que les transgresseurs le soient insidieusement à leur place. Une aspiration à ce que la mansuétude change de camp. Ce serait drôle si ce n'était déplorable pour la société: plus on est attaquée parce qu'on est mauvaise, plus on est protégée.

Le pouvoir ne s'est pas honoré en répondant si conventionnellement au défi qui lui a été lancé : il faut que rien ne change pour que rien ne change !

On a répondu au maelstrom des élections municipales par une politisation caricaturale, des compromis, la gestion féroce ou tactique de rapports de force, l'exclusion de certains qui auraient été bons et la nomination d'autres sans tenir aucun compte de leur compétence d'origine. Quasiment les mêmes, brassés dans un chaudron gouvernemental qui ne donne pas aux citoyens la rassurante conviction d'avoir été suivis.

Une honte politicienne, l'art de gouverner dans ce qu'il a de pire, tout de manœuvres et rien pour la flamme, un univers dépassé, décalé, une gifle claquée à la face du pays qui lui-même en avait donné une au pouvoir, sans l'ombre d'une équivoque ni d'échappatoire. Les grands espaces de la démocratie, avec les orages, les tensions et les leçons surgis de cette dernière bien au-delà des enjeux locaux, ont été pollués, banalisés, ridiculisés par une épicerie de boutiquiers jouant avec le peuple et pressés de se retrouver entre soi pour continuer comme avant.

La gauche ne sort pas grandie de cette inexécution républicaine. Il ne suffit pas d'accumuler les pactes - responsabilité, solidarité - pour que le seul pacte qui vaille, de confiance entre les gouvernants et les citoyens, advienne et transcende une démocratie à la peine. Le pouvoir ne s'est pas honoré en répondant si conventionnellement au défi qui lui a été lancé: il faut que rien ne change pour que rien ne change!

Demain, si une droite digne de ce nom revient aux responsabilités, qu'elle n'oublie pas cette leçon. On n'invente pas l'avenir en offrant un présent détestable pour oublier un passé désastreux.

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