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mercredi 5 juillet 2017

Livre noir : des procureurs dénoncent une "clochardisation" de la justice

Ils s'étaient tus sous Taubira et Urvoas, mais ils redonnent de la voix sous Macron 

Le Parquet milite pour son émancipation du gouvernement

Et ils interprètent pareillement les textes
Sans arrière-pensée politique, probablement, les procureurs reprennent la lutte. Dans un "livre noir du ministère public"dévoilé ce mardi, cahier de doléances et de propositions, ils dénoncent à nouveau la misère de leurs moyens humains : en France, les membres du Parquet sont quatre fois inférieurs à la moyenne européenne, pour des missions deux fois supérieures en nombre : engorgement garanti, d'autant que, sous Hollande, des effectifs importants ont été mobilisés pour harceler les ténors de l'opposition pendant cinq années.  
Ils pointent aussi la pauvreté ou l'obsolescence de leurs moyens matériels et donc un "retard incompréhensible de la justice en matière informatique".

Hollande sorti, notre justice serait digne d'un pays du tiers monde, "sinistrée, clochardisée".
A en croire ces procureurs, la problématique n'est pas que budgétaire ou corporatiste, quoique l'Allemagne consacre deux fois plus d'argent (par habitant) que la France au fonctionnement de son système judiciaire. La crise judiciaire serait aussi liée à une "hyper-inflation normative, législative ou jurisprudentielle". Depuis un quart de siècle, le code de procédure pénale a en effet triplé de volume, passant de 849 à 2.791 pages), tandis que les directives des ministres successifs de la Justice adressées aux parquets ont été multipliées par cinq, soit une centaine par an. 
En cause également, un Parlement populiste empilant les lois au moindre fait divers, "sans la moindre attention pour leur condition concrète de mise en oeuvre et de coût sur le terrain." 
Et ce n'est pas tout. Partisans de peines alternatives à l'emprisonnement, ils dénoncent la "pénalisation à outrance de nombreux comportements, solution commode à l'incapacité des administrations publiques à faire respecter les normes", contribuant à engorger un peu plus les tribunaux.

Les ministres Taubira et Urvoas ont caché la poussière sous le tapis

"Malgré une volonté de bien faire, chacun est navré de ne pouvoir traiter chaque affaire particulière avec le soin qu'elle mériterait," gémissent certains procureurs. En 2015, les magistrats du Parquet ont eu à traiter plus de 4,2 millions d'affaires (dont seulement un tiers finiront un jour devant un tribunal). Dans certains tribunaux, un seul procureur a en charge plus de 1.000 dossiers –impossible à traiter correctement, selon eux, sauf à gagner du temps en glissant la poussière sous le tapis, au désespoir ou à l'exaspération des justiciables. Libérer des personnels attachés à tracasser les membres de l'opposition simplement présumés coupables de toutes les turpitudes depuis des années contenterait ces procureurs exemplaires désireux de satisfaire le justiciable, mais ce serait aussi les priver d'une jouissance politicienne personnelle, si malveillante soit elle. 
Charles et Marie, les enfants Fillon, viennent d'être placés sous le statut de témoin assisté dans lequel l’ex-candidat de la droite à la présidentielle a été mis en examen. ils sont ressortis de leur audition avec ce statut intermédiaire, a affirmé mardi 4 juillet une source proche du dossier. Les magistrats ont considéré qu’il n’existe finalement pas à ce stade d’ "indices graves ou concordants" justifiant leur mise en examen. Que d'effectifs, de temps et d'argent gaspillés.
Ce coup de gueule des procureurs n'élude pas la question de l'indépendance du Parquet.
Placé sous la tutelle du Garde des Sceaux, au risque de voir la France se faire régulièrement critiquer par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), ils se disent néanmoins "libres et indépendants", alors que chacun sait que les parquets doivent faire remonter les informations jusqu'au ministère, lequel se défend d'exercer des pressions sur ses procureurs. 
Le "livre noir" de la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) ne s'attarde pas sur ce serpent de mer, ou avec une pudeur de pucelle. Pointant l'absence de "majorité qualifiée pour une réforme", tout en estimant qu'elle "semble voir le jour" après l'élection d'Emmanuel Macron à la présidence, il prône une "solution médiane", à défaut d'un grand soir constitutionnel : aligner le régime de nomination et la procédure disciplinaire des membres du Parquet sur celui des magistrats du siège. 
En résumé, confier les clés de la maison au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), dont l'avis n'est que consultatif s'agissant des parquetiers, le dernier mot revenant au final au ministère de la Justice : une cogestion, ministère-syndicats. Et de suggérer d'ajouter benoîtement le terme "avis conforme" dans les statuts du CSM.

Une question de constitutionnalité met la pression sur Macron

Promis par François Bayrou et Emmanuel Macron sans véritable engagement formel, c'est l'Union syndicale des magistrats qui tente d'avancer les horloges du grand soir en lieu et place de leur maître. Regroupant magistrats du siège comme du Parquet, l'USM - plus modéré que le Syndicat de la Magistrature (SM), mais seulement par comparaison - a déposé début juin une très pertinente question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil d'Etat : "L'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 est-il contraire à l'article 64 de la Constitution, ainsi qu'au principe de séparation des pouvoirs affirmé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789 ?"

L'article 5 en question établit que "les magistrats du Parquet sont placés sous la direction et l'autorité du Garde des Sceaux". Depuis, la jurisprudence de la Cour de Cassation et du Conseil Constitutionnel a eu l'occasion de proclamer "l'indépendance de l'autorité judiciaire, à laquelle appartiennent les magistrats du Parquet." Le basculement est prêt.

Saisi en référé de la QPC de l'USM, le Conseil d'Etat vient de renvoyer l'affaire au fond, pour un jugement à l'automne. 
"Il a botté en touche", grince un responsable syndical qui, en d'autres circonstances, justifierait les lenteurs de la justice par les nécessités de réflexion et de sérénité. Désormais, si le président Macron ne passe pas volontairement à l'acte à la rentrée, la justice administrative pourrait bientôt l'y contraindre… Liberté lui est laissée de choisir son calendrier.

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