La Maréchale Royal-Me Voilà-M’as-tu Vu.
La paranoïa nous guette.
Hier soir, passant devant une télé allumée, je suis frappé d’hallucination. Une figure blafarde en occupe tout l’écran : elle est blanche, elle incline la tête vers la droite et esquisse un vague sourire à la Joconde. Ce n’est pas une pub ? Je porte, je crois, la main à mon front et pense défaillir.
Je reprends mes esprits et ouvre les yeux. Elle est là, elle est toujours là : c’est elle, c’est bien elle, que je le veuille ou non. Ses lèvres bougent, mais je ne l’entends point. Si, bien sûr, elle parle. Mais que dit-elle ? Peu m’importe : un malaise m’envahit. Le pétrin en noyer roux est à portée de main ; je m’y appuie.
C’est bien çà. Mais que fait-elle chez moi ? Je ne l’ai pas, que je sache, invitée, ni ce soir ni jamais. L’ogresse est entrée sans sonner. Et de chercher autour de moi quelqu’un qui serait témoin, qui voie ce que je vois. Je me frotte les yeux et observe que le démon est en effet encore à la télé et que je n’en suis pas protégé par les portes fermées à double tour. Instinctivement, j’avance la main pour me protéger et éteindre la machine du diable. On se sent vulnérable tout à coup et trop peu maître de sa vie. Le destin s’acharne et vous nargue. La révolte monte en soi. Nous ne sommes nulle part à l’abri.
Mais, là où la vision m’était apparue montrant une face entourée de longs crins jais, lisses et tombant tristement, de la couleur du deuil, apparaît une image familière acceptée avec indulgence. Je devrais dire une moquette mitée à usage intensif. Non, c’est maintenant une moumoute de poils rares, courts et vaguement crépus, couleur fauve. Celle-ci rappelle une touffe pelée de poils pubiens et celle-là une queue de vache parée pour les comices agricoles. Ne manquent que des noeunoeuds roses. Un plan élargit me révèle le Poivre et la Maréchale et ne suis qu’à moitié rassuré, car la vue de la moitié noire et blanche me fait venir des papillons devant les yeux. La nausée va me reprendre et c’est cette fois le SAMU qui va envahir mon humble demeure. Se ressaisir… Il faut lutter !
Ainsi, elle pénètre partout sans crier gare, quand elle veut. Pas le temps de rentrer les enfants. Inutile de faire le 15 ou quel numéro ? Dans l’urgence, on ne sait plus. Il ne reste qu’à zapper en priant l’enfer de se la garder et de ne pas lui laisser occuper une autre chaîne. Incrédule, je passe malgré moi sur le service public : elle n’y est pas ? Décidemment, je me sens mal. Si elle n’est pas sur France 2, il se passe vraiment quelque chose et j’ai quelque raison de me faire du souci. Peut-être qu’eux non plus n’en peuvent plus ? Après tout les journalistes-fonctionnaires ont peut-être une part d’humanité. L’envie de tester cette idée folle m’envahit et j’envisage de vérifier sur la radio. Il se peut parfaitement qu’elle soit partout, n’est-ce pas ? La fatigue m’a gagné et il faut renoncer : ne pas céder à cette psychose. Il ne faut pas qu’elle arrive à ses fins.
Mais il reste qu’elle est forcément quelque part. Oui, c’est vrai, je perds la tête ; c’est elle que j’ai vue au 20 heures de TF1. Incroyable ! Voilà qu’elle ne répugne plus à se montrer chez Bouygues. Nous sommes perdus : elle gagne du terrain. C’est la marée noire. C’est ça ; il faut déclencher le plan ORSEC. Non : au secours ! Je ne veux pas être confiné chez moi, tout seul avec elle. Son François Flamby la laisse errer ici et là et apprécie chaque minute qu’elle passe loin, très loin de lui : c’est de la lâcheté. Là où la télécommande ne peut plus rien pour nous en débarrasser, il reste le compteur électrique. Coupons-le… Vade retro satanas ! Sauvés !
Notre équilibre est-il menacé ? La Maréchale, c’est la Big Sister de1984 par George Orwell. Elle est partout et nous voit : elle vous voit, où que vous soyez. Elle nous prend pour ses ‘proles’. Chut ! Les murs ont des oreilles ; elle écoute et vous entend… La bête immonde était tapie, elle est sortie de sa tanière. L’oie blanche s’est transmutée en monstre qui mange les petits enfants. Et leurs parents. C’est un cauchemar.
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