Les juges administratifs renforcent le pouvoir central contre la décentralisation
Les maires "ne peuvent, de leur propre initiative, prendre d’autres mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire" que celles décidées par l’Etat
Vendredi 17 avril, le Conseil d’Etat a ainsi limité le pouvoir des maires dans la lutte contre le coronavirus, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire... La plus haute juridiction administrative se prononçait en référé sur un arrêté municipal imposant le port du masque dans la commune de Sceaux (Hauts-de-Seine).De nombreux élus attendaient cette décision, espérant que les communes ne seraient pas pénalisées plus longtemps par l'absence de prises de décisions au sommet de l'Etat, mettant des vies en danger, du fait des lourdeurs administratives et au nom du respect de protocoles anciens, devenus inappropriés.
Ce sont en fait plusieurs maires qui ont décidé de prendre les devants pour rendre obligatoire le port de masques de protection, sans attendre de directives nationales.
C’est le cas à Nice, notamment, où le maire Christian Estrosi (LR), lui-même guéri du coronavirus, a annoncé, lundi 6 avril, que la ville allait livrer des masques réutilisables aux habitants à partir du 20 avril, et qu'il prendrait, dans la foulée, un arrêté "pour imposer un masque à chaque sortie".
Les magistrats du Conseil d'Etat ont un rôle consultatif et n'émettent que des voeux.
Cette haute autorité administrative théoriquement indépendante est présidée par ... le président de la République. Son vice-président qui joue le rôle de président au quotidien est nommé par le président en Conseil des ministres: nommé le 16 mai 2018, Bruno Lasserre est un homme du président. Comme directeur général des postes et télécommunications, entre 1993 et 1997. Il est l'un des principaux architectes des réformes des années 1990 du secteur des télécommunications en France, qui se sont traduites par une libéralisation du secteur, l'instauration d'une autorité de régulation indépendante et la privatisation de l'opérateur historique France Télécom.
Le Conseil d'Etat n'a aucun pouvoir: les juges administratifs parisiens conseillent le président.
Comme premier fonctionnaire de l'Etat, le vice-président présente au président de la République les vœux de l'ensemble des corps constitués, parlant au nom des trois fonctions publiques (de l'Etat, ...territoriale et hospitalière), de la magistrature, des autres agents publics et des services publics.
Mais ces magistrats se comportent en matière réglementaire comme le "conseil scientifique" en matière médicale: dans l'urgence de l'épidémie mortelle du coronavirus tueur, l'un et l'autre entravent la mise en oeuvre d'initiatives responsables adaptées aux situations locales.
Seules exceptions à ce principe posées par le Conseil d’Etat "des raisons impérieuses liées à des circonstances locales"...
Mais encore est-ce, "en même temps", "à condition de ne pas compromettre la cohérence et l’efficacité [des mesures] prises par les autorités de l’Etat". Les tribunaux ont donc du virus sur la planche jusqu'à la fin de la pandémie, et au-delà !
Le juge des référés a donc confirmé l’annulation de l’arrêté du maire de Sceaux.
Ainsi un voeu du Conseil d'Etat prend-il force de loi, sans débat ni vote du Parlement., puisque ce juge affirme solitairement que les circonstances invoquées par l’élu "ne constituent pas des raisons impérieuses."
C'est ce juge administratif de l'urgence qui, bien que non élu, impose la volonté du pouvoir central à un élu du peuple. Et, en l'occurrence, il décide - contre l'avis du maire, lequel n'e peut faire valoir ses motifs de sa décision initiale - que rien ne justifie que soit imposé le port du masque dans l’espace public de la commune [de Sceaux], alors que les autorités de l’Etat n’ont pas prévu une telle mesure à l’échelle nationale".
Le Conseil d'Etat ne veut voit qu'une seule tête.
Cette juridiction napoléonienne - bras armé de l'Administration - va même au-delà d'une appréciation des faits, puisqu'il anticipe que l’arrêté du maire "risque de nuire à la cohérence [?] des mesures prises, dans l’intérêt de la santé publique, par les autorités sanitaires compétentes".
La cohérence est-elle démontrée? Et si elle l'est, qui sont ces magistrats qui peuvent affirmer que vérité en-deçà de Paris est une erreur au-delà, d'après la pensée de Pascal ?
Un avis en forme de condamnation
L’arrêté du maire de Sceaux est "de nature à introduire de la confusion dans les messages délivrés à la population par les autorités sanitaires", accuse le Conseil d’Etat.
"Il y a une raison impérieuse qui est de sauver des gens"
La Ligue des droits de l’homme (LDH), qui avait saisi le tribunal contre l’arrêté, a, elle, salué cette décision de suspension de l'arrêté.
"La LDH constate avec satisfaction que le Conseil d’Etat consacre son interprétation de loi en limitant le pouvoir de police général des maires durant l’état d’urgence sanitaire", a réagi son avocat, Patrice Spinosi. "Cette décision fait jurisprudence et a vocation à être déclinée sur l’ensemble du territoire, a-t-il estimé. Elle condamne définitivement les multiples initiatives des maires pour aggraver les mesures prises par le gouvernement dans le cadre du confinement et du déconfinement."
"Le Conseil d’Etat éradique la capacité des maires à pouvoir protéger leur population mieux que ne le fait l’Etat en disant que l’Etat est seul juge de sa capacité à protéger les gens. C’est quand même assez grave", a réagi Philippe Laurent, maire UDI de Sceaux et secrétaire général de l’Association des maires de France (AMF). "Il y a une raison impérieuse qui est de sauver des gens et le Conseil d’état ne reconnaît pas ça", a-t-il déclaré.
A la suite de Sceaux, d’autres villes avaient envisagé de prendre des arrêtés similaires. Début avril, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, avait fait part de son opposition à ce type de décision.
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