Macron clôture à Nancy le stage de formation de ses députés novices
La Meurthe-et-Moselle, supérieure au 7e arrondissement de Paris
Le chef du gouvernement et ses ministres se sont délocalisés dans une belle province de Macron 1er, petit père de toutes les régions, vendredi et samedi, pour discuter la "feuille de route" du début du quinquennat. Nancy a eu l'immense honneur d'abriter un séminaire gouvernemental en forme de stage de "renforcement d'équipe" ("team building", pour les admirateurs de la langue américaine).
Le concept de 'team building' est né dans les années 80 et se fondait alors sur de nombreux travaux des années 60, comme les "étapes de Tuckman," du nom du père du "forming–storming–norming–performing model" de développement du groupe considéré. Il a pour objectif de rendre les équipes plus efficaces en resserrant les liens au sein des équipes. Le jeune président trentenaire y a recours 30 ans et 50 ans plus tard, par nécessité. En effet, son équipe de législateurs est hétéroclite, inexpérimentée et informe.
Or, les techniques de 'team building' visent donc à resserrer les liens entre les membres d'une équipe, quand cette équipe existe. Mais comme la sienne est à l'état de pâte à modeler, Macron 1er doit lui donner forme et lui insuffler l'esprit d'équipe qu'il veut pour elle. Nancy est le lieu choisi pour ce formatage des esprits, en favorisant la gestion du stress et la cohésion entre ses membres par un environnement favorable au travail collectif, à travers des activités de jeux de management, d'activités sportives, culturelles, artistiques ou créatives. Un 'boot camp', diront certains, où sont mises en place des situations dans lesquelles les acteurs seront mis à contribution pour atteindre un but collectif, faire preuve de solidarité, communiquer, résoudre des problèmes et prendre des décisions de façon collégiale ou tout simplement partager un bon moment. Les pratiques de renforcement d'équipe sont au nombre de trois : la récompense, l'intégration de nouveaux collaborateurs et la gestion de crise...
Le séminaire de Nancy est aussi l’occasion pour Edouard Philippe de commencer à dessiner son style comme premier ministre. Une nécessité, là encore, puisque l'hyper-président lui brûlera la politesse lundi lors du rassemblement des deux chambres du Parlement en Congrès à Versailles, la veille de sa propre déclaration de politique générale devant les députés. Macron 1er, tsar de toutes les régions, affirmera à Nancy sa prééminence sur son collaborateur de Matignon.
Edouard Philippe et plusieurs membres de son gouvernement ont assisté vendredi soir au spectacle Sons et lumières donné, comme chaque été par la préfecture de Meurthe-et-Moselle, devant les façades XVIIIe siècle illuminées de l’hôtel de ville, au milieu des riverains et des touristes surpris de les trouver là. Le gouvernement s’est offert, vendredi et samedi 1er juillet, un week-end découverte en Lorraine : voyage en train tous ensemble et nuit à l’hôtel (sauf pour le premier ministre logé en préfecture).
Deux jours durant, le chef du gouvernement et ses ministres se sont délocalisés en province pour ce "séminaire de travail" à huis clos (cf. le "bunker", ci-contre), au cours duquel chacun a évoqué sa "feuille de route" pour le début du quinquennat.
L’occasion aussi pour Edouard Philippe d'effectuer ses débuts de chef de la majorité dominée par La République en marche, à la veille de sa déclaration de politique générale, mardi 4 juillet devant l’Assemblée nationale.
Pendant ce temps, le président de la République, Emmanuel Macron, assiste à Strasbourg à la cérémonie européenne en mémoire de l’ancien chancelier allemand Helmut Kohl ou inaugure la nouvelle ligne TGV entre Paris et Bordeaux (en plus du Paris-Rennes).
A Nancy, l'ambiance rappelle celle des séminaires de cadres de grandes entreprises
"Un moment de rencontre et de partage" pour "souder un esprit de cohésion", tente de théoriser le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner. " Nous retrouver tous ensemble pour mieux nous connaître et pour dresser un constat partagé sur la situation du pays", résume le premier ministre, dissimulant mal une opération de formatage des esprits à l'unanimisme de groupe. Edouard Philippe raconte qu'il a voulu "s’extraire des soubresauts du temps court", citant l’historien Fernand Braudel. On comprend dès lors que les journalistes des chaînes d'information en continu soient inadaptés et exclus de ce huis clos de Nancy.
Les media en sont réduits à couvrir l'écume de l'événement.
La fine équipe Philippe II a donc partagé un "dîner de travail" avec des "héros du quotidien", dixit le même Castaner, vendredi soir, dans une tentative de perfusion de courage et d'expertise. Dans le huis clos des gens de La République en marche, les héros ont raconté "leurs expériences personnelles inspirantes pour tous". Parmi ces invités, Jean-Marie Schleret, l’ancien député de Meurthe-et-Moselle engagé dans l’action sociale et solidaire, Céline Lazorthes, fondatrice de la start-up de paiement en ligne Leetchi, ou l’académicien Erik Orsenna. L’écrivain, ancien conseiller à l’Elysée sous François Mitterrand, a mis en garde, avec humour, les ministres contre "la vanité du pouvoir". "Il nous a fait tout un topo sur la prison que peut devenir un ministère et sur le risque d’enfermement du pouvoir", rapporte un participant.
Mais l'étoile du week-end d’intégration du gouvernement Philippe a été l’astronaute français Thomas Pesquet (ci-contre à gauche). Convié par le premier ministre, "Thom Astro" a raconté sa mission de six mois sur la station spatiale ISS. "Je viens partager mon expérience et les points communs qu’il peut y avoir entre une mission spatiale et diriger la France", a expliqué le scientifique, légèrement flottant dans sa tentative de rapprochement sur commande. "On était comme des gosses !", confiera après le repas un ministre anonymé, avouant que plusieurs membres du gouvernement n’ont pas résisté à prendre des selfies avec l’astronaute ou à lui demander des autographes pour leurs enfants. Séminaire de travail, disiez-vous ?
L'exécutif, une 'Belle Alliance Populaire' ?
G. Collomb ne semble pas vraiment intégré |
Face à un chef de l’État omniprésent, Edouard Philippe a essayé de profiter du séminaire pour se poser en animateur du gouvernement. "Une équipe complémentaire, motivée, avec un bon esprit. Je suis ravi d’être à sa tête", a-t-il confié à la presse, vendredi soir devant un demi de bière, attablé en terrasse place Stanislas avec plusieurs de ses ministres. Du pain béni pour Paris Match, Closer ou Public...
Autour de lui, s’affiche la jeune garde gouvernementale, avec les "Macron boys," Benjamin Griveaux, 39 ans (ci-contre à gauche), Julien Denormandie, 37 ans, et Mounir Mahjoubi, 33 ans, tous secrétaires d'Etat, et les ralliés venus de la droite, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu et Jean-Baptiste Lemoyne. Les vieux de la vieille, Jean-Yves Le Drian, 70 ans, Gérard Collomb, 70 ans, ou Bruno Le Maire, 48 ans, en revanche, avaient préféré regagner leurs chambres d’hôtel.
Le chef du gouvernement prépare son discours devant les parlementaires mardi. La veille, lundi 3 juillet, Emmanuel Macron s’adresse au Congrès depuis Versailles, au risque de lui couper l'herbe sous le pied, bien que Castaner les déclare tous deux bien "en ligne". Le premier ministre nie d'ailleurs tout esprit de compétition dans le duo exécutif, ce qui est bien naturel à l'issue d'un weekend d'intégration: "Le président va fixer le cap, lundi; moi j’expliquerai mardi comment on atteint ce cap", résume-t-il.
Les Républicains du gouvernement à la peine
Remettre de l’ordre dans les comptes publics de Hollande
Philippe se voûte dangereusement |
Les trois prises de Macron à la droite ne sont pas à la fête. Alors que Didier Migaud, le président de la Cour des comptes, était venu samedi matin à Nancy pour disserter devant le gouvernement sur la situation des finances publiques (et François Molins, le procureur de la République de Paris, sur la politique de lutte antiterroriste), le premier ministre avait connaissance du "rapport extrêmement sévère et critique" de la rue Cambon pour préparer l’opinion à des économies supplémentaires et atteindre les 3 % de déficit à la fin de l’année. "
Après cinq années de socialisme, la France est le dernier pays en Europe à ne pas avoir équilibré ses comptes publics. "Nous sommes en déficit permanent depuis 1974. On va remettre un peu d’ordre dans les comptes publics", prévient depuis Nancy Edouard Philippe, évoquant "une question de souveraineté" pour le pays.
L’exécutif revendique un "discours de vérité"
Ce qui avait été reproché à F. Fillon, lorsqu'en septembre 2007, il s'était déclaré "à la tête d'un État "en situation de faillite", est aujourd'hui vanté. L'ex-maire juppéiste de Rouen refuse d'ailleurs de préciser l’ampleur et le ciblage des futures coupes budgétaires : retraités, handicapés, etc ? Bruno Le Maire devra trouver 8 à 9 milliards d'euros d'économie avant 2018 pour pallier les effets de la politique de Hollande et Sapin qui ont laissé filer les dépenses, quand ils ne l'ont pas organisée, et le premier ministre a annoncé des coupes budgétaires drastiques ... "suite au rapport du Président de la Cour des Comptes", lit-on, bien qu'il n'en soit évidemment en rien responsable.
Le 29 juin, le gouvernement a déjà annoncé le gel du point d’indice des salaires des fonctionnaires, à la stupéfaction des syndicats que Darmanin n'a pas consultés, mais cela sera insuffisant pour rattraper le "dérapage" de 9 milliards d’euros attribué par la Cour des comptes au précédent quinquennat de François Hollande. Le premier ministre n’a "aucun domaine sur lequel il s’interdit de se poser des questions", ont précisé - dans un insupportable charabia - les technocrates de son entourage depuis Nancy.
L’annonce du gel du point d’indice, qui sert à calculer le traitement des fonctionnaires, n’étonne pas vraiment les syndicats mais elle cause un profond mécontentement chez la plupart d’entre eux. C’est la méthode, tout d’abord, qui a déplu : "Le ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a fait le choix d’aller devant les media pour dévoiler cette décision alors qu’il avait affiché son souci du dialogue, lorsqu’il nous avait reçus, le 23 mai", déplore Jean-Marc Canon (CGT). "C’est une déclaration choquante, sur la forme comme sur le fond, enchaîne Mylène Jacquot (CFDT). Elle se situe en dehors des modalités habituelles du dialogue social."
Christian Grolier (FO) dit "ne pas être surpris". "Nous n’avions aucune illusion sur le programme libéral d’Emmanuel Macron", assène-t-il. Et M. Darmanin, peu après sa prise de fonctions, avait assez clairement laissé entendre qu’il n’y aurait "pas de nouvelle augmentation de la valeur du point, en 2017, après celle de 0,6 % entrée en vigueur en février", poursuit-il.
Mais les propos du ministre vont plus loin, celui-ci ayant indiqué, vendredi, qu’il n’y aurait aucun coup de pouce au moins jusqu’en 2018. Résultat : des "pertes de pouvoir d’achat" pour les fonctionnaires, souligne M. Grolier (FO). C’est la preuve que "le prisme comptable va peser sur ce ministère", s’indigne Bernadette Groison (FSU), en fustigeant une décision "aussi injuste qu’inefficace" qui va "bloquer la rémunération de 20 % de la population".
Matignon interdit néanmoins de parler d’austérité.
Hotel Mercure de Nancy |
La Cour des comptes a épinglé l'"insincérité" du dernier budget de Hollande, ce qu'en langage courant, on appelle "mensonger" (sous-budgétisation de certains ministères, la recapitalisation d’Areva, et le rendement plus faible qu'annoncé de la régularisation fiscale des contribuables fraudeurs dans des paradis fiscaux) mais que les fonctionnaires et les retraités seront les premiers appelés à éponger, sans la contrepartie d'un carton d'invitation à la 'garden party' de Nancy.
Quelle sera la prochaine catégorie à son tour essorée comme "variable d'ajustement" du budget 2018 et des suivants ? "On ne va pas faire du sang et des larmes, mais on va prendre des décisions courageuses qui ne seront pas toutes forcément populaires", réplique un proche anonyme d’Edouard Philippe. Un équilibre qui s’annonce difficile à trouver.
Du sang et des larmes, mais en silence, SVP...
Il est donc urgent que les syndicats se mettent au "team building" pour une meilleure défense des Français.
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