Les socialistes veulent limiter notre liberté d'expression
Une séparation des pouvoirs, à la façon des pays totalitaires
Mardi soir, en commission des Lois, les députés de la majorité ont voté le blocage administratif de sites faisant l'apologie du terrorisme, et sans que la justice puisse contrÎler les éventuels abus. L'Assemblée devra se prononcer en séance pléniÚre mi-septembre sur l'ensemble du projet de loi de lutte contre le terrorisme. Si le but est apparemment louable, dans l'esprit des blocages prévus pour lutter contre la pédopornographie, la mesure socialiste fait peser une deuxiÚme menace contre les libertés. La France de Hollande ambitionne de s'aligner sur la Tunisie de Mongi Marzouk, qui annonça en septembre 2012 que le gouvernement travaille à mettre le réseau Internet sous contrÎle, lui aussi pour des raisons de sécurité.
Quelques heures avant le vote, une commission spĂ©cialisĂ©e avait pourtant durement contestĂ© le projet du ministre de l'IntĂ©rieur, Bernard Cazeneuve. Dans sa recommandation, cette commission de rĂ©flexion sur le droit et les libertĂ©s Ă l'Ăąge du numĂ©rique, crĂ©Ă©e en fĂ©vrier pour Ă©clairer les parlementaires sur ces questions, rappelle que "le prĂ©alable d'une dĂ©cision judiciaire apparaĂźt comme un principe essentiel, de nature Ă respecter l'ensemble des intĂ©rĂȘts en prĂ©sence, lorsqu'est envisagĂ© le blocage de l'accĂšs Ă des contenus illicites sur des rĂ©seaux numĂ©riques".
Co-prĂ©sidĂ©e par le dĂ©putĂ© socialiste de la NiĂšvre, Ă la gauche du PS, Christian Paul et l'avocate Christiane FĂ©ral-Schuhl, la commission oppose notamment le problĂšme de faisabilitĂ©, le blocage des sites Ă©tant trĂšs difficile Ă mettre en oeuvre. Mais le projet est bien parti pour ĂȘtre validĂ© en septembre, d'autant qu'il est trĂšs cher au Premier ministre Manuel Valls, qui avait dĂ©jĂ fait un pas dans cette direction lorsqu'il Ă©tait Place Beauvau. Aujourd'hui, comme pour tous les projets de loi concernant les libertĂ©s sur Internet (Hadopi, Loppsi 2, Loi de programmation militaire, etc.), quelques dĂ©putĂ©s de tous bords qui ont compris le fonctionnement d'Internet semblent d'abord dĂ©terminĂ©s Ă s'opposer Ă l'Ă©ternel fantasme de contrĂŽle d'Internet, mais finissent par s'aligner: les apparences d'un dĂ©bat sont sauvegardĂ©es...
Contournable en un clic
Comme dans des pays hautement dĂ©mocratiques comme la Chine, Cuba ou la Libye qui pratiquent dĂ©jĂ la censure d'Internet, la commission craint un contournement facile du blocage. L'utilisation par les internautes de rĂ©seaux privĂ©s virtuels (VPN), par exemple, leur permet - en quelque sorte - de se connecter de façon chiffrĂ©e via le rĂ©seau d'un autre pays et donc d'Ă©chapper aux blocages dĂ©cidĂ©s par un Ătat ou par un autre. Ces services, qui coĂ»tent quelques euros par mois et rapportent gros Ă leurs crĂ©ateurs, sont souvent Ă©trangers, et parfois fournis par des rĂ©seaux mafieux. Leur utilisation a explosĂ© en France depuis la mise en place du gendarme du piratage, la Hadopi.
Les outils destinĂ©s aux cyber-dissidents, comme l'excellent Tor, permettent aussi d'Ă©chapper Ă la censure, gratuitement et en un clic. L'utilisation de Tor explose dans les grandes dĂ©mocraties, de plus en plus adeptes de la cybercensure. Il devient ainsi plus difficile de repĂ©rer les activitĂ©s illĂ©gales. Lors d'un prĂ©cĂ©dent projet de censure des sites terroristes en 2013 dĂ©jĂ voulu par Manuel Valls, le juge antiterroriste Marc TrĂ©vidic avait expliquĂ© que c'est justement grĂące aux imprudences des terroristes sur Internet que la police peut les repĂ©rer et les arrĂȘter...
Des mesures "disproportionnées" et "inefficaces"
La commission craint par ailleurs les blocages de contenus par erreur, c'est-Ă -dire l'inscription sur la liste noire de sites n'ayant rien Ă voir avec le terrorisme ou la pĂ©do-pornographie, comme cela a Ă©tĂ© prouvĂ©, par exemple en Australie. Le "retrait du contenu auprĂšs des hĂ©bergeurs doit ĂȘtre privilĂ©giĂ© sur le blocage lorsque ces derniers sont coopĂ©ratifs", estime la commission.
Plusieurs autres voix se sont élevées contre le projet de loi socialiste. Reporters sans frontiÚres (RSF), qui n'a pas pour habitude de critiquer la France, n'y va pas de main morte. Selon son communiqué, le texte "pourrait engendrer un recul de la liberté d'information puisqu'il (...) prévoit le blocage administratif de sites internet et augmente les mesures de surveillance".
Comment autoriser des rassemblements politiques à risques, tels les défilés pro-palestiniens, et interdire des lieux d'expression sur l'Internet? "C'est un test majeur pour la défense des droits et libertés contre l'instauration de mesures trÚs graves de police préventive de l'intention, contournant le judiciaire au nom de la lutte contre le terrorisme", dénonce pour sa part le collectif citoyen La Quadrature du Net. "L'ensemble de ce projet de loi instaure un état d'exception permanent d'Internet, contournant largement le juge pour s'orienter vers des solutions policiÚres et administratives, non contradictoires, disproportionnées et pour la plupart inefficaces", poursuit l'association.
Un revirement incohérent
"L'adoption de ce projet de loi par une majorité qui avait autrefois combattu ces dispositions inspirées du programme de Nicolas Sarkozy illustre l'acceptation générale par la classe politique d'un abandon du pouvoir judiciaire au profit de la police et de la généralisation des mesures d'exception. Citoyens et organisations de la société civile doivent se mobiliser pour lutter contre la banalisation des atteintes aux libertés fondamentales !" explique Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de La Quadrature du Net.
Des concessions inutiles
Tenant compte en partie des critiques, le rapporteur du texte, SĂ©bastien Pietrasanta (PS), un professeur auteur d'une thĂšse sur "Bergery, DĂ©at et Doriot et lâencadrement de la jeunesse", a fait adopter un amendement prĂ©voyant que "la demande de blocage d'un site devra obligatoirement ĂȘtre prĂ©cĂ©dĂ©e par une demande adressĂ©e Ă l'Ă©diteur du site ou, Ă dĂ©faut, Ă son hĂ©bergeur de retirer le contenu illicite". "Ce n'est qu'en l'absence de retrait dans un dĂ©lai de vingt-quatre heures que l'autoritĂ© administrative pourra faire procĂ©der au blocage du site par les FAI", prĂ©cise-t-il.
Un autre amendement de S.Pietrasanta prévoit de confier à une personnalité qualifiée, désignée par la CNIL, "la mission de vérifier que les contenus dont l'autorité administrative demande le retrait ou que les sites dont elle ordonne le blocage sont bien contraires aux dispositions du Code pénal sanctionnant la provocation au terrorisme, l'apologie du terrorisme ou la diffusion d'images pédo-pornographiques". Cette personnalité pourrait, si l'autorité administrative ne suit pas sa recommandation, saisir la juridiction administrative.
L'Ătat, bientĂŽt promoteur des sites terroristes
Mais ce contrĂŽle des sites bloquĂ©s impliquerait la publication de la liste noire, ou du moins sa circulation dans des cercles qui, s'ils sont restreints, ne resteront pas Ă©tanches au fuitage. L'Ătat offrira alors une publicitĂ© inespĂ©rĂ©e aux sites qu'il souhaite bloquer, car Ă l'Ăšre des WikiLeaks et autres Edward Snowden, la diffusion de la liste ne sera qu'une question de temps. C'est ce qu'on appelle sur Internet l'effet Streisand : quand on veut Ă tout prix Ă©touffer quelque chose, on finit par le promouvoir. Dans ce cas, l'Ătat aura gentiment constituĂ© les marque-pages du parfait petit terroriste pornographe amateur.
Les dĂ©putĂ©s godillots seront-ils en soudaine capacitĂ© de reprendre leurs esprits d'ici l'examen en hĂ©micycle mi-septembre, et de considĂ©rer enfin Internet comme un espace sur lequel il suffit d'appliquer les lois existantes, sans en crĂ©er de nouvelles ?... Une Ă©vidence qui Ă©chappe aux bons petits soldats du PS qui, dans le mĂȘme temps, votent le projet de simplification la vie des entreprises: plus les socialistes parlent de cohĂ©rence, plus elle leur Ă©chappe.
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