vendredi 9 janvier 2009

Juge de l'instruction: l’opposition dénonce le "flou" d’un projet

Mais les co-gestionnaires impénitents le dénaturent
Créée par Napoléon, la fonction de juge d'instruction change, mais le conservatisme des magistrats reste intact et ils se cramponnent. Comme l'a observé la Garde des Sceaux, Rachida Dati, au Sénat mercredi, la réforme "a suscité beaucoup d'interrogations" chez les réactionnaires: elle a dû leur promettre "la plus grande concertation".
Outre de vives critiques, la reconversion du juge d'instruction fait naître de nombreuses interrogations dans ce milieu fermé, qui extériorise ainsi sa peur de l’avenir, sa frilosité sous l'hermine de son costume d'apparat d'un autre âge. Ils dénoncent donc le "flou" du dispositif que le chef de l'Etat soumet pourtant tout juste au débat.

Une seule chose est sûre : le juge d'instruction, magistrat indépendant, va devenir le "juge de l'instruction", qui sera l’œil extérieur désormais responsable de la coordination et du contrôle du bon déroulement de l'enquête.

Les protestations préliminaires
> Inquiets du changement et de leur reconversion, les juges d’instruction, dont la toute puissance a été stigmatisée lors de différentes affaires, comme à Béthune ou à Outreau, brandissent des a priori. Avant même que le texte du projet ne soit connu et que le débat n'ait commencé, ils polémiquent déjà sur l’idée que la direction des investigations resterait exclusivement entre les mains de magistrats du parquet, soumis hiérarchiquement au ministère de la Justice, suggérant ainsi que leurs collègues parquetiers seraient influençables.

> Le bien peu modéré Syndicat de la magistrature (SM, gauche) lâche déjà ses commentaires : "une régression démocratique". Le SM rappelle une décision récente de la Cour Européenne des droits de l'homme affirmant que "le procureur n'est pas une autorité judiciaire", car "il lui manque l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif".

La Ligue des droits de l'Homme (LDH) a dit craindre "une des plus graves régressions de ces dernières années" en matière d'équilibre entre l'accusation et la défense. Avec eux, la dernière réforme est toujours la plus grave.

Le Nouveau Centre (NC), allié de l'UMP, a demandé que la suppression du juge d'instruction s'accompagne d'une "indépendance totale" des magistrats du parquet, un thème qui fera comme le reste l’objet de discussions.

Outre ces protestations sur le risque de "concentration des pouvoirs" dans les mains de l'exécutif, le monde judiciaire soulignait aussi, à l'instar de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), le "flou" de l'annonce présidentielles, notamment sur les moyens humains et matériels. Les juges existent : ils ne disparaîtront pas mais se reconvertiront.
Imaginons seulement leurs cris d'orfraie si plus rien ne restait à discuter...

Que des impossibilités, selon les co-gestionnaires !
  • Elle met tout en doute : du « vrai dialogue » à la «véritable égalité », rien ne serait réalisable, selon les syndicalistes suspicieux.
    Comme pour démontrer la politisation du débat dans le même registre, Elisabeth Guigou, ancienne garde des Sceaux PS voit dans la reconversion du juge d'instruction un risque de "justice à deux vitesses"

    Il est ‘vrai’ que la profession est très décriée, mais un avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) du 11 mars 2004 sur « les mesures qui pourraient être prises pour mieux garantir l’autorité judiciaire contre la mise en cause injustifiée de tel ou tel de ses membres »affirme que « les demandes répétitives en récusation ou en renvoi peuvent être dirigées contre un même juge ou une même juridiction, de façon quasi obsessionnelle, par un justiciable particulièrement vindicatif, voire déséquilibré ».
  • Des obstacles matériels
    1- Il est prévu de nouvelles audiences collégiales et publiques pour statuer sur les mises en examen et les placements en détention provisoire, mais "les tribunaux n'ont pas assez de place pour accueillir des audiences supplémentaires", a fait valoir Christophe Régnard, président de l'USM.

    2-"Quels seront les moyens mis en oeuvre pour une véritable égalité des armes entre accusation et défense ?", s'est interrogé de son côté Pascal Eydoux, président de la Conférence des bâtonniers (avocats de province).
  • Des obstacles financiers
    1- "La défense doit pouvoir exiger du parquet ou de la police un certain nombre d'actes, comme par exemple des contre-expertises ", a-t-il insisté.

    2- Le député PS Dominique Raimbourg, avocat de profession, a souhaité que l'Etat puisse prendre en charge " les frais d'enquête " engagés à la demande des personnes mises en cause ou victimes.
  • Occultation du rôle du juge de l’instruction
    Une autre interrogation de l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI) ou juge d'instruction napoléoniens: que deviendra la possibilité qu'ont actuellement les victimes de faire ouvrir "une enquête après une décision de classement sans suite du parquet" ? "Que feront les victimes quand elles voudront se plaindre et que le parquet ne déclenche pas l'action?", renchérit Me Eydoux.
    Cette réforme a été annoncée alors même que les conclusions de la commission installée à la mi-octobre pour plancher sur une refonte du système pénal "sont encore attendues", s'est enfin étonnée l'Association des jeunes magistrats (AJM). Décidemment bien jeunes, ils confondent ‘projet’ et ‘loi’, ce qui laisse du temps pour le débat et les promenades rituelles à travers nos villes.

    Les garanties nouvelles dont on ne parle pas
  • 1- La présence d'un avocat est rendue obligatoire lors du débat contradictoire pour décider de la détention préventive.

    2- Concernant la publicité du débat contradictoire, le secret de l’instruction est aménagé : auparavant, la demande de publicité émanait de la personne mise en cause et se traduisait par un communiqué de presse. La loi de mars 2007 rend le débat contradictoire public, permettant d'éclairer sur les causes de la détention provisoire. Il est possible de s'opposer à la publicité des débats, par exemple en cas de risque d’entrave à la justice, si la victime le demande (comme c’est le cas pour le procès), ou si la personne poursuivie s'y oppose (risque d’atteinte à la présomption d’innocence).

    3- Une audience de contrôle devant la chambre d’instruction est crée.
    Elle permet de:
    - Renforcer les droits des parties et le caractère contradictoire de la procédure
    - Contestater la présomption d’innocence : possibilité de devenir témoin assisté, au fur et à mesure de l’évolution du dossier ;
    - Demander une confrontation ;
    - Renforcer le caractère contradictoire de l’expertise : les avocats pourront désigner un contre expert. Les craintes du président de la Conférence des bâtonniers (cf. supra) sont-elles fondées ? ;
    - Renforcer le caractère contradictoire des informations avant l’audience : l’avocat pourra faire valoir des éléments avant l’audience ;
    - Accélérer les procédures : suppressions des procédures inutiles (un particulier peut saisir le juge pénal ; si des poursuites étaient engagées, pour entraver certains procès, le pénal bloquait les autres jugements au risque d’encombrer inutilement les juges d’instruction ; le non lieu sera plus facile en cas de plainte manifestement « inutile ») ;
    - Effectuer un enregistrement audiovisuel (mis en place au 1er juin 2008) pendant les gardes à vue et l'instruction pour les crimes ; existe déjà pour les mineurs ; cette mesure peut être interprétée comme une défiance à l’égard de la justice mais peut aussi servir de garantie et préviendrait d'éventuelles contestations.

    Le tableau n’est pas aussi noir que les robes de magistrats

  • Alors, le projet de loi contient dix-sept articles dont la mesure l’une des plus importantes est l’enregistrement audiovisuel obligatoire des gardes à vue dans les affaires criminelles, et encore à l’exclusion des plus graves, c’est-à-dire celles qui concernent le terrorisme et le crime organisé.

  • La création de Pôles d’instructions dans certains TGI (tribunal de grande instance) n’est pas une avancée que l’opposition peut ignorer, si elle veut être crédible dans le débat : la co-saisine de plusieurs juges sera plus facile, du fait de la création de pôles d’instruction en mars 2008 : les trois magistrats devront saisir le JLD (juge des libertés et de la détention) pour une mise en détention provisoire, avec intervention du procureur.
  • La ministre de la Justice, Rachida Dati, a d’ailleurs précisé qu'elle recevrait lundi le président de la commission, le magistrat Philippe Léger, afin de "revoir son calendrier" de travail.

    Le dialogue s’ouvre, mais s'engage mal, puisque s’il s’agit d’ "exiger" comme le fait Pascal Eydoux, président de la Conférence des bâtonniers. Il faut en effet s’attendre à ce que la Garde des Sceaux débatte dans le cadre du projet du Président de la République que les Français se sont choisis.
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