mercredi 22 janvier 2014

Abdel Raouf Dafri déchire le système audiovisuel français

Le scénariste d'origine algérienne lacère la toile

Abdel Raouf Dafri a réglé ses comptes 
Il s’est attaqué au système de production audiovisuel français dans un entretien accordé au site AlloCiné, revenant notamment sur l’importance du scénario dans les projets cinématographiques. 

Lauréat du César du meilleur scénario pour Un prophète, de Jacques Audiard (2010), et auteur  de Braquo 2 (2012), série créée par Olivier Marchal, Abdel Raouf Dafri fait partie des scénaristes et dialoguistes à succès en France, séries et films confondus. Connu pour son franc-parler, il a vidé son sac à l’occasion d’un entretien pour la sortie d’une nouvelle saison de Braquo (prochainement sur Canal +) .

VOIR et ENTENDRE
l'entretien

Au fil de ses réponses,
le scénariste établit des parallèles entre les productions américaines et françaises. En premier lieu, il aborde ce qu’il connait le mieux, l’écriture. Abdel Raouf Dafri souligne l’importance primordiale du scénario dans un projet, affirmant que, dans l’hexagone, il est souvent dévalorisé :

Qu’est ce que c’est que raconter une histoire ? Aujourd’hui en France, on a perdu ça [...]. Posez-vous la question : pourquoi Les Misérables est encore adapté aujourd’hui avec Hugh Jackman, Russel Crowe ? Parce que ce que disait Gabin, la formule, la trinité de la réussite de la création audiovisuelle [...], c’est l’histoire, l’histoire, l’histoire !
"La plume, c’est comme la bouche : si t’as rien à dire, ferme ta gueule !"

En s’appuyant sur sa propre expérience,
il dénonce sans complaisance le pouvoir qu’exercent les chaînes de télévision, les producteurs ou les réalisateurs sur les scénaristes : "En France, on ne valorise pas l’écrit". En évoquant les grands auteurs et philosophes français, le scénariste déplore une perte de l’importance de la prose dans les projets audiovisuels. Selon lui, "la plume c’est comme la bouche : si t’as rien à dire, ferme ta gueule !". Hollande ou Valls prlent d'ailleurs beaucoup pour ne rien dire: alors que l'exécutif promet le dialogue, syndicats et patrons doivent sans cesse réclamer sur tout des précisions, éléments de la concertation.

Le scénariste poursuit en évoquant une anecdote personnelle au sujet de l’un des scénarii qu’il a mis cinq ans à écrire, mais abimé en cinq minutes par un petit réalisateur qui a pris des libertés avec l’histoire. Il raconte avoir appris huit jours avant le début du tournage que Julien Leclercq, le cinéaste en question, avait changé le nom du personnage principal (alors qu’il s’agissait d’une histoire vraie), ainsi que le titre du film, devenu Gibraltar.

VOIR et ENTENDRE le teaser de Gibraltar (2013): 


Abdel Raouf Dafri a refusé de participer au projet et Julien Leclercq a continué de modifier des éléments clés du script.
Sorti en 2013 avec Gilles Lellouche et Tahar Rahim au casting, le film n’a attiré que 231 071 spectateurs en deux semaines d’exploitation.

Il tacle aussi aux auteurs "bankable(s)" dont les projets sont considérés davantage en fonction de leur notoriété médiatique. Tout cela, d’après Abdel Raouf Dafri, est le reflet d’un malaise du cinéma français qui ne respecte pas le travail originel des auteurs et contribue à la médiocrité de certains projets. Le message est clair : de l’autre côté de l’Atlantique, l'excellence prévaut, comme en témoigne la vigueur cinématographique de Martin Scorsese avec son Loup de Wall Street.

A Hollywood, tout n’est pas si rose

Bien que plusieurs points soulevés par le scénariste soient intéressants, Abdel Raouf Dafri semble idéaliser le système américain. Les studios Hollywoodiens sont par exemple connus pour user de leur toute-puissance sur les auteurs. L’année dernière, Steven Spielberg et George Lucas prédisaient même l’implosion d’Hollywood.

Une enquête de Télérama (groupe Le Monde) sur le sujet rapportait :
D’après un scénariste qui participe à l’écriture des blockbusters, les réunions "créatives", à l’intérieur des studios, se font aujourd’hui en présence d’un représentant du marketing et du département international.
À noter aussi qu’une tendance est à l’oeuvre aux États-Unis : le moins de films possibles, pour le plus d’argent à gagner. Mais l’équation peut-être inverse : moins de films, c’est aussi plus de risques. On ne parle alors plus de “blockbusters” mais de "tentpoles", capables de faire (ou de défaire) un studio. 

En France, "on fait de l’aseptisé, on fabrique du Doliprane"

Son générique suffit... Dans la dernière partie de l’entretien, le scénariste s’exprime sur
des séries françaises qui selon lui sont très "polissées" et manquent cruellement d’originalité. Encore une fois, Abdel Raouf Dafri vilipende les chaînes de télévision françaises : "On fait de l’aseptisé, on fabrique du Doliprane". Canal +, celle qui produit sa série Braquo, échappe à la critique, parce que créatrice de contenu original. France Télévisions qui se croit culturel, et M6 qui n'y prétend guère, ont senti les coups passer très près.

Il poursuit, abordant le thème du téléchargement illégal :
Ils se font baiser [les producteurs de séries françaises, ndlr] car le moindre étudiant qui a une vingtaine d’année et qui s’y connait un minimum en informatique télécharge tout ce qu’il veut avec les sous-titres. Pour rien, il peut se taper les meilleures séries tv américaines, alors pourquoi s’emmerder à regarder les françaises ?
Aux États-Unis, à la différence de la France, les séries sont vraiment perçues comme des "oeuvres". Et c’est en partie à cause de ça que des sociétés comme Netflix et Hulu sont apparues. Elles proposent de visionner à travers un catalogues XXL des séries en VOD illimitée pour quelques dollars par mois ou même gratuitement.

En France, l’offre concernant les séries est quant à elle beaucoup plus limitée et assez chère (un abonnement à Canal + qui propose une chaîne consacrée entièrement aux séries s’élève à 24,99 euros par mois, comparés aux 7,99 dollars chez Netflix).

De l’espoir pour les séries françaises

La critique de Abdel Raouf Dafri se termine sur une note de fierté justifiée : l’Emmy Awards décroché par Braquo en 2012, un an avant celui des Revenants, en novembre dernier. Toutes les deux sont des séries originales produites par Canal +. L'exception culturelle se fonde assez peu sur le service public.

Un article de Télérama abonde : les fictions made in France rapportent peu à l’étranger – malgré une progression de 14% en 2013 – les ventes n’atteignant que 23 millions d’euros en 2012. Fin août pourtant, un article du New York Times intitulé "L’insaisissable plaisir des séries françaises" évoquait avec admiration quatre de nos créations hexagonales : Engrenage (Canal +), Un village français (France 3), Les Revenants (Canal +) et Maison Close (Canal +).

Alors certes, c’est très honorable à notre échelle par rapport à l’offre américaine et en majorité tributaire de la chaîne privée Canal +, 80% de la production des chaînes...

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