vendredi 17 avril 2009

Piratage Internet: la riposte graduée divise

A l'étranger , la contestation n'est pas politisée comme en France

La plupart des pays européens a mis en place une législation équivalente à la loi Hadopi pour lutter contre le téléchargement illégal. Mais en France, les contestataires font l'amalgame politicien entre l'opposition au gouvernement et le rejet du projet de protection de la création artistique et des auteurs.
L'examen de la loi Création et Internet, qui reprendra à l'Assemblée à la fin de ce mois, continue donc de déchaîner le web, pour des raisons qui ne sont pas seulement honorables. Voyons donc quels sont les expériences étrangères.

Ceux qui ont bravement reculé

- Le Royaume-Uni : après avoir commencé par suivre l'exemple français en adoptant la riposte graduée à l'été 2008, le parlement britannique à majorité socialiste (travailliste) est revenu sur sa décision. Attentif à son opinion publique conditionnée par la presse, David Lamy, le ministre pourtant en charge de la propriété intellectuelle, a expliqué qu'il lui semblait disproportionné de sanctionner ainsi les internautes. Un système alternatif est en cours d'élaboration et sera présenté à l'automne prochain. Cet exemple aura suffit à certains pour conclure sans recul que certains des arguments utilisés par Christine Albanel et le rapporteur UMP du texte de loi, Franck Riester, seraient déjà caducs Les opposants contestent leurs chiffres, selon lesquels «70% des internautes étrangers qui ont reçu un premier e-mail arrêtent de télécharger illégalement; 90% au deuxième e-mail».

- La Nouvelle-Zélande : le cas de l'île est emblématique : le gouvernement avait mis en place une législation semblable à celle de la France, ou presque. C'est l'action concertée des internautes qui l'a finalement contraint à reculer et à geler son texte. Fin février, après des jours de « blocage du Net » où les possesseurs de blogs et de sites fermaient leur espace et affichaient à la place un écran noir, le premier ministre John Key a demandé aux industries culturelles et aux fournisseurs d'accès de réfléchir à une nouvelle approche, moins contraignante.

Ceux qui ont refusé la riposte graduée

- L'Allemagne: le gouvernement a mis en place une législation réprimant le téléchargement, mais a refusé d'adopter la riposte graduée. La ministre de la Justice a expliqué que «le blocage de l'accès à Internet est une sanction tout à fait inacceptable» et «constitutionnellement et politiquement très difficile» à faire accepter. Et électoralement, est-ce plus facile?
Mais de son côté, Stefan Michalk, du syndicat fédéral de l’industrie musicale, a déploré qu’« il n’y ait qu’en Allemagne que cette question [riposte graduée] n’avance pas », alors que « de plus en plus de pays de l’UE et du monde entier voient dans l’envoi d’avertissements en liaison avec des sanctions un moyen efficace d’endiguer le piratage sur Internet ».

- La Norvège : la Fédération internationale de l'Industrie Phonographique s'est montrée énergique en demandant aux fournisseurs d'accès de bloquer l'accès à certains sites, comme le célèbre Pirate Bay, sous peine de procès. Cette fermeté a fortement déplu au ministre de l'Education et de la Recherche Bård Vegar Solhjell, qui a pris position sur son blog en faveur de la licence globale, un système de paiement forfaitaire permettant de télécharger légalement.
La mesure est pourtant socialement discriminatoire et on n'imagine pas un seul instant que l'opposition française puisse vitupérer contre les riches et le bouclier fiscal mais préconiser la licence globale, puisqu'elle pénaliserait les plus défavorisés. Le parti socialiste norvégien examine pourtant cette piste actuellement .
La Norvège, eldorado scandinave vu de la Rue de Solférino, est allée encore plus loin et a également envisagé une autre technique, réclamée par les lobbies du disque et du film du monde entier mais violemment critiquée par les pirates : le filtrage des contenus et l'interdiction pure et simple de certains sites. Mais cette mesure a été refusée tout net (!) par le fournisseur d'accès du pays, Telenor.

Ceux qui restent indécis

- Les Etats-Unis : au pays des grandes 'majors' du disque et du cinéma, la lutte contre le téléchargement a souvent investi le terrain légal plutôt que le législatif. L'Etat fédéral ne s'étant jamais engagé, tout repose sur des accords entre les représentants des artistes, des majors et des studios, d'un côté, et les fournisseurs d'accès (FAI), de l'autre. En début d'année, la RIAA, représentant l'industrie américaine du disque, avait ainsi annoncé un accord avec plusieurs fournisseurs d'accès pour mettre en place le même système qu'en France, ou presque : en cas de téléchargement illégal et répété, coupure de l'accès au web. Si les FAI ont accepté de transmettre des mails à leurs abonnés les prévenant qu'ils avaient été pris la main dans le sac, ils ont en revanche refusé toute coupure d'accès pour les récidivistes, prétendant qu'il fallait pour ce faire une décision de justice.

- Le Japon
: Il s'interroge sur la méthode à adopter. Dans un pays traditionnellement moins sujet à la petite délinquance, la législation sur le téléchargement est pour le moment minimale : le fait de mettre des contenus en ligne sans autorisation des ayant-droits est puni, mais pas leur téléchargement à usage personnel. Mais l'industrie des contenus, et notamment du manga, réclame plus de sévérité.

Ceux qui ont mis en place la riposte graduée ou l'envisagent

- L'Irlande : C'est le seul pays a avoir eu le courage mettre en place la riposte graduée avec coupure de l'abonnement internet.
Cette mesure y est appliquée par le plus gros fournisseur d'accès Internet (FAI) irlandais, Eircom. Celui-ci a accepté début 2009 de déconnecter des internautes pris trois fois à télécharger illégalement. En contrepartie, Eircom a obtenu que EMI, Warner et Universal abandonnent les poursuites engagées contre lui.

- L'Italie:
elle est dans une position d'attente des mesures de la France.
Le ministre italien de la Culture, Sandro Bondi, a signé le 20 janvier un accord pour coopérer avec Paris dans la lutte contre le piratage et indiqué que la législation italienne suivrait celle de la France.

- Le Canada: il a opté assez tôt pour un bridage de l'usage des réseaux servant au téléchargement. L'usage de logiciels de téléchargement comme eMule, ou les différents programmes utilisant le protocole Bittorrent , est détecté par les fournisseurs d'accès qui ralentissent le débit de l'abonné. Une approche que contestent les soutiens des 'majors',
Les autorités canadiennes envisagent par ailleurs de mettre en place la riposte graduée.

Ceux qui ont tenté des mesures de filtrage

- La Belgique: elle présente un autre cas original. La justice avait ordonné au fournisseur d'accès Scarlet de bloquer les sites de peer-to-peer. Mais l'opérateur a expliqué que c'était techniquement impossible. Un jugement en appel est attendu.

Ce tour du monde des mesures anti-téléchargement illégal montre que les politiques hésitent à mécontenter leurs électeurs. Quant aux intéressés, qu'ils soient des acteurs privés ou commerciaux, ils n'ont pas plus de considération pour les auteurs que les politiques . Ils profitent de l'incertitude générale pour asséner leurs vérités. Selon eux, la riposte graduée est loin d'avoir fait ses preuves. Ils affirment que les pays précurseurs auraient obtenu un succès mitigé.
Si elle adopte la loi Hadopi portée par Denis Olivennes (1960), qui a dirigé le groupe FNAC entre 2003 et mars 2008 et qui est maintenant directeur de l'hebdomadaire de gauche, le Nouvel Observateur, la France fera figure de pionnière. Ce qui explique sans doute l'intensité de la mobilisation des internautes et du lobbying des majors autour du projet de loi discuté à l'Assemblée, et qui devrait être voté le 29 avril prochain.

La ministre de la Culture, Christine Albanel, mise sur l'efficacité de la riposte graduée. Peu de pays ont pourtant résisté à l'impopularité. Les opposants à la loi Hadopi disqualifient le projet français en prétendant que des mesures de bridage du téléchargement abusif seraient sans effet et liberticide.

Qui aime ses artistes,
et pas seulement pour les instrumentaliser?

Or, un pays scandinave qui sert de référence à la gauche et spécialement à Sa Cynique Majesté Royal, l'artiste du Zénith, a opté pour la manière forte. La France se fût-elle alignée sur ce pays modèle qu'elle aurait été qualifiée de répressive.

C'est pourtant en Suède que vendredi la justice a reconnu coupables d'atteinte à la loi sur le copyright les quatre principaux responsables de Pirate Bay, site de téléchargement illégal, l'un des plus importants au monde. Au terme d'un long procès qui a pris valeur de symbole pour l'industrie du contenu, ils écopent tous les quatre d'un an de prison ferme.

Une peine plutôt dissuasive.
La nouvelle loi anti-piratage en Suède a provoqué une chute du trafic Internet de plus de 30% depuis sa mise en oeuvre mercredi 1er avril, selon les statistiques publiées quotidiennement par la société Netnod Internet Exchange.

Sur le même sujet :
- L’Irlande en route vers la riposte graduée (Ecrans = le journal Libération)

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