mercredi 1 octobre 2008

Crise de la presse : des assises sur fond de suspicion

Intrigues et petits meurtres entre amis
Le Président Sarkozy doit lancer les états généraux de la presse avec un discours devant 200 à 300 représentants du monde de la presse demain jeudi.
Ces assises sont destinées à trouver des solutions aux difficultés économiques de la presse écrite, chantier qui suscite des attentes multiples et parfois divergentes des professionnels.

Des propositions doivent être apportées aux problèmes économiques du secteur.
Dans le climat actuel de méfiance instauré par les syndicats et sur fond de crise des quotidiens concurrencés par la presse gratuite et l'internet, il s'agit de "mettre à plat les difficultés de la presse écrite et voir quelles solutions apporter", explique-t-on à l'Elysée dans l'entourage du président.

La presse, cette coquette capricieuse

Pour Dominique Pradalier, secrétaire nationale du Syndicat national des journalistes (SNJ), syndicat dominant de la profession, "ce sera utile SI quelque chose en sort qui permette [subjonctif d'incertitude] à la presse de remplir sa mission d'information dans le pluralisme et d'améliorer la qualité de l'information". Or, certains patrons de presse défendent l’idée de supprimer les seuils légaux limitant les possibilités de concentration des médias dans les mêmes mains.

De bien exigeantes danseuses

"Si cela amène une baisse de qualité et de pluralisme sous des prétextes économiques et des objectifs de rentabilité, nous n'en voulons pas", a-t-elle anticipé, s’entêtant à ignorer que les organes de presse sont des entreprises et non des associations sans cesse renflouées par l’Etat. Or, la presse française, plus que ses consoeurs européennes, est mauvaise gestionnaire et se jette régulièrement éplorée dans les bras secourables des financiers, tout en exigeant son indépendance. Le journal Le Monde, malgré l'origine de ses finances, a-t-il perdu de son impertinence ?

La coquette est inconsciente du monde

Bien qu’elle observe la vie du monde comme il va, en dissèque les plaies et en commente les mutations, les journalistes se tiennent à l’écart, aussi frileux et hautains que de froids entomologistes épinglant des insectes sur leur planche, avant d’en décrire les malheurs et soubresauts. Ils n’ont pas noté que le monde a muté et que leurs privilèges personnels (ex. fiscaux) ne les mettent pas à l'abri si leur cadre de vie professionnelle, si protégé soit-il, n’est pas sain. Or, la tempête sur le système financier et l'économie mondiale vient s’ajouter au virus interne longtemps assoupi et négligé et pourrait donc affaiblir encore davantage la presse française, frappée par l'essor de l'Internet, de la presse gratuite et la baisse des recettes publicitaires et emporter le malade, si un docteur fou de la Bourse ne lui administre une injection improbable en cette période de pandémie financière.

Après les appels au secours, les cris d’orfraie !
Tous les grands quotidiens nationaux ont dû se résoudre à des saignées dans leurs effectifs ces dernières années et ont appelé à la rescousse de grands groupes privés pour les renflouer, ce qui aurait reposé le problème de leur indépendance, puisqu'ils ne sont pas responsables de leur hygiène de vie.
Le tirage des grands quotidiens français est traditionnellement faible et les lecteurs ont désormais tendance à aller vers l'Internet (dont PaSiDupes ! ), les structures de distribution sont problématiques avec une faible densité de points de vente, des taux d'abonnement et de portage souvent encore réduits et la pression de la CGT.

Organisation de ces assises
Les assises de la presse sont organisées comme une sorte de forum de réflexion en quatre ateliers constitués autour de personnalités reconnues du secteur:
- place des journalistes, qui devrait être dirigé par Bruno Frappat, président du directoire du groupe Bayard Presse ;
- presse et société, concentration, qui devrait être dirigé par François Dufour, fondateur du groupe Play Bac Presse et d'un groupe de quotidiens pour enfants;
- aspects économiques et industriels, qui devrait être dirigé par Arnaud de Puyfontaine, ancien président d' Emap France et de Mondadori France ;
- et (probablement) le service public, qui devrait être dirigé par Bruno Patino, directeur général de France Culture et ancien vice-président … du journal Le Monde .
Un point d'étape mi-novembre est attendu à l'issue de ces deux mois.

Les oppositions
Comme le SNJ, et malgré des réticences communes, le journal d'opposition Libération a accepté de participer à ces travaux, mais son directeur, Laurent Joffrin, a demandé dans son journal mercredi que les lecteurs et le public participent aux débats. Or, il ne s’agit que de surenchère, car les débats sont déjà prévus pour se dérouler sur un mode participatif. Certaines réunions pourraient être portes ouvertes et non pas toutes. Le vœu d’une sorte d’assemblée Générale (AG à la façon de Mai 68 à la Sorbonne) du brouillon Joffrin à l’élocution confuse a peu de chances de se réaliser : plus on est de fous, moins on rit, à l’arrivée ! "Pas d'Etats généraux sans le Tiers-Etat. Le mot d'ordre s'impose dans la république de l'information", écrit-il, plein de mots et slogans, à défaut de réflexion. Pour la démagogie, Libération n’a rien à apprendre, mais la presse a mieux à espérer.
Emmanuelle Mignon, conseillère auprès de Nicolas Sarkozy en charge du dossier a récemment souligné : "Dans mon idéal à moi, dans chaque pôle il y aura des parties prenantes qui rendront une copie" en s'étant mis "d'accord sur cinq propositions".

La base de départ
Nicolas Sarkozy ne lance pas ces « états généraux » comme une chanson au Zénith : en les annonçant en juin, le président a déjà ouvert quelques pistes de réflexion.
Il avait relevé un "gigantesque problème de distribution", estimant qu'il fallait développer le portage à domicile et multiplier les points de vente des journaux. "Est-ce qu'il ne faut pas créer des groupes multimédias alors qu'aujourd'hui tout est fait pour les éviter ?", s'était-il aussi interrogé.

Chez les professionnels, ces états généraux suscitent des attentes multiples et divergentes.
Du côté des éditeurs, la distribution apparaît comme une question centrale, alors que les tarifs postaux pour l'acheminement des abonnements vont bientôt augmenter et que le nombre de points de vente est largement inférieur à ce qu'on observe en Allemagne ou en Grande-Bretagne.
Alain Weill, propriétaire de La Tribune, estime que le développement du portage des journaux à domicile devra être un "sujet fondamental", tandis que le président de Lagardère Active, Didier Quillot, veut, entre autres, faciliter la vente dans les hypermarchés.

Terrain miné
Parce que les ouvriers du Livre sont régulièrement responsables de l'importance des coûts d'impression, Alain Minc a souhaité que les états généraux "aident à mettre à bas le monopole du syndicat du Livre", qu'il a qualifié de "verrue". La grève démange donc la CGT, mais ce serait faire la démonstration que, sans elle, les coûts pourraient baisser…
Les éditeurs devraient également mettre sur la table la question du droit d'auteur des journalistes, mais ces derniers craignent que cela porte atteinte à leur droit moral sur leurs oeuvres. Or, la question, elle aussi ‘morale’, du régime fiscal très spécial des journalistes pourrait être amené sur le tapis des discussions…
Pour les syndicats de journalistes, la question de la qualité de l'information doit être placée au centre des débats. Un aveu d’échec, mais sont-ils les mieux placés pour la redresser, puisqu’ils sont responsables de son abaissement : allons-nous vers des auto-mutilations ?
"La première chose à faire si on veut améliorer la santé économique des entreprises, c'est de faire en sorte qu'elle retrouve la confiance du public", estime, sans sourire, le secrétaire général du SNJ, Alain Girard. Or, les lecteurs se détournent de la presse parce qu’ils se savent intoxiqués. Pourquoi payer la désinformation, si, sans débourser un sou, on peut être manipulé par la presse gratuite.
Syndicats et sociétés de journalistes, ce qui est largement la même chose, souhaitent également que les débats permettent d'octroyer une reconnaissance juridique aux rédactions, afin de protéger leur indépendance. Indépendance militante ou journalistique ? Au moment où s’engage la réflexion, la confusion reste entière…

Le projet
Un rapport remis à Nicolas Sarkozy mi-septembre et rédigé par Danièle Giazzi, secrétaire nationale de l'UMP, envisage une action des pouvoirs publics pour favoriser la création de groupes de presse plus concentrés.
Le rapport, envisage de changer le statut de l' A*P en société anonyme et d'ouvrir éventuellement son capital.
Il est aussi question de créer un fonds d'investissement pour la presse, un "observatoire du pluralisme" placé auprès du Premier ministre et de donner au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) la tâche de vérification du respect du pluralisme.
Il est question enfin de l'inscription des chartes de déontologie dans les conventions collectives et de déréglementer le secteur de la distribution.

Petits meurtres entre amis
Le suspicieux SNJ envisage déjà que le président de la République pourrait être tenté d'étendre la mainmise de grands patrons de presse dont il est proche, comme Arnaud Lagardère (Europe 1, le JDD), Bernard Arnault (Les Echos) ou Martin Bouygues (TF1). Dominique Pradalier dit soupçonner un "calcul politique" de l'Elysée.
Curieusement, le SNJ, modèle d’objectivité, ne pointe ni Rothschild qui a pourtant renfloué Libération, ni les capitalistes du Nouvel Observateur. Des assises qui commencent sur une criante injustice : ce syndicat envoie certains à la guillotine mais sauve la tête de ses amis…

Peut-être que l’avenir des sites Internet de journalistes dissidents, ou non, mais plus radicaux (Rue 89, Le Post ou Bakchich), retiendra toute son affectueuse attention, dans le secret des entre-deux portes de ces assises.

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