Le projet sera rejeté par le Sénat et voté dans sa version initiale par la majorité, en seconde lecture
A la fin de la mascarade parlementaire, le texte du gouvernement sera passé aux voix
Ou imposé par ordonnances...
Est-ce ce que souhaitaient les électeurs de la majorité à l'Assemblée ? Brigitte Bourguignon, la présidente de la commission spéciale, se sent humiliée comme fantoche.
Depuis une semaine, sans interruption, les députés de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi sur les retraites siègent à l’Assemblée nationale pour étudier la première mouture du texte, celle du gouvernement, et tenter de la modifier pour l’enrichir, la supprimer, ou la faire évoluer, selon les élus, théoriquement au moyen d’amendements, lesquels sont rejetés lorsqu'ils sont issus de l'opposition ! La démocratie macronienne est en marche, à rebours.
Le "marcheur" Olivier Véran, co-rapporteur, tance les opposants : "Ce n'est même plus de l'obstruction, c'est du ZADisme législatif". "Ceux qui tentent aujourd'hui de phagocyter les discussions sont les mêmes à réclamer un vrai débat sur les retraites", estime la présidente de la commission Brigitte Bourguignon (LREM, ex-PS). La majorité assure être prête, comme le premier ministre Edouard Philippe, qui n'a "pas peur" du "champ de braises" promis. "Nous sommes très fiers de porter cette réforme redistributive", affirme la "marcheuse" Célia de Lavergne, vice-présidente de la commission. Pour le président de l'Assemblée Richard Ferrand (LREM), c'est même "la réforme la plus à gauche du quinquennat".
Vu le nombre d’amendements déposés (22.000 dont 19.000 par la seule France insoumise), les 70 députés ne vont pas avoir le temps d’aller au bout des 65 articles du projet de loi ordinaire et des 5 du projet de loi organique, avant son arrivée dans l'hémicycle le 17 février. Le choix de la majorité présidentielle pourrait être d'étudier prioritairement les amendements constructifs, plutôt que de jouer le jeu de l'obstruction qui mène aux ordonnances.
Mais le parti du président s'accommode fort bien de l'encombrement qui favorise son option originelle, celle de déléguer au gouvernement sur le sujet des retraites qui relève normalement du domaine de la loi, comme les députés l'ont déjà fait en matière de réforme du droit du travail, par les recours de l'exécutif à l'article 49.3 en août 2016, sans vote en première lecture par l'Assemblée nationale.
En deux jours, impossible à la commission spéciale d'étudier "15.000" amendements, comme le soulignait Boris Vallaud, vice-président PS de la commission, ce lundi 10 février. En conséquence, le texte qui arrivera dans l’hémicycle le lundi 17 février sera celui du gouvernement dans sa version initiale, malgré les amendements adoptés.
“Nous examinerons jusqu’à mardi soir minuit la loi ordinaire et mercredi la loi organique”, explique le député socialiste, en référence aux deux textes qui composent cette loi suscitant toujours l’opposition d’une majorité de Français. "Il est vraisemblable que nous n’allions pas au bout", regrette l’élu des Landes pour qui "le gouvernement gagnerait à ne pas nous imposer ce rythme et à abandonner la lecture accélérée qui escamote le débat parlementaire".
Boris Vallaud évoque ainsi la demande de revenir à deux lectures, au lieu d’une dans chaque chambre, déjà écartée par le gouvernement et qui n’est pas partagée sur tous les bancs de l’opposition. Gilles Carrez (LR), par exemple, estime que ce n’est pas le manque de temps qui pose problème, mais plutôt "les dizaines de milliers d’amendements insoumis qui n’ont aucun sens et qui empêchent le travail de se réaliser". Les députés favorables au projet ne proposent pas le changement de méthode de travail qui permettrait d'être constructif en donnant la priorité de leur examen aux amendements qui permettraient d'avancer.
La pratique des Insoumis n'est pas innovante.
En 2013, Plus de 5.000 amendements au projet de loi sur le mariage pour tous avaient été déposés. Un nombre exceptionnellement élevé, mais qui ne constituait pas le record absolu: les députés ont souvent utilisé ce moyen pour faire entendre leurs idées, mais également ralentir la procédure parlementaire. Les Américains parlent de 'filibustering' (agir en flibustier des hémicycles), la version française a retenu le terme d'"obstruction parlementaire".Sous la Ve République, la pratique a pris son essor en 1981, à la suite de l'élection de François Mitterrand, comme le montre le graphique ci-dessus. «Découvrant la rude condition de député d’opposition, plusieurs jeunes élus de droite – Jacques Toubon, Alain Madelin, François d’Aubert, Philippe Séguin – cherchent alors à innover et à exister dans les médias», racontait Le Figaro. En 1984, 2 200 amendements sont ainsi déposés lors de l’examen du projet de loi Savary, visant à créer un grand service public de l'éducation.Le record à battre était celui de 137.000 amendements. Au cours des dernières législatures, la barre des 30.000 amendements a toujours été franchie. Le second mandat de Jacques Chirac (2002-2007) est exceptionnel, avec 248.118 déposés. A lui seul, le projet de loi sur la privatisation de GDF et Suez, datant de 2006, en concentre plus de la moitié (137.665). Excédé, le président de l’Assemblée nationale Jean-Louis Debré se fait photographier sur le perchoir, encerclé de piles d’amendements.
Ce record absolu est suivi, dans l’histoire, par le projet de loi de régulation des activités postales (près de 15.000 amendements déposés en 2005). En troisième position, la réforme des modes de scrutin régional et européen (12.805 amendements en 2003). Apparaissent ensuite les textes sur les retraites (11.153 amendements en 2003), sur l’assurance maladie (près de 8.500 amendements en 2004) et enfin le texte de 1995 sur la protection sociale (environ 5.500 amendements).Il faut donc être novice au Palais Bourbon pour se trémousser d'indignation ou pousser des cris d'orfraie.
Tout ce travail aura été fait en vain, déplore Gilles Carrez, député LR
A 71 ans, le député LR assure qu’il n’a jamais eu l'expérience de ça. "Je n’ai jamais vu un tel déclassement de la fonction parlementaire. Avant, certains faisaient de l’obstruction, mais aussi des propositions", regrette le député du Val-de-Marne, élu depuis plus de 25 ans (1993). “Tout ce travail aura été fait en vain. Il y a une grande inutilité de leurs amendements qui n’ont aucun intérêt; et les nôtres qui portent un vrai projet sont noyés".
Sauf que LR s'accommode de la méthode suivie par LFI légitimée par l'ancien premier ministre Bernard Cazeneuve qui, avec Valérie Rabault et Patrick Kanner (présidents de groupe PS à l'Assemblée et au Sénat), ainsi que la présidente de la région Occitanie), Carole Delga, brocarde dans une tribune une réforme "injuste" et "confuse" et dénonce dans le projet Macron "un brouillon". "Qui aspire à une réforme universelle des retraites qui soit juste ne peut approuver le projet porté par l'actuel pouvoir, qui en compromet gravement l'objectif", estiment-ils. Que peuvent les opposants, sinon "la guerre du zèle", face à une assemblée de moutons qui va majoritairement contre les intérêts de leurs électeurs.
"L’obstruction est du côté du gouvernement", réplique Boris Vallaud.
Son groupe n’a déposé que 275 amendements, mais il soutient ses collègues de gauche, notamment les 17 Insoumis. "Je ne considère pas que ce soit vain. Qu’on s’en agace, que certains aient choisi d’autres stratégies, mais la liberté d’amendement n’est pas un droit qui se discute", appuie le vice-président de la commission.
“On a pris des notes, on va affiner nos arguments et on va appuyer là où ça fait mal," Sébastien Jumel (PCF). "On n’a pas travaillé 10 jours pour rien puisqu’on a obligé le gouvernement à se démasquer sur les conséquences négatives de ce mauvais projet", plaide de son côté, Sébastien Jumel, député communiste.
"On a démontré qu’ils allaient faire travailler les gens plus longtemps. Le rapporteur a dit lui-même que cette loi avait pour but ‘d’apprendre à bien vieillir au travail’.
On a montré qu’ils ont l’intention de taper dans les caisses des régimes indépendants pour financer leur mauvais projet et on a fait la démonstration que l’étude d’impact est nulle, non avenue et pipeautée", se félicite le député membre de la commission qui se dit "pas du tout découragé, mais en pleine forme". "On a pris des notes, on va affiner nos arguments et on va appuyer là où ça fait mal” pendant les débats dans l’hémicycle prévus à partir du 17 février, prévient-il.
Le gouvernement admet également que le calendrier ne permettra pas d’étudier tous les amendements. "A l’heure où l’on se parle, ils sont à l’article 20 sur 65. On ne pourra pas aller jusqu’à la fin. La version qui sera présentée lundi sera celle que le gouvernement a déposée”, confirme-t-on dans l’entourage de Laurent Pietraschewski, le secrétaire d’Etat en charge du dossier des retraites, présent en commission parlementaire...
Pas question pour autant de vouloir ouvrir le débat sur le fonctionnement du Parlement.
"L’examen en commission marche", assure une proche du secrétaire d’Etat dans le déni et qui prend son mal en patience. "Ca a marché sur d’autres lois. Là, c’est un cas particulier", explique-t-elle benoîtement, ne craignant pas d'ailleurs d'assurer: "il y a eu des échanges intéressants sur le fond de la loi et il reste une discussion dans l’hémicycle. Le débat parlementaire a eu lieu", estime encore cette proche inconnue.
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